Ces poètes faisant autorité dans la transgression d’autorité des règles grammaticales des langues

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Aèdes, rhapsodes ou encore bardes, autant de qualificatifs ont glorifié les poètes pour leurs peintures verbales des contemplations, des observations, des témoignages et des pensées émises sous forme «d’échos sonores». Parce que la poésie est un langage universel, un langage pour tous, il existe alors une sensible analogie entre les poètes de différentes cultures. Mais au-delà des genres et des thèmes traités, s’il y a une particularité qui retient l’attention des initiés du domaine des langues, c’est cette intervention libre qui devient autorité qu’ont ces faiseurs de paroles composées à transgresser les règles horographiques et ou grammaticales (nominales ou verbales) des constituants de leurs vers. Nos poètes Kabyles n’ont pas dérogé à cette «bousculade» heureuse des éléments aux règles souvent rigides et dénotées. Les transgressions sont variables. Elles peuvent intervenir soit pour réaliser l’harmonie d’une rime en introduisant une transformation au niveau du final (de la dernière syllabe du dernier mot d’un vers) soit par l’élision d’un phonème ou de son remplacement par un autre ou encore de rendre muette une syllabe initiale, centrale ou située en terminaison du mot. Pour sujet d’exemple, Yusef Uqasi, poète de la fin du 17ème siècle, avait besoin de terminer un de ses vers par la rime «i» et voila qu’il transforme le mot «Times» par «Timessi» (feu ou éclair). Comment se fait-il alors qu’un mot qui est donné d’être de l’ordre du formel et de la règle la plus absolue puisse-t-il enfin subir ces «outrages» qui finissent par s’installer dans l’usage du grand public et même être acceptés et théorisés par les institutions académiques ? C’est que les poètes sont insaisissables et de nature rebelle justement à ce qui est établi. Ils sont libres dans leurs expressions et s’affranchissent de la norme «agaçante». Ils laissent alors ouvert, ou pour le moins entrouvert, l’entrebâillement des deux battants de la même porte à travers lequel un faisceau de pensée pénètre comme une remise en cause de la norme. La norme absolue semble être pour eux plutôt une contrainte qu’ils n’hésitent pas à enjamber. Du coup, les poètes poussent un peu plus loin les limites de la langue et les ordres établis. Leur intervention par la transgression devient alors une forme de victoire sur la contrainte, ce qui suggère et permet de relancer le débat sur ce qu’est la norme. En ce sens et dans «Cours de linguistique générale», Saussure indique que la règle «est une discipline normative, fort éloignée de la pure observation et dont le point de vue est forcément étroit». L’éminent linguiste poursuit son observation en notant que «la langue est la somme de ce que les gens disent». Mais plus encore que de libérer les mots coincés dans la règle, nos poètes s’avancent comme des délégués de la pensée. Ainsi, Mammeri disait à juste titre que «La poésie satisfait en nous les secrets de nos désirs non exprimés mais exprimés par d’autres pour nous». Poètes et liberté pourraient relever de la synonymie.

Abdennour Abdesselam (kocilnour@yahoo.fr)

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