La Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai de chaque année et instaurée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993, est fêtée aujourd'hui dans tous les pays du monde, aussi bien ceux ayant enraciné depuis longtemps des traditions et pratiques démocratiques dans l'exercice de ce métier, comme dans le reste du jeu institutionnel, que ceux qui ont encore des batailles à livrer et des bastilles à prendre en matière de liberté d'expression et de liberté tout court.
Parallèlement à cette Journée mondiale, la corporation des gens de la presse en Algérie, toutes catégories confondues, et avec eux l’ensemble des Algériens, disposent d’une Journée nationale de la presse, le 22 octobre, instituée par le président de la République le 3 mai 2013. Par-delà la symbolique marquant ces deux dates, où se déclinent de beaux discours et se donnent en offrande des présents et des cadeaux aux hommes et femmes de la presse, il serait certainement illusoire de croire que la liberté d’information et de communication- écrite, audiovisuelle ou numérique- est acquise définitivement dans les segments que la société s’est déjà appropriés depuis quelques années. Les pratiques quotidiennes liées à l’exercice du pouvoir- dans ses trois déclinaisons: exécutif, judiciaire et législatif- sont souvent tentées de n’admettre ce qui a fini par prendre le nom de quatrième pouvoir que dans les limites du « politiquement correct », autrement dit, de ce que l’état d’équilibre du rapport de force au sein de la société permet. Les spécialistes qui ont eu à se pencher sur cette problématique n’ont pas hésité à ajouter la nouvelle notion de « cinquième pouvoir » pour prendre en compte le poids de l’argent et des grosses fortunes dans la limitation de la liberté de la presse. L’Algérie, sortie du parti unique et de l’économie administrée après les événements de 1988, a mené une exaltante expérience dans le domaine de la presse écrite indépendante, et ce, après l’adoption de la Constitution de février 1989 et la promulgation, par le gouvernement de Mouloud Hamrouche, de la loi du 3 avril 1990 relative à l’information. Dans son article 1, il est stipulé que cette loi a pour objet de « fixer les règles et les principes de l’exercice du droit à l’information ». Ce dernier est explicité dans l’article 2 de la même loi qui dispose que « le droit à l’information consiste dans le droit du citoyen d’être informé de manière complète et objective des faits et opinions intéressant la société aux plans national et international, et dans le droit de participer à l’information par l’exercice des libertés fondamentales de pensée, d’opinion et d’expression conformément aux articles 35, 36, 39 et 40 de la constitution ». Ce qui constitua une « révolution » à l’époque, après 28 ans de pensée unique et de censure, est que ce droit à l’information est destiné à être pris en charge, comme le stipule l’article 5, par les titres d’information du secteur public, par les titres et organes d’information appartenant ou créés par des associations à caractère politique (concept institué par la Constitution de 1989 pour éviter le nom de « partis ») et par les titres et organes créés par les personnes physiques ou morales de droit algérien. Ce droit s’exerce par « tout support médiatique écrit, radiophonique, sonore ou télévisuel ». Et l’aventure intellectuelle commença pour des journalistes ayant rayonné et donné toute leur énergie dans le secteur public, mais qui étaient limités dans leur action. L’aventure se limitera à la presse écrite, bien que la loi du 3 avril 1990 mentionne les autres supports (radio, TV). D’ailleurs, jusqu’à présent, ces deux supports audiovisuels n’arrivent pas encore à acquérir un statut juridique définitif; la polémique qui avait prévalu en 2013 sur ce dossier a achevé son parcours par un « stand-by » qui fait multiplier les chaînes TV privées par satellite, sans statut définitif, et qui laisse en friche le domaine de la radio, occupé exclusivement par le secteur public.
