“Des tentatives de rupture avec le rite malékite”

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“Il y a quatre cent mosquées sans imams en Kabylie !”. Cette petite phrase lâchée par le ministre des Affaires religieuses pour lapidaire qu’elle est, n’en est pas moins révélatrice d’une situation qui se décline non pas en termes de simple vacance de postes, remédiable à tout moment mais plutôt en termes où l’extrémisme le plus virulent le dispute à l’intolérance primaire.Dans une société, la nôtre où la démarcation entre le sacré et le profane pour tenue qu’elle est, car il n’y a pratiquement aucun pan de l’activité sociale où ces éléments ne s’entrecroisent souvent douloureusement, parfois en douceur n’en est pas moins un sujet d’une extrême délicatesse, l’information sur le fait religieux celui “underground” et qui de ce fait ne se relaie qu’entre unités, est souvent éludé rarement porté sur la place publique.Il se trouve dans cette nébuleuse interlope des imams fonctionnaires, une poignée d’hommes du culte éclairés, résolument tournés vers l’avenir et qui dans le même temps ne renient en rien l’Islam de nos aïeux.`Nous avons rencontré l’un d’eux, grand homme dont les convictions sont proches de celle de l’immense Mahatma Mohandas Gandhi, par leur tolérance, leur justice, leur humanisme. Ecartant toute référence à la violence, il affirme que seule une idée peut combattre une idée. Tout un programme !Cheikh El Mouhoub, appelons-le ainsi par souci de l’anonymat qu’il a requis, n’a esquivé aucun sujet, aucune question, sachant faire le distinguo entre l’esprit et la lettre.“Oui, il existe un déficit en imams. Il est réel et tourne autour de la cinquantaine dans notre wilaya. Les villages sont les plus touchés surtout les plus enclavés. Alors qu’en ville la tendance est inversée et il y a plus de postulants que de mosquées. Cette pléthore d’imams citadins fait que certains lieux de prière se retrouvent avec 3 voire plus d’officiants”. Ces informations débitées sur un ton mesuré par cheikh El Mouhoub corroborent dans une certaine mesure les affirmations du ministre ainsi que celles de la direction locale des affaires religieuses. Les chiffres officiels, eux, font état d’un déficit se situant entre 30 et 40 imams. Seulement ajoute le directeur de wilaya de Béjaïa des affaires religieuses, “les mosquées sans imams ne sont pas fermées.La direction de la prière est confiée à des volontaires, contractuels ou non préalablement testés et jugés aptes à la conduite du culte”. Notons que la wilaya recèle 457 mosquées et 9 zaouias. Les imams de Béjaïa sont, toutes catégories confondues au nombre de 291 sans compter les muezzins, maîtres coraniques et kaïms.A la question de savoir si ce déficit n’est pas une brèche ouverte, une tribune idéale pour la diffusion des idées qui font le lit de terribles dépassements et d’horreurs paroxystiques notre providentiel interlocuteur se veut rassurant “si c’est de la dérive islamiste dont vous voulez parler, permettez-moi de vous dire qu’il n’y aucune raison d’avoir la moindre inquiétude pour l’heure. Les esprits sont devenus imperméables et c’est là toute l’œuvre admirable de résistance de nos populations”.Puis tempérant quelque peu cet élan optimiste, le cheikh ajoute : “cela ne signifie pas que tout danger est définitivement écarté. La passation du témoin entre la génération d’hier à la notre formée à bonne école, celle qui fait la part belle au culte de nos aïeux et’actuel risque d’être douloureuse. Pis, elle est porteuse de dangers, potentiels. Les affaires religieuses en faisant appel aux contractuels pour combler le déficit s’adjoignent le concours de jeunes mâles formés peut-être mais porteurs à coup sûr d’idées subversives et de rites aux contours incertains. C’est ainsi qu’il tentent sans grand succès pour le moment de rompre avec le rite multiséculaire malékite. Avec la mise à l’écart progressive (retraite, disparition…) des anciens tous les doutes sont permis quant à la continuité de notre œuvre faite de tolérance, de pacifisme et d’humanisme. Cette générosité qui est celle de nos ancêtres et aux antipodes des conceptions de nos jeunes imams”.Certes le rapport de forces penche actuellement en faveur des anciens, beaucoup plus en termes d’influence et de renom, ce qui explique la quiétude toute relative et conjoncturelle qui règne dans nos mosquées, le changement est imminent. 10,15 ou même 20 ans ? Ce n’est rien pour ceux qui savent attendre avant d’investir les mirhabs et propager un discours insidieux d’une violence qui ne s’embarrasse ni d’états d’âme, ni de fioritures. Un discours qui du maître d’Alamout, l’étudiant balafré Hassan Sabbah, à Hassan El Bana, des GIA au fous de Dieu de Kandahar, de siècle en siècle est devenu intemporel à force d’uniformité et de répétitivité !La difficulté, l’énormité de la tâche ne rebutent guère cheikh El Mouhoub qui espère à force de persévérance pouvoir inverser la tendance.Pour preuve c’est avec une satisfaction à peine contenue qu’il annonce “le nombre des barbes stagne à Béjaïa car ils ne recrutent plus. Certains ont retourné la casaque. Le wahabisme dans le même ordre d’idée n’a jamais pris dans nos contrées. C’est un signe très encourageant.” Concernant les relations, souvent controversées entre mosquées et zaouias, le cheikh se félicite de ce qu’elle soient caractérisées à Béjaïa par une harmonie bien réelle et une synergie qui ne s’est jamais démentie.Si pour l’heure, la tendance est à la sérénité (enfin presque) et à l’entente cordiale entre les anciens pas tout à fait “has been” et les jeunes qui piaffent d’impatience pas très religieusement corrects en ce qu’il bousculent les traditions d’un Islam tolérant, le seul l’unique, l’avenir risque d’offrir des lendemains qui déchantent. Le problème n’est pas tant en aval où les ouailles s’avèrent du fait même de leur ignorance malléables et manipulables à merci, mais plutôt en amont, au cœur même des écoles de formation où la légèreté avec laquelle les doctes dispensateurs de la foi dite vraie, pâles avatars de Girolamo Savanarola brassent à tour de bras idées et concepts qui font la part belle à l’intolérance et à son corollaire la violence, à travers un enseignement venu d’ailleurs… Ecole ou boîte de Pandore ? Les générations futures auront le loisir d’apprécier. Osons espérer seulement qu’il ne s’agit là que d’un nouvel épisode, furtif, du manichéisme et que la lumière va triompher du côté obscur des ténèbres. Evitez Armaguedon ! C’est tout le mal que l’on souhaite à nos enfants.

Mustapha Ramdani

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