La Dépêche de Kabylie : Pourquoi ce titre de «capuchon de l’abondance» donné à l’oeuvre ?
Olivier Graïne : C’est un titre que j’ai abandonné. D’ailleurs, la capuche du burnous dans la statue finale est plate. Une œuvre évolue. Je craignais qu’on la tourne en dérision en la surnommant «papa noël» à cause d’une capuche volumineuse.
Après plusieurs années d’attente, la statue est enfin prête, quel est votre sentiment en voyant que vous êtes arrivé à ce résultat ?
Un sentiment de peur qu’elle soit rejetée, qu’on ne la comprenne pas, car elle reste une œuvre subjective. J’ai choisi une composition allégorique à laquelle les gens ne sont pas habitués chez nous. Chez nous, les artistes ne créent pas des œuvres quand ils peignent ou sculptent un personnage, ils reproduisent des photos qui nous sont familières. Les gens s’attendent à une reproduction photographique et ils sont déçus quand celle-ci n’est pas fidèle à la photographie. Le travail artistique doit se situer au delà. Une œuvre, en plus de représenter un personnage, doit surtout porter en elle le langage plastique de l’artiste, son empreinte, donc sa subjectivité. Sinon à quoi bon ? Ceci dit, c’est vrai que je porte ce projet depuis 1997 ! Je suis heureux de l’avoir réalisé grâce à l’engagement du maire d’Ath Yenni, Deghoul, et de l’ancien président de l’APW, Haroun, qui m’ont fait aveuglément confiance.
La statue inaugurée en votre absence…
Son inauguration coïncide avec le finissage d’une exposition que je tiens à Bonn en Allemagne et je dois y être.
Sinon quel est le message que véhicule la statue ?
Comme je l’ai dit précédemment, j’ai laissé l’œuvre évoluer en dépassant la maquette tout en respectant l’essentiel de sa composition. Je ne voulais pas d’une statue de style baroque avec beaucoup de plis, mais une statue qui, tout en demeurant classique, s’inscrit dans son temps. Le personnage est assis sur des ruines indéfinissables qui elles mêmes reposent sur des roches. Le visage plutôt grave tourné vers Tawrirt Mimoum, il récupère ses feuilles d’études que le vent a emportées (les feuilles étaient toutes sur son genou gauche, il en reste une qu’il a empêchée de s’envoler in extremis… d’ailleurs ses doigts ne la touchent pas encore). Il les récupère dans le creux d’un pan de son burnous qu’il tient d’une main ferme par un geste réflexe qui le fait glisser sur son épaule droite. Je ne voulais pas d’un burnous massif comme sur la maquette qui serait celui d’un bourgeois bien installé chez lui. Le burnous de Mammeri est celui d’un savant et d’un artiste dynamique pris dans les tourmentes de son temps. Ces feuilles se confondent d’ailleurs avec son burnous. Sur une des feuilles tombantes est gravé la citation suivante «Win itruẓun assalu…» L’abondance de ces feuilles, témoigne du génie créateur de Dda Lmulud et des conditions hostiles dans lesquelles il a évolué… Son socle et son emplacement en sont parties intégrantes. J’avais hérité d’un emplacement problématique. Un triangle coincé entre deux rues qui font fourche à plus d’un mètre de décalage, avec d’un côté une bâtisse sans charme et de l’autre une ouverture sur le massif montagneux du Djurdjura gâchée par des poteaux électriques massifs. Ce lieu ne peut devenir une placette de par sa configuration, mais il fallait que je fasse avec. L’idée de l’architecte, que j’ai engagé en Allemagne, était de surélever l’espace, de l’entourer d’un muret et de créer deux accès au fond. Si j’avais construit ce mur, il aurait été trop massif du côté gauche, trois mètres de haut ! En réponse à ces problèmes, j’ai opté pour une élévation en deux niveaux séparés par une ceinture verte (romarin). Si pour le premier niveau j’ai fait construire un simple mur de soutènement en pierres, le second est formé de roches massives enfoncées dans le sol. De plus, j’avais fait détruire un mur écran qui cachait le départ de la colline à laquelle notre triangle a été gagné pour donner à la statue un arrière plan végétal et naturel. J’ai fait transplanter un olivier, l’arbre préféré de Dda Lmulud, un arbre adulte qui est une réussite grâce au bien-nommé monsieur Ahmed Zemour. J’ai choisi de ne pas fermer le lieu à l’aide de barreaux de fers mais de le garder ouvert entouré d’une haie verte. En construisant ce lieu seulement avec des pierres et des roches, grâce à l’aide de Mumuh Zentar, Achour Zemour et Hacene Boubred, l’idée de le faire en harmonie avec la maison kabyle ancienne n’a jamais quitté mon esprit.
Peut-on dire que vous avez réalisé tout ce que vous aviez à l’esprit ?
Mon but, et j’espère l’avoir atteint, était que ce lieu donne l’impression de nous avoir vu naître, qu’il a toujours été là qu’il est le vestige d’une grande cité disparue et qu’il nous rappelle d’où l’on vient. D’autres éléments viendront enrichir cet espace et ses environs au fur et à mesure. Des ajustements et améliorations y seront opérés périodiquement. D’ailleurs, j’appelle à la création d’un comité citoyen pour la préservation de ce «jardin kabyle»
Entretien réalisé par Makhlouf Boughareb