Consécration du droit à l’information
Un quart de siècle après l’ouverture du champ médiatique, une des rares conquêtes encore valides- malgré ses limites- de la révolte des jeunes d’octobre 1988, les Algériens sont apparemment « assaillis » par la présence de plusieurs sources d’information, sans pour autant que l’on soit sûr que le droit à l’information- dans le sens pédagogique et noble du terme- soit assuré et accompli. Indubitablement, il y a une relation dialectique entre les organes porteurs d’information, quel qu’en soit le support physique, et le public. Autrement dit, le schéma de communication classique, qui établit l’existence d’un émetteur et d’un récepteur, n’est jamais aussi figé. L’interaction entre les deux et son éventuel « parasitage » par des parties non prévues dans le schéma classique, constitue un ensemble complexe comme celui auquel on a affaire aujourd’hui en Algérie. En effet, celui qui est supposé être le « récepteur », le public, n’est pas dans une position figée, recevant, comme ce fut au temps de la pensée unique, un seul son de cloche. Les Algériens, avant d’avoir accès au pluralisme médiatique national, du moins dans sa version « presse écrite », avaient redoublé d’ingéniosité pour accéder à l’information par tous les moyens possibles et imaginables. Que l’on se remémore les assiettes paraboliques géantes posées sur le toit des bâtiments, et que des foyers éloignés, moins fortunés, tentaient de capter par des antennes artisanales, y compris en utilisant des couscoussières. La soif de l’information n’avait d’égal que la frustration née de la propagande et du mensonge débités par les organes d’État. Tout en bénéficiant de plusieurs titres de la presse écrite dite indépendante, le public algérien n’a pas cessé de s’accrocher à la télévision satellitaire, laquelle s’est largement enrichie de dizaines et de centaines de nouvelles chaînes, principalement orientales. Le phénomène possède au moins deux explications. En faisant des chaînes d’information en continu du Moyen-Orient des canaux quasi « mythiques » de l’information, le public algérien se soumet au principe de l’information « libre »; du moins la perçoit-il ainsi, face à certaines restrictions qui ont touché la presse nationale, particulièrement dans le traitement de l’information sécuritaire pendant les années chaudes du terrorisme. Ensuite, une partie de la désaffection touchant la presse algérienne, surtout en langue française, est due à un certain « analphabétisme » qui est toujours en vigueur dans la société. Depuis le milieu des années 2000, un autre créneau commençait à investir subrepticement le monde de l’information. Il s’agit de l’Internet. Les sites d’information se multiplient et diversifient à l’extrême leurs présentations. À cela, se sont greffés les réseaux sociaux dont raffolent les jeunes d’aujourd’hui. La « jeunesse Facebook » n’est pas de la fiction, même si elle vit dans un monde virtuel. Les canaux porteurs d’informations- dans toutes leurs qualités: rumeur, intox, manipulation, annonce, communiqué info de service- se multiplient, s’entrechoquent et font parfois « perdre le nord » à l’opinion non avertie.
Les impératifs de la professionnalisation d’un métier
Quant à la presse écrite, elle dépasse aujourd’hui la centaine de titres, sans que l’on soit sûr de l’efficacité et de la qualité de l’information qu’elle assure. Étant depuis plus de quinze ans cédés à 10 dinars, certains titres ont revu à la hausse (20 DA) leur prix de vente. En tout cas, ce montant est loin de couvrir l’ensemble des coûts et frais de fabrication d’un journal (loyer, énergie, abonnement Internet, abonnement Aps, salaires,…). Ce sont des charges que seule la publicité peut couvrir. Et là un autre débat commence, celui de la manière dont est distribuée la publicité étatique, via l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep), et l’accès à la publicité de grandes boites privées. Une loi sur la publicité est annoncée par le ministère de la Communication depuis plusieurs années. Une chose est sûre: la survie d’un organe de presse par le seul mérite de son contenu journalistique est, à l’heure actuelle, presque une vue de l’esprit. Avec la réduction du volume de la publicité étatique, touchée par la crise des programmes de développement, eux-mêmes limités par le recul des revenus pétroliers, se posent des questions cruciales pour la survie des titres de presse. Ces questions de financement de la presse écrite, et qui vont concerner aussi sous peu ces « grappes » de chaînes TV qui se multiplient sur le satellite, ne peuvent pas demeurer des questions neutres qui ne regarderaient que les organes considérés. Le droit à l’information, dont il est question dans la première loi de l’information de l’Algérie pluraliste, est devenu puissamment dépendant des sources de financement des organes en question. Quels sont les moyens et les dispositifs qui pourraient assurer la défense de ce droit à l’information, sans qu’il y ait manipulation, intox ou autre dérive? Les idées circulent d’une façon « brouillonne » et informelle. Conseil de déontologie, conseil supérieur de l’audiovisuel (pour les chaînes radio/TV) et d’autres structures encore, sont proposés par des éditeurs, des journalistes et même par les pouvoirs publics, sans que l’idée n’arrive vraiment à maturité. Une chose paraît urgente: comment redonner confiance au public algérien dans les moyens d’information que l’évolution politique du pays a rendus aujourd’hui possibles? Sous cet angle et au-delà des certaines questions matérielles ou financières, la professionnalisation de la presse et des autres moyens de communication, se révèle un puissant levier pour acquérir respectabilité et audience. Comment se fait-il que le zèle idéologique de certains titres leur a fait carrément oublier leur mission de service public qui est supposé être le fondement même de l’entreprise? Bientôt sera posée cette question de savoir comment réconcilier le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur avec les organes nationaux d’information, publics et privés. Selon la réponse qui y sera apportée, se dessinera progressivement le nouveau paysage médiatique algérien.
Amar Naït Messaoud