L’économie nationale, particulièrement depuis qu’elle est prise dans l’étau de la crise financière qui dure depuis juillet 2014, ne cesse de se prêter, à échéances régulières, à des grilles d’analyse aussi bien nationales qu’étrangères. Si les constats et les tendances dégagés par type d’évaluation évoluent généralement dans une zone où se multiplient plusieurs interrogations, ou des attitudes du genre »oui, mais… », confinant à un certain optimisme »forcé » ou à un pessimisme « raisonnable », c’est que le poids de l’Algérie est loin d’être négligeable, au moins sur deux volets importants: sa situation géographique au milieu d’une Méditerranée bouillonnante et multiple, et ses potentialités économiques, patentes ou latentes, représentées par ses ressources naturelles et humaines. En termes purement « mercantiles », les grands pays producteurs (industrie, agriculture, services) considèrent notre pays comme un marché de 40 millions de consommateurs qui disposaient, du moins jusqu’à 2015, d’un pouvoir d’achat assez conséquent, permis par ses recettes pétrolières, lorsque le baril oscillait entre 100 et 120 dollars. La volonté affichée par les autorités du pays pour diversifier l’économie nationale, pour la sortir de la dépendance totale qu’elle subit par rapport aux hydrocarbures, tarde encore à trouver un prolongement sur le terrain. Il y aurait même des cercles, au sein de la haute administration, qui ne compteraient que sur une éventuelle reprise des cours du pétrole pour revenir au « statu quo ante ». Cela permettrait de créer des rallonges pour le populisme et la rente, au détriment de l’effort et de la modernisation de l’appareil de production national. Assurément, l’Algérie est dans une période charnière, qui prend beaucoup plus de relief et de sens que ce qui a été habituellement appelé transition. Ce dernier terme est en usage depuis octobre 1988, sans qu’il débouche sur quoi que ce soit de concret. Dun temps d’Abdelhamid Temmar, ancien ministre chargé des Investissements, il n’y avait de place que pour l’ «émergence». Selon lui, l’Algérie allait devenir un pays émergent au bout de quelques années. Sachant le sens accordé à ce concept depuis la montée en puissance d’un certain nombre de pays dits « émergents », il serait hasardeux de se « mêler les pinceaux » avec de telles qualifications dans un environnement économique dont la première caractéristique est la stagnation.
Hypothétique statut d’ « émergence »
En 2013, l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, lors d’un forum intitulé « le rôle et la place des pays émergents : le cas algérien », a tenté de répondre à la question de savoir si les grands agrégats de l’économie algérienne montrent des signes d’évolution vers cette catégorie ou »statut », ou bien s’ils en sont loin. « L’Algérie n’est pas un pays émergent; mais pour qu’elle le soit, elle doit investir dans la production », a précisé le professeur Benachenhou, en expliquant que les pays émergents ont bâti leur croissance sur les secteurs de la technologie, la formation des ressources humaines, des secteurs où l’Algérie dispose de grands potentiels. Les économies émergentes mobilisent un produit intérieur brut (PIB) par habitant actuellement inférieur à celui des pays développés, mais elles enregistrent une croissance économique rapide. Le conférencier avait souligné que le niveau de vie dans ces pays, ainsi que les structures économiques, convergeaient vers ceux des pays développés. Le tout est de savoir quand et comment l’économie algérienne commencera à se délester de la forte et pénalisante dépendance par rapport aux recettes en hydrocarbures, résumera l’ancien ministre. Il s’agira de se lancer d’une façon hardie dans une économie de production qui fera table rase des situations rentières qui ont fait tant de mal à l’économie du pays et à la société; Une production axée sur la «reconquête du marché intérieur à travers l’investissement productif dans le domaine de la production agricole et agroalimentaire, le transport maritime, les travaux publics et les technologies de l’information et de la communication», a-t-il expliqué. Actuellement, seuls 2 % du PIB sont consacrés à l’investissement productif stricto sensu. Avec une telle performance, il est quasiment illusoire de gagner le statut de »pays émergent ». En outre, il se trouve que même les recettes pétrolières engrangées par l’Algérie au cours des trois années qui ont précédé la crise financière de 2014 ne doivent leur montée en flèche que grâce aux cours des marchés mondiaux, qui ont enregistrés des hausses continues. Autrement dit, la production nationale proprement dite a, elle, enregistré une régression. À cela se sont greffés les aléas liés aux capacités des économies européenne et chinoise, frappées par une crise financière térébrante, de consommer davantage les énergies fossiles d’importation. Le maître-mot demeure cette »mythique » diversification de l’économie nationale que les différents gouvernements ont longtemps monté en épingle, mais qui ne trouve pas encore le terrain propice à sa pleine expression.
