Vivre Achoura à Souama…

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En plus de la symbolique religieuse d’Achoura, l’aspect humanitaire et social de la festivité est omniprésent dans la région de Kabylie. Cette journée, le moins qu’on puisse dire rassembleuse, a toujours été fêtée en Kabylie d’une manière exceptionnelle.

La coutume et la tradition transmises de génération en génération veulent que cette journée soit une opportunité pour renouer avec l’esprit de la solidarité du rassemblement, de l’union et de la fraternité. C’est l’occasion de renforcer la cohésion sociale entres les villageois. A Souama, ce beau village situé à 55 km du chef-lieu de la wilaya Tizi-Ouzou, la fête d’Achoura est sacrée, non seulement pour son aspect religieux, social et humanitaire, mais parce que le village a une longue histoire avec cet événement. Les sages du village racontent que rompre avec cette tradition «porte malheur», et ferait «une malédiction sur les villageois». Dans les années 90, pour des conflits internes, et en l’absence d’un comité le village n’a pas pu être au rendez-vous et les rites habituels ont été négligés. Les conséquences furent très lourdes sur le village. Plusieurs décès, des accidents et des morts tragiques et plusieurs autres tristes événements ont endeuillé le village. Hasard ? Peut-être. Mais pour les vieux du village, et même les autres, le lien est plus qu’évident, «le châtiment divin s’était abattu sur la région». Ça ne pouvait être que «la malédiction d’Achoura». Depuis, les villageois se sont engagés à honorer la tradition et à la fêter convenablement, peut importent les circonstances. Et effectivement, l’engagement a été respecté depuis. Cette année donc, Souama était au rendez-vous. Par le biais de haut-parleur de la vieille mosquée du village, le comité a lancé un appel aux villageois pour réunir les dons. L’information se répandit à la vitesse de la lumière. Ce fut l’événement, tout le monde en parlait.

Vrai châtiment ou paranoïa des villageois ?

Le lendemain de l’appel, comme prévu, le village rompit avec son calme et sa routine, place aux préparatifs. A Tajmaath Nwada, lieu de rassemblement des villageois, de bon matin, les membres du comité et les représentants des familles étaient déjà installés. Les villageois étaient au rendez-vous. Hommes et femmes, se succédèrent au siège de Tajmaat pour donner leurs dons, argent ou autre, chacun selon ses capacités, sous la bénédiction de l’Agraw, un conseil composé de l’Imam du village et des sages. Ces derniers, à haute voix, prient pour les donneurs : «Que Dieu vous bénisse», «Que vos vœux soient exhaussés»… Et tous les présents lancent à l’unisson des «Amine !». Nul n’est exclu de l’opération. «Même ceux habitant à Alger ou à l’étranger sont représentés, et leurs dons nous sont parvenus», dira le président du comité de village, Sadji Meziane. Au centre de Tajmaât, où le couffin traditionnel est posé la cagnotte est visible pour tous. «Elle a l’air très importante cette année», lance un villageois avec fierté. «L’austérité n’a pas eu raison de la générosité des villageois», rétorque un autre. L’opération durera toute la matinée. Le président du comité du village, après le décompte, parlera de «près de 400 millions récoltés cette année». Avec cette somme, le village a acheté 7 bœufs, 3 autres ont été offerts. Un villageois a lui offert un mouton, suite à un rêve qu’il a fait. A Souama, suivre les rituels ancestraux est primordial et avant leur immolation, on fait faire aux bêtes le tour du village, un moment très attendu, notamment par les enfants. Jeudi dernier donc, à la place du village «Tahanouts», les hommes se sont rassemblés, les enfants couraient dans tous les sens et criaient. L’attente ne fut pas longue. Deux camions transportant les 10 bœufs ne tardèrent pas à arriver. Un groupe de jeunes, «les plus costauds», dira un villageois, sont chargés de tenir les bêtes, auxquels on a bandé les yeux, et de les guider à travers les rues du village. De Tahanouts, à Tajmaât Nwadda, puis à celle d’Oufella, le cortège fut accompagné de youyous et de prières. Les cris des enfants emplissaient le ciel.

