Khalti Aïcha Mebarki, comme l’appelait tout le monde, serait âgée de 103 ans, elle était l’une des plus populaires et des plus vénérées de la région de Saharidj. Elle affirmait avoir été inscrite officiellement à l’état civil de l’ex-commune mixte de Maillot, actuelle M’Chedallah, le 18 mai 1920, alors qu’elle était âgée de six ans comme le lui avait appris son père. Khalti Aïcha était, durant toute sa vie, une femme exceptionnelle sollicitée de partout, elle jouissait d’une solide réputation grâce aux menus services qu’elle rendait à tout le monde, ajouté à sa droiture et sa non moins exceptionnelle intelligence. De situation modeste, elle s’était attelée, dès son jeune âge, à élever ses enfants en faisant recours aux métiers traditionnels tels que le tissage et la poterie. Elle était la toute première femme de la région à introduire les motifs berbères tant sur les tapis que sur la poterie qu’on s’arrachait dans les années 1960/1970, cela en plus de décorer les chambres de sa maison avec les même motifs et sigles de tamazight. Non seulement, elle a ressuscité et valorisé tout ces métiers qui étaient en voie de disparition, mais a elle aussi transformé sa maison en un véritable centre d’apprentissage pour toutes les filles du village qui venaient pour s’initier gratuitement en se faisant aider de ses propres filles qui ont reçu une solide formation. Elle s’était aussi spécialisée dans le montage des charrues traditionnelles en bois et la fabrication de plats, louche ou cuillerées de porte et fenêtres toujours en bois. Elle était, d’ailleurs, aussi sollicitée pour servir d’accoucheuse et de réparatrice des fractures, notamment celles fréquentes des nourrissons. Durant la guerre de libération nationale, Khalti Aïcha avait non seulement contribué en assurant le ravitaillement et les renseignements aux maquisards mais elle avait aussi su protéger les femmes du sadisme des militaires Français à chaque opération de ratissage et des parachutistes de la 8ème armée, en leur faisait face pour les empêcher d’approcher des jeunes femmes, qu’elle obligeait à enduire leurs visages de suie et de poussière pour camoufler leurs traits. Sur un autre volet, il n’y a pas un conflit entre voisin ou frères à propos d’un partage ou d’un bornage de leur terrains où elle n’intervenait pas pour le régler à l’amiable, étant connue pour sa droiture, son impartialité et sa mémoire, et d’ailleurs, ses décisions étaient acceptées, respectées et appliquées par toutes les parties en conflit. «Combien de ménages, cette vénérable femme a sauvé de l’éclatement et du divorce», témoignent de nombreux villageois âgés du vieux Saharidj qui ont accouru de toutes parts dès qu’ils ont appris qu’elle était décédée. Cette nouvelle (son décès) a drainé une marée humaine vers sa maison toujours à l’état traditionnel en périphérie du centre urbain de Saharidj, où une spectaculaire foule l’a accompagnée à sa dernière demeure au cimetière Tayda Lemsara, mardi dernier.
Oulaid Soualah