«Il y a une régression terrible dans la production»

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Hacène Ahrès, une des icônes de la chanson kabyle, a su mêler chaâbi et folklore kabyle pour en forger son propre style. Pour créer des chansons pleines de douceur et de tendresse, ce «poète amoureux » manie aussi bien le verbe que son instrument de musique, son compagnon de toujours, la mandole. Nous l’avons approché en marge du gala organisé samedi dernier au profit des cancéreux de la wilaya de Tizi-Ouzou. Il revient dans cet entretien sur ses débuts dans la chanson, parle de ses projets et livre son avis quant la situation actuelle de la chanson kabyle.

La Dépêche de Kabylie : Vous venez de participer à un gala de solidarité au profit de malades, peut-on avoir vos impressions ?

Hacène Ahres : J’ai toujours répondu présent, à chaque fois qu’on m’a appelé. La solidarité est l’une de nos valeurs ancestrales, bien ancrée chez nous. En 35 ans de carrière, je me suis fait un devoir de me produire bénévolement au profit des gens qui ont besoin d’aide. De ce côté-là je suis très fier. Mais je ne suis pas le seul, nous sommes nombreux à le faire.

Un petit rappel de votre carrière artistique, si vous le voulez bien…

J’ai commencé à chanter dès mon jeune âge. J’ai confectionné ma première guitare moi-même avec un bidon d’huile. J’ai participé à des manifestations culturelles quand j’étais élève déjà. J’ai aussi participé à plusieurs concours de chants organisés par les maisons de jeunes. J’ai fait un passage dans l’émission de Medjahed Hamid «Ifennan uzekka». J’ai composé ma première chanson «Ugadegh ad ak-zregh» au début des années 1980. C’est à cette époque-là que j’ai enregistré mon premier album. Mes influences étaient des monuments de la chanson kabyle, tels que Cherif Kheddam, Slimane Azem, Idir, Aït Menguellet, entre autres. Petit à petit, je me suis frayé un chemin qui n’était pas du tout facile. Mes textes de chansons abordent tous les sujets : la société, l’identité, l’émigration… Mais le sujet le plus récurrent reste, quand même, l’amour. Ceci dit, ce sont les sujets qui m’inspirent, je ne les fais pas sur commande. Je ne compose pas à tout bout de champs ni quand je le veux, d’autant plus que je suis très exigeant dans mon travail. Contrairement aux idées reçues, notre profession n’est pas de tout repos. Vous savez, j’ai rencontré énormément d’obstacles dans ma carrière. Nous exerçons un métier qui n’est pas reconnu, si ce n’est la reconnaissance du public, ce public qui nous a tout donné. Autrement, nous sommes livrés à nous-mêmes. Pour résumer en chiffres, en 35 ans de carrière artistique, j’ai enregistré 17 albums.

Les points de vue divergent sur la situation actuelle de la chanson kabyle, peut-on avoir le vôtre ?

Il faudrait tout un débat pout définir l’état actuel de la chanson kabyle. Je suis mal placé pour faire un constat, mais je peux dire quelque chose quand même : il y a une régression terrible dans la chanson et dans la production, faute de moyens bien sûr. Les chanteurs sont toujours là mais il n’y a plus de subventions, il n’y a plus de prise en charge effective. On ne peut pas faire de la culture sans argent, on ne peut innover dans la chanson sans les moyens. Et ces moyens, ce sont les studios, l’argent. J’oserai dire que la chanson kabyle est en train d’agoniser. Nous sommes en train de lutter pour exister et ce n’est pas évident. Sinon, par rapport à la chanson elle-même, il y a des jeunes qui sont en train de vivre leur époque, je ne suis pas contre, c’est normal. Ce n’est pas à moi de les juger. Peut-être sont-ils bons, peut-être sont-ils mauvais, je ne suis pas le gardien du temple de la chanson kabyle. Néanmoins, me concernant, je fais attention à ce que je fais, je fais attention à ce que je dis. Je suis correct dans le texte et dans la musique, j’essaie de faire toujours mieux, parce que je n’ai pas le droit de décevoir le public. Concernant l’état de la chanson, il faut poser la question aux spécialistes.

Vous avez des projets en préparation ?

On a toujours du travail quand on est artiste. Je suis sur un album, il est prêt techniquement, il sera sur les étals dans deux ou trois mois. Donc, j’attends juste sa sortie. D’ailleurs, je vais passer incessamment chez l’éditeur pour voir de près. J’ai essayé de donner le meilleur de moi-même pour faire plaisir au public en général, et à mes fans en particulier. On y trouve différents thèmes évidemment…

D’autres projets à part la chanson ?

En effet, j’ai entamé une expérience dans la production audiovisuelle. Je viens de monter ma propre boite et comme vous le savez, les débuts sont toujours difficiles. Il faut des sponsors, sinon la matière est disponible, il y a beaucoup de trucs dans l’audiovisuel, comme la chanson, bien sûr. D’ailleurs, ce sont deux domaines qui se complètent. Donc, c’est une question de moyens, on attend de se faire un peu d’argent pour démarrer vraiment sur de bonnes bases.

Est-ce que nous vous verrions un jour dans un film ?

Ecoutez, maintenant je gère, mais s’il y a un rôle intéressant à jouer, je ne dirai pas non. Mais le choix des acteurs fait partie des prérogatives du réalisateur et lui seulement. S’il me voit bien dans un rôle, pourquoi pas, je répondrai présent. Ça me fera plaisir de commencer une autre carrière, une nouvelle aventure. De toute façon, c’est toujours de l’art.

Un mot pour conclure…

Longue vie à votre journal. Je remercie le public qui s’est déplacé en force, aujourd’hui, parce que c’est grâce à lui que ces galas de solidarité ont un sens. Ce sont aussi des occasions pour sensibiliser les gens. Nous serons là à chaque fois que des personnes en détresse feront appel à nous et j’espère que le public sera toujours présent.

Entretien réalisé par Hocine Moula

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