La parade à Sidi Belkacem Oudaoud

«C’est un véritable moment de joie», dira Taoues qui attendait le passage des bœufs devant chez elle. Le lendemain, à l’aurore, les bœufs sont conduits à la place dite L’hed, un endroit à l’extrémité du village qui marque sa frontière avec celui de Bouatba. Une équipe de bouchers était déjà sur place. Tout le monde se regroupa là-bas. Les 10 bœufs furent immolés. Tout le monde a assisté à l’opération et chacun aida du mieux qu’il pouvait. En parallèle, les membres de comité mettaient à jour la liste des habitants du village en prévision du partage de la viande. «Nous ajoutons les nouveau-nés, les nouvelles mariées et nous enlevons les morts. Nous incluons aussi les invités. Toute personne de passage le jour d’Achoura à Souama a droit à une part», explique le président du comité. La répartition des parts se fait en effet en fonction du nombre des membres de chaque famille. Vers 11heures, un autre appel via le haut-parleur de la mosquée : «ô villageois, c’est le moment de la répartition de la viande». Aussitôt, les représentants des familles se dirigeant vers l’Hed pour chercher leur part de viande. Une opération qui se déroule sous l’œil des membres du comité et les représentants des familles. «Il ne faut surtout oublier personne», avertit un membre du comité. «Ce soir, tous les villageois auront droit au même repas, qu’ils soient riches ou pauvres, c’est cela même l’esprit de Taachourt», diront plusieurs villageois. Puis un autre moment très attendu est arrivé. Dans l’après-midi, place à la parade avec l’emblème de «Sidi Belkacem Oudaoud».

C’est un des mausolées du village où les villageois font un pèlerinage le jour de Achoura. Plusieurs histoires se racontent sur ce saint homme. «Il a donné 7 de ses enfants pour le village», «C’est même lui qui a fondé le village de Souama», dit-on. Donc, accompagnant la procession traditionnelle avec en tête un porteur de son emblème, hommes, femmes et enfants, font le tour du village en récitant des chants religieux et traditionnels, le rythme des chansons se mêle à la spiritualité des textes, un grand moment pour les villageois, l’émotion se lisait sur tous les visages.

Le seul village à célébrer le rituel en nocturne

Le soir arrive. Souama veille. C’est le seul village en Kabylie qui célèbre Taachourt la nuit. Sur la place du mausolée, les habitants commencent à affluer. Ils sont très nombreux, ils viennent même des villages voisins. Comme le veut la tradition à Souama, le jour de Achoura, les nouvelles mariées et les nouveau-nés viennent rendre visite au mausolée de Sidi Belkacem Oudaoud. «Je vais affronter les regards des villageois aujourd’hui. En plus, nous sommes nombreuses à venir cette année, j’espère que tout se passera bien», nous dira Lydia, une nouvelle mariée. La foule est nombreuse, les femmes habillées de leurs plus belles tenues kabyles et plus beaux bijoux. Chacun vit l’évènement à sa façon. Tout le monde est là mais pour différentes raisons. Mohand nous confiera : «J’accompagne la famille, c’est tout. Personnellement, ce genre d’événements ne me dit rien». «Je ne sors jamais de chez moi et c’est là l’occasion de voir du monde», dira Zahia. «Moi je cherche mes anciennes copines, nous nous retrouvons chaque Achoura», nous confiera Radia. A l’intérieur du mausolée, les visiteurs font le tour de la tombe de Sidi Belkacem Oudaoud. Pour certaines vieilles comme Nna Malha, c’est l’occasion de faire des prières, la réceptivité du lieu est à son comble. A l’extérieur, le couscous est servi à volonté. C’est une nuit de retrouvailles pour beaucoup de villageois, l’heure est aux embrassades. Une nuit pas comme les autres qui marquera longtemps les esprits de la population locale et des visiteurs.

Kamela Haddoum

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