Un village riche en histoire et en bois !

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Almaguechtoum est un village qui s’accroche avec fierté à la superbe montagne de Tamgout, un mont qui culmine à 1 252m d’altitude. L’image donne l’air d’un essaim d’abeilles collé à un tronc d’arbre.

Ni les atrocités subies durant l’époque coloniale, ni les menaces terroristes lors de la décennie noire, ni encore moins les contraintes d’un relief difficile et accidenté, n’ont pu affecter l’attachement de ses habitants à la terre nourricière de leurs aïeux. Une détermination du reste commune aux habitants de tous les villages kabyles. Cette bourgade de 1 200 âmes était rattachée à la commune de Yakouren, avant qu’elle ne le soit transférée à la commune d’Akerrou. Perché à 820 m d’altitude, Almaguechtoum est entouré de Tiguenatine à l’Est, Tamgout à l’Ouest, Azeffoun au Nord et Tifrin au Sud. Le nom Almaguechtoum est composé des mots Alma (jardin ou champ) et Aguechtoum (bois). Le bois est en effet abondant dans cette localité, comme nous le confirmeront des habitants de la région. Les premiers habitants de ce beau village de la tribu d’Ath Flik sont venus d’Ath Ouaghlis, dans la wilaya de Béjaïa, au 12e siècle. Ils se sont installés, à leur arrivée, au village Azrou, où des vieilles maisons, dans un état de dégradation avancée, témoignent encore de leur passage. A proximité de ces habitations, ou du moins ce qu’il en reste, des traces des moulins à grains (blé) et d’huileries anciennes dans une grande place qu’on nommait Avrah, sont encore visibles de nos jours. Des meules fabriquées avec de grosses pierres et taillées selon les besoins.

A l’origine, les Ath Ouaghlis débarquaient…

«Tout ce beau patrimoine est abandonné au vu et au su de tout le monde. Personne ne se soucie de sa détérioration ni de sa disparition à moyen terme, à part quelques tentatives de sauvegarde entreprises, de temps en temps, par une association locale», se désolera un membre du comité de village. Tajmaât, le point de chute de tous les habitants, est là aussi comme un témoin du temps qui passe, même si le poids des ans a eu raison de ses murs. Malheureusement, ce même constat est valable également pour la mosquée et le cimetière. Les tas de débris de différentes sortes de pierres, éparpillées tout au long des ruelles, nous renseignent sur le statut social de chaque propriétaire de maison. «Toutes les maisons sont construites avec de la pierre. Les gens aisés utilisaient la pierre taillée et ont même un puits dans la cour de leur maison. Quant aux autres, ils construisaient avec des pierres simples», nous expliquera notre interlocuteur qui poursuivra : «Au fil des années, la réduction de l’espace et la croissance démographique ont contraint les habitants à se déplacer vers un autre lieu situé juste à quelques encablures d’Azrou. Il s’agit de l’actuel Almaguechtoum. Petit-à-petit, le village d’Azrou s’est vidé de ses habitants devenant avec le temps «l’ancien village». Comme la majorité des villages kabyles, Almaguechtoum est géré par un comité de village élu lors d’une assemblée générale des habitants. Une entité qui se consacre à la gestion économique et sociale de la cité. Parmi les réalisations les plus importantes et les plus vitales, on citera l’acheminement de l’eau de Tamgout jusqu’au village, sur 4 kms, avec les moyens du village. Idem pour les autres commodités à savoir les pistes, les lieux de rencontres et autres… A une certaine époque, le village d’Almaguechtoum faisait partie de la commune de Yakouren, avant d’opter pour la commune d’Akerrou que les habitants eux-mêmes ont créée, nous assurera notre interlocuteur qui nous narrera les circonstances de cette création : «Au début des années 1980, Il y avait un projet d’électrification pour la localité d’Akerrou n’Ath Yala. Et pour en bénéficier, nous avons, en quelque sorte, détourné à notre profit ce projet. Comment ? Nous avons dit aux responsables du projet qu’Akerrou était bel et bien le nom de notre région. La proposition fut prise au sérieux et notre localité est devenue une commune dans le découpage administratif de 1984. Une année après, c’est-à-dire en 1985, notre village fut électrifié».

