Il ne viendrait pas à l’idée d’un Algérien normalement constitué de renier l’indépendance de l’Algérie ou d’en douter. Que ce soit le 3 ou le 5, peu importe. Qui ne se souvient pas de ce plus beau jour où l’Algérie accéda à la liberté à la souveraineté de pays, enfin libérée du joug du colonialisme. Ce jour d’hystérie festive, de réjouissances folles, de fêtes gigantesques et spontanées. Ce jour on ne savait pas faire semblant. On ne savait penser autre chose que l’Algérie se réveillant d’une apnée qui aura duré plus de 130 années de chaines, d’exploitation effrénée, d’indigence et de toutes les injustices. Ce jour fut un jour de renaissance, de jouvence retrouvée et d’espoir incommensurable que «les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître». Ce jour-là on exultait. On dansait notre saoul de liberté sans «bendir» ni «zorna». On criait à tout va «tahia el jazaïr !». Dans tous les recoins du pays, du village perdu dans les montagnes au douar le plus reculé du pays profond, des gourbis du peuple aux kheimas des nomades, il n’y a pas une once de ce vaste «polygone» où l’on ne célébrait pas cet acquis monumental. «À l’homme le plus pauvre, à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent, la pluie ou la neige. À celui qui depuis sa naissance n’a jamais eu le ventre plein. On ne peut cependant ôter ni son nom ni la chanson de sa langue natale ni ses souvenirs ni ses rêves. On ne peut l’arracher à sa patrie ni lui arracher sa patrie. Pauvre, affamé nu, il est riche malgré tout de son nom d’une patrie terrestre son domaine et d’un trésor de fables et d’images que la langue des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte la vie (…) Nous voulons la patrie de nos pères, la langue de nos pères, la mélodie de nos songes et de nos chants, sur nos berceaux et sur nos tombes. Nous ne voulons plus errer en exil dans le présent sans mémoire et sans avenir. Ici et maintenant nous voulons, libre à jamais sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige, notre patrie : l’Algérie. (In ‘Le Combat algérien’ Jean El Mounoub Amrouche). Et ils l’ont eu ce jour faste par la force des armes, du combat pieds à pieds contre l’une des forces les plus armées du monde, de luttes implacables et sans merci.
Ils l’ont eu ce jour par les sacrifices qu’ils ont consenti, par les douleurs indicibles qu’ils ont subi, par les privations et par la foi en leur destin inéluctable. Aujourd’hui, 56 ans après, que reste-il de ce souvenir ? Résolument pas grand-chose. Sauf qu’il y a des algériens qui, vaille-que-vaille, se souviennent du jour où l’Algérie se délivrait du colonialisme. Du jour où l’Algérie est venue péniblement au monde.
S.A.H