Crise et courant alternatif

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Par Mohamed Bessa

“C’est fait exprès ! ». La sentence résonne dans les nuits noires de coupure d’électricité. Le regard aux étoiles, l’accusation cite la clarté de la nuit et innocente la météo, ce classique suspect. Sonelgaz tient la gégène ? On n’a pas idée d’un service qui défaille précisément au moment où on en a le plus grand besoin. Au coup d’envoi d’un chaud derby USMA-JSK, cinq minutes avant une émission télé sur la sortie de Bouteflika du Val-de-Grâce, au milieu d’un bon gueuleton familial. Courant alternatif oui, mais tout de même…Mais il ne faut surtout pas leur en vouloir aux agents de la société de l’électricité ni à aucun lampiste d’ailleurs. Car, à remplir un tonneau des Danaïdes, nul n’est tenu. Pensez à la somme des énergies englouties dans les branchements pirates (25% du chiffre d’affaires de l’entreprise !), celle qui s’évapore dans l’air par effet Joule, celle, en fin, qui gâche l’équilibre du réseau par la réaction des installations industrielles peu optimisées. Songez au déficit de production depuis qu’un ministre High-tech a eu l’idée lumineuse d’en créer délibérément de façon à creuser une marge pour de chimériques investisseurs étrangers. A qui on demande désormais d’emmener avec eux leur câble d’alimentation ? ISPAT (9000 salariés), joyau du néolibéralisme mondialiste là où jadis El-Hadjar était celui du socialisme spécifique, avait même menacé d’éteindre les hauts-fourneaux pour non-respect des engagements contractuels. Heureusement que depuis, des efforts ont étaient fournis et désormais les abonnés ne sont plus « délestés » mais simplement victimes d’ »incidents normaux », comme ce fut, officiellement, le cas dans beaucoup de wilayas, le mardi 24 janvier dernier. Et la Tunisie sœur est de toutes les façons là qui, malgré nos cruels écarts du passé, n’a pas idée à nous laisser dans le cirage ! On sait les immenses énergies que l’électricité peut produire : faire tourner des machines, rouler des tramways et des métros, déplacer des tonnes de terre, moins ce que, par défaut, elle engendre d’immensément extraordinaire. Prenez une coupure qui survient au moment où des étudiants fragilisés, exaspérés, lumpenprolétarisés, Sdfés, tiennent une assemblée générale. Et appréciez, en retour, ce qui tient des effets d’une onde foudroyante qui s’abat sur une ligne de transport de SONELGAZ. A l’université de Béjaïa, où existe une vieille faculté d’électrotechnique, qui tient là un original sujet de thèse, cela n’a pas raté : un déferlement de fureurs qui culmine avec une occupation du rectorat et la prise d’une dizaine d’otages. Il fallait souffrir quatorze heures pour que les forces anti-émeutes parviennent à libérer ces innocents. Innocents d’autant plus que la colère première des étudiants – une crise du logement- n’interpelle que secondairement ceux qu’ils ont placés en incarcération.Les franchises universitaires ? Pfft… ! Si les étudiants avaient, comme les soixante-huitards, crié « CRS, SS ! », ceux-ci auraient, du « toc au toc », répondu : « étudiants, dion, dion ! ».Et de tout ce beau monde très peu ont l’excuse qui n’en est pas une en fait, de savoir qu’un décret Boumediennesque, qui court encore à ce jour, avait tout simplement aboli les franchises universitaires. N’est-ce pas fou ce qu’une coupure de courant peut produire de tension ! De l’énergie a-électrique, on débouche jusqu’à la politique. De quoi refaire l’électrotechnique en sens inverse. Au milieu des années 1980, un comique lumineux sillonnait les « campus libérés » pour interpréter un mémorable sketch-refrain.Les habitants d’un patelin perdu manifestent bruyamment : « Electricité, électricité, branchez-nous l’électricité ! ». Surviennent les gendarmes qui demandent que trois personnes sortent du lot pour être les porte-parole des villageois. Ce qui fut fait. Et que se passe-t-il ? « Electricité, électricité, ils leurs ont branché l’électricité ! », conclut le comique que les étudiants accompagnaient comme pour une chanson alanguie de Graëm Allright. Avec l’a-électrique, ce n’est pas d’aujourd’hui, la trique n’a jamais était loin. Un illuminé surgira-t-il, un jour, de ce pays à la masse pour ordonner à SONELGAZ de se mettre enfin au courant continu ?

M. B.

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