La terre et les sous

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L’exemple de l’éboulement à Aïn El Hammam d’un pan entier de la falaise au pied de laquelle se déroulent les travaux de construction- accident rapporté dans notre édition du 28 décembre dernier et dont nous avons pris réellement conscience au cours de notre déplacement sur les lieux au courant de cette semaine- édifie sur les difficultés auxquelles sont confrontées les zones de montagne en Kabylie, non seulement en matière de construction d’immeubles, mais également lorsqu’il s’agit de tracer les grandes infrastructures de bases (routes, ponts, adductions d’eau, canalisations de gaz) ou d’installer des équipements publics (poteaux électriques, choix d’assiettes de terrain pour écoles ou autres établissements publics). La contrainte du terrain se présente dans ces cas de figure sous le double problème : la topographie et le foncier. Le premier écueil cité se trouve démultiplié par la concentration démographique, laquelle met dans l’obligation les agences d’exécutions à suivre un tracé peu commode qui épargnerait les habitations. En outre, et c’est là la question la plus épineuse soulevée par toutes les entreprises de réalisation, le coût d’inscription des opérations se trouve généralement en deçà des coûts réels générés par la nature hostile du terrain. À ce niveau, le problème soulevé prend une autre dimension, celle de la manière dont sont conçus et inscrits ces projets. On fait ici clairement allusion au mode centralisé de la gestion de l’économie nationale. Même si depuis deux ans, les Directions de la planification et de l’aménagement du territoire (DPAT) sont devenues le réceptacle des inscriptions des projets, il semble que l’ancien réflexe soit toujours de mise. Et pourtant le simple bon sens voudrait qu’une piste à ouvrir ou à aménager à Sidi Naâmane n’ait pas la même enveloppe budgétaire que celle à réaliser à Akbil ou à Iferhounène. Le rendement des engins, la multiplication des virages, la nature du sol, l’ampleur des ouvrages d’art, etc… influent obligatoirement sur le coût de réalisation. Ce qui est valable pour les voies d’accès l’est encore davantage pour les constructions. S’il se trouve que le coût du mètre carré à bâtir à Draâ Ben Khedda est donné le même à Aït Yahia, c’est qu’inévitablement il y a maldonne suite à une routine de calculs basés sur des schémas uniformes voulus par une centralisation hypertrophiée du pays. Tous les visiteurs de la Haute-Kabylie peuvent en attester : les sommes englouties dans les terrassements et les murs de soutènement peuvent valoir parfois le tiers, sinon plus, du montant total de la construction.

À ces écueils connus dans d’autres pays du monde (Grèce, Italie, Liban,…) se greffent les contraintes du foncier. L’histoire sociologique de la Kabylie nous apprend que, au moins depuis l’occupation turque, l’État ne possède pas de terres en Haute-Kabylie. Mis à part les poches domaniales des coteaux et des plaines du Sébaou et de la Soummam, le reste est dominé par la propriété privée souvent sans titres de propriété. Il s’ensuit que les projets publics sont tributaires de l’achat des parcelles sur lesquelles ils doivent être édifiés. Ce qui va encore hausser le coût de ces réalisations. Si la politique du développement du pays est orientée au cours de ces dernières années vers la stabilisation des populations rurales et vers une stratégie de l’endiguement de l’exode vers les villes, elle doit en tirer toutes les conséquences pour payer le prix qu’il faut. Avec les gros budgets alloués aux wilayas, le problème ne réside plus dans les ressources financières. Ce sont plutôt les procédures de classification des régions du territoire national selon les coûts réels des projets qui posent problème. À cette impasse, il n’y a pas trente-six mille solutions ; seule une décentralisation de la décision qui impliquerait les autorités locales et les élus au niveau le plus bas de la pyramide de l’État (communes), auxquels seraient associés les comités de villages et les associations, pourrait réduire ces incohérences de gestion -qui signifient une mauvaise redistribution des richesses nationales- vécues par les populations montagnardes comme une injustice flagrante. Les codes de commune et de wilaya, en gestation depuis des années au département de l’Intérieur, ne peuvent pas avoir de meilleures bases que l’enseignement tiré des difficultés de la gestion des zones de montagne.

Amar Naït Messaoud

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