«C'est une reflexion de dix ans»

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Il dit qu’il lui a fallu plus de dix ans de travail pour aboutir à ce 6ème album intitulé ‘Tuzzma d Tujjma’ (Remords et nostalgie). Ali Belhot revient donc cette fois avec 13 chansons à la clé. Cet album, l’artiste le décrit comme un regard en arrière et un autre vers l'avenir. Dans cet entretien qu'il nous a accordé à l'occasion de la commémoration du 18e anniversaire de l'assassinat de Lounès Matoub, Ali Belhot estime que depuis cette disparition tragique du Rebelle, la chanson engagée n'a toujours pas trouvé de meneur.

La Dépêche de Kabylie: Tout d’abord, pourquoi tant d’années d’absence?

Ali Belhot: Ce n’était pas une absence. Il m’a juste fallu dix ans pour voir un peu tout ce qui se passe. Ce nouveau produit est un double album. Si vous faites les comptes, je produis un album tous les cinq ans et je n’ai pas dérogé à la règle. Le dernier a été édité en 2005 sous le titre ‘’Achfawath’’ (Souvenirs).

Pourquoi ce titre Tuzzma d Tujjma ?

Eh bien, ce sont deux concepts qui valent leur pesant d’or. Tout d’abord, quand on avance dans le temps et dans l’âge, on a des remords par rapport à certains sujets, puis on a aussi de la nostalgie. Chacun de nous ne voit pas les choses comme lorsqu’il avait vingt ans. Et quand on approche de la cinquantaine, en moyenne la moitié de la vie, on a de la nostalgie pour beaucoup de choses. Tout cela est interprété dans les treize chansons de cet album. L’artiste se corrige et revoit sa manière de voir les choses et il fait d’autres analyses selon l’expérience acquise.

Comment avez-vous procédé pour le classement des titres ?

C’est un classement décidé par l’éditeur. Moi, j’aurais commencé par les chansons engagées telles par exemple les hommages à Lounès Matoub. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour dire que depuis l’horrible assassinat de Lounès, il y a un net recul de la chanson engagée même si d’autres comme Boudjemaâ Agraw ont continué de résister. La chanson engagée n’a pas encore trouvé de meneur de la trompe de Lounès, militant de toutes les causes justes. Dans « Leqvayel Cennun », la dixième chanson de l’album, c’est un regard critique sur la chanson kabyle d’aujourd’hui qui, malheureusement, ne véhicule plus un message identitaire.

Avant justement de revenir sur le contenu de ce nouvel album, pourriez-vous faire à nos lecteurs une rétrospection de votre vie d’artiste ?

C’est une carrière de plus de vingt-cinq ans, parsemée de hauts et de bas, de contraintes et de luttes. En 1990, mon premier CD avait été plagié en France. Il s’agit d’Ighuzran Hemlen, suivi en 1994 de A yil Mezyen, en 1997 Ur Yi tsadja, en 2001 Nek Maci D’aârav et en 2005 Cfawath. Permettez moi de revenir sur le CD de 2001 parce que c’est un tournant dans ma vie de combattant pour l’identité amazighe et la démocratie. Il faut que les lecteurs sachent que c’est un produit qui venait de couronner ma sortie de prison suite à mon arrestation lors des événements du printemps noir. J’étais arrêté emprisonné torturé et placé sous contrôle judiciaire. Et les percussions de tout genre ont alors commencé. J’ai traversé une période difficile. Cela m’a valu d’être licencié en 2005 de mon poste d’enseignant de Tamazight car j’étais dans la promotion des enseignants de 1995 connue comme « promotion Dda l’Mulud ».

Pourriez-vous nous parler de ces nouvelles chansons et des paroles ?

L’interprétation des chansons diffère d’une personne à une autre. L’artiste ressent des choses que ceux qui l’écoutent peuvent interpréter à l’infini. L’artiste a des messages à faire passer et il a réussi quand le message passe. Je vais donc vous donner quelques éléments-clés. Quand je dis  » Tujjma », cela me rappelle mes débuts dans ce domaine. L’acquisition difficile à l’époque d’une guitare est traitée par exemple dans la troisième chanson de l’album « Snitraw » (Ma guitare). Elle retrace le parcours de l’artiste qui doit se fabriquer lui-même son instrument. Elle fait aussi référence aux tabous de l’époque, quand on devait se cacher pour chanter. Dans la 12e chanson « Lehenni Ccekran », c’est le patrimoine culturel kabyle que je mets en valeur par des objets symboliques et les fêtes qui les célèbrent tels le tapis d’Ath Hicham, le bijou d’Ath Yenni, la robe d’Iwadhiyen, Seksu… En fait ce sont des faits culturels propres à nos régions. Bon, il y a aussi deux chansons d’amour. Je laisserai le soin au public de les découvrir.

Le combat pour l’identité amazighe a abouti à son officialisation. Etes-vous optimiste quant à son avenir ?

Oui, complètement. Il y a une avancée. Mais il faut donner des moyens à Tamazight pour qu’elle se développe. Au jour d’aujourd’hui, elle est encore facultative dans presque la totalité des régions du pays. Beaucoup reste à faire tel par exemple le problème de sa transcription qui n’est pas tranché définitivement. Son officialisation sera effective si et seulement si le système politique la soutient sur le terrain.

Un dernier mot…

En bien, je vous remercie pour cet entretien. Je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire dans le domaine de la chanson kabyle. Il est temps de redorer son blason parce que nos aînés, auxquels je ne cesserai jamais de rendre hommage, nous ont tracé la voie. Nous avons le devoir de continuer sur cette voie parce que la chanson kabyle est le moyen d’expression des espérances de tout un peuple. Elle est porteuse de valeurs et de repères identitaires. Quant à mes projets, je vous dirai que , puisque nous sommes en pleine saison estivale, je sillonnerai toutes les régions berbérophones pour faire la promotion de ce CD que je considère comme le couronnement d’un quart de siècle de lutte et de combat en attendant de produire un autre.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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