«Préserver nos étudiants de l’endoctrinement»

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Le recteur de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Pr Arezki Derridj, commente dans cet entretien le mouvement de protestation initié par les enseignants de langue amazighe qui contestent leur délocalisation sur Tamda et évoque d’autres questions relatives à l’université et à sa gouvernance.

La Dépêche de Kabylie : Les enseignants du département de langue et culture amazighes de Hasnaoua contestent leur délocalisation sur le campus de Tamda. Votre commentaire à ce sujet ?

Pr Derridj : Cet institut nous tient particulièrement à cœur, mais au niveau de Hasnaoua 1 et Hasnaoua 2 nous n’avons pas la possibilité de créer de nouvelles structures à caractère pédagogique et scientifique. La décision a été prise alors par le conseil scientifique de l’université et le conseil d’administration, après consultation des comités scientifiques de départements et les conseils scientifiques de facultés, de créer cette nouvelle structure qui sera domiciliée à Tamda appelé à constituer le plus grand pôle universitaire que nous comptons, à moyen terme, ériger en Université avec l’accord de notre tutelle. Les structures à caractère pédagogique, prévues à Tamda, sont pour l’institut, celle de langue et culture amazighes, l’institut d’agro-sylvo-vétérinaire et les deux départements de l’architecture qui dépendent de la faculté du génie de construction et sciences financières. Nous comptons aussi faire à moyen terme un institut national de sciences financières et mathématiques appliquées. La faculté de médecine, dotée de 4 000 places pédagogiques, sera aussi domiciliée à Tamda. Nous avons d’ailleurs proposé à ce que le nouveau CHU soit fait à Tamda, une proposition déjà approuvée par le Wali.

Mais vous ne dites pas grand chose du mouvement de protestation des enseignants ?

La décision a été prise, au risque de me répéter, il y a plus d’une année, d’ériger le département en institut national de langue et culture amazighes, pour lui donner une dynamique dans son développement. Cette nouvelle structure ne va pas induire le déménagement de tout le département qui restera au niveau de Hasnaoua 1. Il n’y aura que les premières années qui seront à Tamda. L’institut va se développer. Il aura la possibilité d’ouvrir plusieurs départements. A Tamda, il y a toutes les infrastructures, et puis c’est toujours l’université Mouloud Mammeri. En outre, l’infrastructure routière vers Tamda est en train de se développer, donc on ne voit pas où est le problème. Une délégation d’enseignants a été reçue dans mon bureau en présence du vice-recteur de la pédagogie et du chef du cabinet. Nous les avons convaincus. Ils avaient évoqué dans leurs argumentations que le département est lié à Hasnaoua 2, j’ai répondu que ce département, j’ai contribué à sa création, je suis enseignant depuis 1980. La langue amazighe n’est plus opprimée comme ce fut le cas il y a quelques décennies, elle est non seulement une langue nationale mais aussi officielle pour tous les Algériens. On va juste donner les moyens à cette langue de se développer et c’est au niveau de Tamda qu’on a les moyens pour ça. Les enseignants ont aussi parlé d’avoir la proximité avec la Maison de la culture… mais cela n’est pas raisonnable, il faut avoir une projection à long terme, Tamda est une future grande ville. Donc, mes collègues de Tamazight sont sortis de mon bureau convaincus et je répète que nous sommes prêts à les accompagner et à leur expliquer, en septembre, la nécessité de cette démarche.

Quelles sont justement les mesures prises pour le bon déroulement de la prochaine rentrée universitaire ?

La rentrée se prépare avant tout pour les nouveaux bacheliers et au jour d’aujourd’hui la première étape des préinscriptions a déjà été bouclée. Le 31 juillet, débutera celle des recours. On a refait la bibliothèque centrale de l’université pour l’occasion, car elle était dans un état déplorable. On a tenu à ce que l’accueil des nouveaux bacheliers se fasse dans les meilleures conditions possibles. On a mobilisé le personnel et les moyens pour les aider dans leurs démarches. Nous nous réunissons régulièrement pour bien préparer cette prochaine rentrée. Aussi, quand je suis arrivé le 13 avril dernier, il y avait des perturbations. Nous avons rétabli, dans un premier temps, la sérénité et le dialogue, en procédant à des nominations et nous avons pu terminer la première session pédagogique de juin dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, dans certaines facultés qui ont connu des perturbations (grèves), les examens ont été reportés à septembre. Concernant la préparation des infrastructures, il est certain que nous recevrons d’ici septembre 4 300 places au niveau de Tamda, sur un ensemble de 7 000 prévues. Le reste, on le recevra d’ici la fin de l’année. Il n’y aura pas de déficit avec les 7 200 places cédées par les diplômés sortants. Le nombre de nouveaux étudiants attendus est approximativement de 11 000.