«Ici, même la terre a résisté durant la guerre de libération»

Pour illustrer la résistance des villageois à la férocité du colonisateur français durant la guerre de libération nationale (1954-1962), Salah nous fera le récit d’une maman et de sa fillette de 2 ans tuées en 1958 : «Les habitants de notre village furent à 99% des moudjahidine, hommes et femmes, garçons et filles. Sa situation géographique aidant, étant très isolé, notre village était un carrefour de transite durant la guerre de libération. Nombreux furent les responsables militaires qui ont emprunté les ruelles de notre village, à leur tête le colonel Amirouche qui était devenu un habitué de la région. Notre village a payé un lourd tribut avec ses 63 martyrs, sans citer les nombreux blessés et handicapés. Mais le drame qui a marqué à jamais notre localité, c’est cette femme qui portait sa fille de 2 ans sur son dos et conduisait un bœuf à l’abreuvoir qui se situe un peu en retrait du village. La pauvre femme tomba entre les griffes des soldats français qui n’ont pas hésité à vider leurs chargeurs sur elle et sa fille», nous dira notre interlocuteur avec émotion. Il nous racontera aussi l’histoire émouvante d’une autre maman avec son bébé : «Le nourrisson, ne trouvant rien à téter du sein de sa maman, se mit à pleurer. Pour le calmer et tenter de le nourrir, la maman lui fit boire son urine. Cette femme est toujours vivante».

Le dernier lion a vécu à Almaguechtoum ?!

Contrairement à l’histoire qui dit que le dernier lion en Algérie fut tué par les Français en 1912 dans la région de Tébessa, un membre de l’association culturelle du village Almaguechtoum avance quant à lui que des témoins oculaires du village auraient vu un lion après 1912 dans la région. «Ma grand-mère a sans cesse raconté à ma mère une anecdote mettant en scène un lion. Ma grand-mère, qui est née en 1913, aurait entendu parler durant toute son enfance d’un homme avec un lion. Cela voudrait dire que le dernier lion de l’Algérie se trouvait à Almaguechtoum», nous dira tout heureux ce jeune étudiant.

La légende du burnous de Sidi Ali

Comme dans toutes les légendes, un pouvoir surnaturel est attribué à un saint de la région, Sidi Ali. «La femme de notre saint Sidi Ali voulut un jour tisser un burnous pour son époux. Elle sollicita l’aide des femmes du village Almaguechtoum. Mais ces dernières refusèrent de prendre part au projet, chacune invoquant un prétexte, tel le ramassage du bois, du travail dans les champs et autres impératifs domestiques. L’épouse du saint revint donc bredouille et raconta son souci à son mari. Ce dernier lui suggéra alors d’aller demander l’aide des femmes du village Azrou, ce qu’elle fit. Sans hésitation, les femmes d’Azrou acceptèrent. En revenant à la maison, elle informa son homme qui prononcera des paroles qui feront tomber une malédiction sur les premières et une bénédiction sur les secondes. Il dit : Les femmes d’Almaguechtoum ramènent de l’eau et celles d’Azrou boivent. Les femmes d’Almaguechtoum ramassent du bois et celles d’Azrou se réchauffent», nous dira un membre du comité de village qui nous dira, étayant la légende : «Au village d’Almaguechtoum, il y a une vingtaine de fontaines et pourtant on se plaint toujours de la pénurie d’eau. En revanche, à Azrou, il n’y a qu’une fontaine et elle nous satisfait. En plus, on peut passer l’hiver à Azrou avec seulement quelques branches d’arbres, mais à Almaguechtoum, il faut des bennes du bois pour se protéger du froid pendant une semaine». Même les jeunes continuent à attribuer des pouvoirs surnaturels au saint Sidi Ali. Le président de l’association de jeunes nous assurera : «Notre région n’a jamais subi de glissement de terrain ni d’affaissement, depuis mon enfance. Elle n’a non plus jamais connu de feux de forêts, comme les autres régions pendant l’été. D’après nos vieux, c’est grâce au pouvoir surnaturel du Saint Sidi Ali».

Hocine Moula

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