Distorsions et mauvais choix
Du temps où il était ministre des Finances, au milieu des années 2000, Abdellatif Benachenhou avait montré des réticences par rapport aux montants financiers dégagés pour les programmes d’investissements publics, dans une conjoncture d’impréparation des entreprises algériennes de réalisation, et dans une situation de manque de maturité des études. L’évolution rapide des événements a fini par lui donner raison. Les entreprises algériennes n’ont eu que des miettes dans les projets confiés en grande partie à des partenaires étrangers. Pis que cela, le tant souhaité transfert de technologie n’a jamais atteint les proportions qui le rendraient viable, efficace et reproductible. De même, il avait proposé à ce que les grands projets d’infrastructures soient pris en charge par des opérateurs privés au lieu qu’ils soient financés par le budget de l’Etat. Abdelmalek Sellal a rejoint une telle option en 2015, lui donnant aujourd’hui des modalités pratiques du genre « emprunt obligataire ». Sur un autre plan, l’ancien ministre des Finances avait fait, dès le début des années 2000, le constat des recettes fiscales de l’État qui l’ont fait déborder sur… l’aménagement du territoire. En effet, les distorsions inhérentes à la répartition de la population, des richesses et des activités économiques ont inexorablement conduit, selon des estimations que le ministre a faites en 2003, à ce que seules 5 à 6 wilayas produisent 85% de la matière fiscale nationale ! Les autres wilayas (42 à 43) produisent les 15 % restants. L’on se souvient des assises sur le secteur du Commerce tenues en 2011. Elles ont permis de mettre à nu les multiples faiblesses qui grèvent le système économique national, à commencer par le commerce informel et l’évasion fiscale. Ce sont là deux éléments qui remettent en cause toute l’architecture de l’économie nationale, qui pervertissent les valeurs de la justice fiscale et qui découragent l’acte d’investissement. Près de deux millions de personnes sont versées dans l’économie parallèle et le travail au noir. Les quelques actions d’ « éclat » initiées par le gouvernement au cours des deux dernières années, ne donneront de résultats efficient que si elles se muent en une politique cohérente et durable tendue vers une structuration efficace de l’économie nationale et une diversification basée sur la politique de promotion de l’entreprise. En tous cas, la tentative de régularisation de ce secteur par la « mise en conformité fiscale », initiée en août 2015, n’a pas donné de résultats extraordinaires. On reconnaît officiellement que seuls 250 opérateurs y ont répondu favorablement, avec, bien entendu, des montants très limités admis en banque. On attend de l’emprunt obligataire, que lancera l’Etat dans quelques mois, que les patrons de l’informel adhèrent au dispositif. Mais, on n’en a aucune garantie.
Se désengluer de l’hégémonie pétrolière
Incontestablement, l’économie algérienne est sommée aujourd’hui de prendre un virage qu’elle n’a sans doute jamais mis, auparavant, sur ses tablettes, et ce, malgré la profusion de discours théoriques qui n’engageaient leurs auteurs, y compris des officiels, en rien. Se désengluer de l’hégémonie pétrolière et sa culture subséquente exige une volonté ferme, des efforts soutenus et une persévérance à toute épreuve. Car, des remises en cause, il y en aura, dans la qualité de la formation, d’abord. Les produits de l’Université algérienne et des centres de formation professionnelle doivent impérativement répondre au nouveau marché du travail qui va se constituer. Un nouveau code du travail, que l’on dit en préparation depuis six ans, devra replacer l’équation de la ressource humaine au cœur du processus de production. Inévitablement, le nébuleux concept d’ « Etat social » est appelé à des révisions déchirantes, en opérant la distinction entre ce qui relève de la pure logique économique et ce qui tient de la solidarité nationale. En résumé l’Algérie est grosse d’une « révolution économique » pour laquelle la lucidité et l’intelligence politiques sont censées préparer le terrain.
Amar Naït Messaoud