Quels sont les problèmes que rencontre actuellement l’université Mouloud Mammeri, sur les plans structurel et pédagogique ?

La difficulté de l’université de Tizi Ouzou est liée à son effectif et à son morcellement. Nous avons pensé bien faire en créant de nouvelles structures autonomes à Tamda pour une meilleure gestion. Notre université est la plus importante sur l’échelle nationale sur le plan effectif des étudiants. Le grand problème, c’est qu’il y a beaucoup de besoins et avec la crise nous sommes tenus à des restrictions budgétaires, ce qui va nous gêner dans l’aboutissement des projets. Néanmoins, on ne peut économiser sur certains aspects pédagogiques, la graduation et post graduation et la restauration universitaire, par exemple.

Pensez-vous que le campus de Tamda est prêt pour recevoir les nouveaux instituts que vous y avez installés ? Surtout que sur le plan sécuritaire, l’année dernière fut mouvementée à Tamda où plusieurs plaintes ont été enregistrées à différents niveaux. Avez-vous pris des mesures pour remédier à cette situation ?

Lors de la dernière réunion avec le wali, nous avons insisté pour que les nouvelles structures qui vont être livrées prochainement soient dotées de clôtures, afin d’éviter que des personnes mal intentionnées rentrent et portent atteinte aux étudiants ou au personnel. Je suis rassuré il y a un commissariat sur place et on a aussi renforcé le dispositif de sécurité (agents de sécurités). Les nouvelles infrastructures sont prêtes à accueillir les étudiants. Nous ferons en sorte que dès les premiers jours, les transports et les résidences universitaires soient prêts à recevoir les étudiants.

Quel est votre plan d’action pour mener à bien le fonctionnement de l’université cette année ?

Mon objectif premier est l’intérêt général. J’ai 36 ans d’expérience, je suis professeur et j’ai fait soutenir plus de 11 doctorats, 30 magisters et plus de 100 entre ingénieurs et master. Je suis en fin de carrière, j’ai accepté la proposition de ma tutelle pour ce poste pour donner un nouveau souffle en matière de gouvernance. Je désigne par nouvelle gouvernance le respect de l’éthique entre étudiants, enseignants et administration. Tout le monde doit se respecter. D’ailleurs, pour la rentrée prochaine, j’ai prévu un colloque qui va se faire sur l’éthique et la déontologie qui va déboucher sur une charte de l’étique et de la déontologie, afin que soit respecté cet espace de Science et de Savoir. Certains veulent en faire un terrain politique, chose que nous refusons. Nous sommes pour que nos étudiants se forment politiquement, mais pas d’endoctrinement pour des fins partisanes.

Comment comptez-vous procéder, sachant qu’il y a déjà une note ministérielle dans ce sens qui n’a pas été respectée jusque-là ?

Je m’inscris dans cette optique justement. Oui pour le débat, mais je ne vais pas ouvrir l’université pour des meetings partisans. Les étudiants ont le droit de débattre librement de politique, entre eux et avec leurs professeurs. Mais toute conférence doit avoir l’aval de la faculté. Je tiens à préciser qu’un étudiant est un citoyen. Il a le droit de s’inscrire dans n’importe quelle mouvance politique, mais en dehors de l’université. Un étudiant ne doit pas utiliser un comité ou une structure syndicale pour des fins partisanes. Sur ce plan, je suis complètement en accord avec mon ministre de tutelle. Rétablir un climat de vivre-ensemble et de respect est le premier point. Le deuxième est la qualité de nos formations, de façon à ce qu’elles soient compétitives sur tous les niveaux. Le troisième point est l’employabilité de nos diplômes. J’ai une façon active de faire face à la crise, en formant dans certains domaines comme l’agriculture et l’environnement à titre d’exemple.

Tizi-Ouzou, depuis huit années consécutives, est en tête du classement des résultats du Baccalauréat. Par contre, l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou traîne en bas du classement des universités à l’échelle nationale et international…

Je signale que notre université est toujours ébranlée par les grèves. Avec la charte de l’étique et de la déontologie, j’aimerais aller vers zéro grève, pour qu’on puisse mettre le paquet sur l’enseignement et la recherche. Notre université a de la qualité une de nos enseignante a eu récemment le Prix de l’Excellence. Nous avons chaque année des étudiants qui se distinguent au niveau national, cette année il y en a quatre qui ont obtenu un concours national… Donc, la qualité de l’enseignement y est. Nous avons toutefois un problème de visibilité de notre université et il réside au niveau du site. Nos productions scientifiques et recherches ne sont pas non plus visibles. Et nous allons remédier à ce problème.

C’est votre mot de la fin ?

Je voudrais juste que toutes les bonnes volontés s’unissent pour réussir le challenge de l’université qui à besoin de stabilité pour appliquer notre feuille de route.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum

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