Cadre supérieur de la CNAS à la retraite et ancien maire de la commune de Timizart (entre 2005 et 2010), Lounis Mehalla est actuellement vice-président de la coordination des zaouïas de la wilaya de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, il nous livre son témoignage sur les manifestations du 11 décembre 1960.
La Dépêche de Kabylie : Quel était le climat, à Alger notamment, à la fin de l’année 1960 ?
Lounis Mehalla : Les forces armées de l’ex-puissance coloniale croyait avoir détruit l’organisation militaire et paramilitaire du Front de Libération Nationale (FLN) au niveau d’Alger. Et c’est vrai qu’à ce moment-là la révolution s’était assoupie dans la capitale, surtout après la répression qu’a subie la population durant la fameuse bataille d’Alger. Mais les gens restaient soudés, solidaires et vigilants.
Quels sont les souvenirs que vous gardez des manifestations du 11 décembre 1960 ?
Les événements du 11 décembre 1960 ont éclaté dans l’Oranie, à Aïn Timouchent plus exactement, après la visite du général Charles de Gaulle dans la région. Au début, des affrontements ont eu lieu entre Français : les pieds noirs qui soutenaient le général et ceux qui étaient contre lui. C’est lors de cette visite que le général avait déclaré «L’Algérie algérienne». Ce qui avait provoqué un tollé général. La déclaration eut un impact considérable : d’un côté elle conforta la prise de conscience des Algériens, et de l’autre, elle provoqua la division des Français en deux camps adverses. Il y a eu ensuite des incidents à Belcourt, des manifestations spontanées. Je m’en souviens très bien. Les images sont encore vivaces dans mon esprit. Les manifestants scandaient : «Algérie algérienne», «Algérie musulmane», «Vive le GPRA» et «Abbes au pouvoir»… Des slogans repris par toute la presse de l’époque. Les manifestants brandissaient des portraits de Ferhat Abbas, de Krim Belkacem… Les hommes et les femmes étaient dans la rue, réclamant l’autodétermination pour l’Algérie. Au début des événements, il y avait juste quelques CRS et gendarmes français qui tentaient de calmer les manifestants. Mais très vite, les lieux grouillaient de détachements entiers de parachutistes. Ils ont commencé à tirer sur la foule. Il y eut plus de 700 morts. La première victime fut Saliha Ouatiki, une fille âgée de douze ans. Aujourd’hui, une rue d’Alger porte son nom. La grogne prit de l’ampleur pour atteindre Constantine, Oran, Tizi-Ouzou… Des manifestations se sont étendues à toutes les villes algériennes.
Quelle était la réaction des troupes armées françaises?
Lorsque l’administration coloniale vit l’ampleur que prenaient les événements, elle fit appel à des renforts. En plus des régiments de parachutistes, des unités d’élite, des commandos de chasse et autres troupes opérationnelles ont été dépêchés pour réprimer le mouvement de protestation et rétablir l’ordre. Alger était devenue le théâtre d’une répression sanglante. Les soldats français tiraient dans tous les sens, des centaines de personnes sont mortes, des femmes, des enfants, des personnes âgées…
Quel fut, selon vous, l’apport de ce mouvement spontané à l’élan révolutionnaire pour l’indépendance de l’Algérie ?
La manifestation spontanée du peuple algérien le 11 décembre 1960 a redynamisé l’action du GPRA. Elle a donné de l’élan au mouvement révolutionnaire. Il y avait eu dans la même année des tentatives de négociations entre le GPRA et le gouvernement français. Une délégation du GPRA avait rencontré des représentants de la France, à Melin. Mais les négociations avaient été interrompues. Et les événements de ce 11 décembre les ont relancées. L’ALN, branche armée du FLN, a été reconnue comme une force incontestable.
Entretien réalisé par Djemaa Timzouert