D’da Muh le fainéant

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Etant donné que Mohia, qui n’est d’ailleurs plus à présenter, n’a édité aucune de ses œuvres sous forme de livres, il n’est pas loisible à quiconque de mettre la main sur ses produits, pour la simple raison qu’il enregistrait tout sur des cassettes, qu’il revendait en petite quantité et à des prix symboliques, et cela durant les années 70 et 80. Une double décade, qui a connu un régime totalitaire et militariste, contre lequel Mohia déversait tout son fiel dans ses poèmes…Nonobstant le risque, des émigrés kabyles introduisaient subrepticement ses bandes magnétiques et les diffusaient au pays. Toutefois, la transmission orale de ses adaptations et poésies, n’est-elle pas due à cette perpétuation de la tradition ancestrale où contes populaires, histoires, “Isefra” et autres, sont légués “ab-intesta” lingual ? Ou bien parce que l’auteur “rechignait” à l’idée de faire fortune, avec ses créations ? Lui qui a vécu comme simple citoyen, et ne cherchait jamais à se mettre sous les feux de la rampe. En tout cas, nous avons entre nos mains ses K7, et ferons, par la même occasion, découvrir à nos lecteurs ses pièces théâtrales, ses coups de gueule, ses coups de cœur, etc… Cependant, ce ne sera pas une sinécure, parce qu’il faut “traduire” et “réadapter” ce que notre dramaturge a adapté à partir d’autres langues.Yennay-ak Mohia : D’da Muh est un montagnard. Sa femme, Taddamuht, tout comme lui et son fils, D’da Muh amechtuh, qui est encore dans sa berceuse. D’da Muh est un flemmard, un fainéant. C’est sa femme qui bosse et fait vivre sa famille. Elle élève des poules, des lapins. Elle jardine et se rend chaque jour à Draâ El Mizane, pour y vendre ses produits. Tandis que son homme, pantouflard passe ses journées à dormir et à donner le biberon à son fils. Un jour, comme à son accoutumée, Taddamuht s’apprêtait à sortir, pour aller à la ville de sa destination habituelle, elle dit à D’da Muh : “Je te conseille d’ouvrir les yeux pour trois choses : surtout, fais attention à notre enfant. Ne laisse pas les poules sortir, et surtout, ne bois pas la chope que j’ai mise au placard, elle contient du poison mortel”. Son mari obtempéra en se renfrognant. Taddamuht s’en alla et D’da Muh resta seul avec son fils. Ils le berçait et lui chantait une berceuse. Ils s’endormirent tous les deux. D’da Muh rêvait qu’il était devenu milliardaire, et buvait chaque jour du petit-lait ; qu’il était en compagnie des plus riches du pays. On lui proposa de devenir président, on l’adjurait, et enfin il accepta. Il était bien dans son rêve, mais le roi de la basse-cour le tira de son sommeil, par un cocorico strident. D’da Muh sursauta ; et dans son affolement, il culbuta la berceuse et D’da Muh amechtouh tomba à terre en se cognant le front. Il ouvrit la porte, il vit les poules sortir et s’enfuir dans tous les sens. Il courut pour les rattraper : “Ech ! Ech !”, pas moyen. Il rentra et prit son fils qui pleurait, il le remit dans sa berceuse et le balançait, en chantonnant : “Ah! Quand je m’étais endormi, j’étais Sidi Moh, et maintenant que je me suis réveillé, je suis toujours le même D’da Muh. Quand je m’étais endormi, je me gavais de lait caillé et de petit-lait, maintenant que je me suis réveillé, je ne me suis même pas repu du pain que je mange. Je rêvais que j’étais “Berzidan”, maintenant, susem kan awlidi susem”. Son fils s’est rendormi, finalement. D’da Muh commençait alors à se faire du souci pour le soir, quand sa femme rentrera et verra le chienlit dans sa maison. Et comme elle était acariâtre, il la craint énormément. Il se dit : “Aïe ! Aïe ! Taddamuht va me tuer. Elle ne trouvera point de poules, et quand elle verra D’da Muh Amechtuh blessé à la tête !”. D’da Muh, toujours plongé dans la consternation et les jérémiades, se dit : “Laânaya n rebbi ! C’est quoi cette vie que je mène ? Est-ce une vie ? nê, nê, nê… allez ! Mebla re… je me suicide !”. Il regarda à gauche, puis à droite, mais ne sut pas comment faire pour abréger ses jours.Il se souvint, soudain, de ce que sa femme lui a dit le matin même, il se dit : “Qu’est-ce qu’elle m’avait dit ? Il y a du poison dans une chope au placard”. Il prit le récipient, et but. “Hum ! Ce poison est délicieux !… Chah !”. Ensuite, il s’allongea sur le lit en attendant de mourir. Une demi-heure… une heure plus tard, il s’aperçut qu’il était toujours vivant. “Ce poison, se dit-il, est bizarre, je ne meurs pas encore ?” Puis il se souvint qu’il avait une bouteille de “Zombrito”, qu’il avait caché et la but jusqu’à la lie. Convaincu, cette fois-ci, de mourir sans encombres, il se dit : “Je vais mourir sûrement, maintenant. Mais ça ne fait rien, le poison d’aujourd’hui ? Plaise à Dieu que je meurs chaque jour avec un poison pareil, c’est exquis ! “ Il s’est remis au lit en titubant, il avait la tête qui tournait, il était sâoul. Peu après, il se rendormit, il se vit devenir président, sa femme à ses côtés, toute fière de lui : “Chaylellah D’da Muh ! Achou ?”. Ils mangeaient de la sardine et buvaient du petit-lait, c’était l’éden… Soudain, il se réveilla, en entendant sa femme, qui était de retour. Elle vociférait d’une voix tonitruante en lui reprochant d’avoir laissé la maison sans lumières. D’da Muh se dit : “Ah ! Quoi ? Mais comment se fait-il que j’entendes encore, ne suis-je pas mort ?”. Taddamuht alluma les mèches (tiftilin). D’da Muh Amectuh, se réveilla et commençait à pleurer, sa maman le prit dans ses bras, et poussa un cri d’épouvante lorsqu’elle vit son front plein de bleus. “Ay amxix-iw ! Mon fils s’est blessé… Ah ! Les poules, elles, sont sorties… et en plus il est ivre ! Quel homme es-tu !” Elle tançait D’da Muh, qui lui dit : “Tais-toi!…Je vais mourir d’un instant à l’autre”. Taddamuht s’exclama : “Comment ! Tu vas mourir, alors que tu es solide comme un sanglier !”, D’da Muh expliqua : “Je me suis empoisonné avec le poison que tu as mis sur l’étagère. Tu vas devenir veuve.” Taddamuht porta la main sur sa bouche et dit, ahurie : “Mais ce n’était pas du poison, c’était un peu de petit-lait, que je voulais garder pour le s’hor, demain c’est ramadhan… Ah ! Ay a chiwen, ma-d kechi dargaz !” Ils se chamaillaient, fort, très fort, au point où tout le monde au village était au courant de cette dispute. On cotisa et on acheta une grande chope qu’on remit à Tadamouht. Les cheikhs de Taddart se sont réunis pour tenter d’expliquer cette scène de ménage, ils convinrent comme suit : “Une femme, qui a son fils alité dans une berceuse, et qui élève des poules, il ne faut pas qu’elle mente à son mari, en prétendant que le petit-lait est un poison, ou que le poison est du petit-lait, et même si cet homme est gourmand et goulu et surtout s’il s’appelle D’da Muh, alors là !…”

Micips. Y.

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