«J’ai laissé le TRB comme meilleur théâtre d’Algérie»

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à travers cet entretien, Omar Fatmouche réagit à la crise qui secoue le théâtre régional de Béjaïa et répond aux insinuations qui le désignent comme responsable de la situation qui y prévaut. Il parle aussi du Festival international du théâtre de Béjaïa dont il est le commissaire et confirme son maintien.

La Dépêche de Kabylie : Peut-on connaître le regard de l’artiste que vous êtes sur la situation actuelle du TRB ?

Omar Fatmouche: Il est regrettable de voir dans quelle situation se trouve le TRB aujourd’hui. Et je peux vous assurer que celle-ci n’est due qu’à la diminution de son budget. C’est ce qui a engendré les problèmes de fonctionnement qu’il connaît actuellement. Le TRB a énormément d’atouts. Il a l’un des plus grands studios d’enregistrement d’Algérie, si ce n’est d’Afrique, qui pourrait être utilisé et faire entrer beaucoup d’argent. Il a aussi un des meilleurs palmarès du théâtre algérien. Quand je suis parti, j’ai laissé le TRB comme le meilleur théâtre d’Algérie, en matière de palmarès. Le TRB est devenu un théâtre international. Il reçoit chaque année des dizaines de troupes professionnelles qui viennent du monde entier. L’année dernière, nous avons eu la chance d’organiser un atelier de formation avec l’un des plus grands artistes de théâtre, dans le cadre du théâtre de cirque, du mime et du pantomime. Il s’agit de Mauricio Celedon. Autre point, le théâtre de Béjaïa a été entièrement rénové et dispose d’équipements de haute technicité, dignes des théâtres internationaux que nous envient de nombreux théâtres étrangers. Il y a une logistique de haut niveau avec du matériel de pointe. Le théâtre de Béjaïa a donc tous les atouts pour réussir. Il est regrettable que l’on soit tombé dans de basses discussions pour savoir qui a fait ou n’a pas fait ceci ou cela. C’est une affaire de gestionnaires qui peut se discuter autour d’une table, devant un tribunal ou là où on veut. Mais les artistes doivent savoir maintenant qu’il est temps de se retrousser les manches et montrer aux citoyens de Béjaia et à tout le monde qu’ils sont, comme ils l’ont toujours été, capables de produire le meilleur.

Vous croyez au talent de ces artistes ?

Il y a des artistes et des comédiens très talentueux. Nous avons des techniciens très qualifiés que nous avons envoyés en formation en chine. Ils doivent maintenant se mettre à la création artistique. Mais leur revendication est juste. J’ai été parmi les premiers à signer la pétition de soutien à leur mouvement. Je les ai soutenus en tant qu’artistes, parce que le théâtre public a besoin de création artistique.

Est-ce que vous êtes optimiste quant à l’avenir de ce théâtre ?

Je suis très optimiste. Actuellement, il y a un jeune qui, si on lui donne un coup de main, pourra relever des défis très importants. Il faut revoir les mécanismes de travail, car le temps des vaches grasses est révolu. Tous les travailleurs du TRB ont profité de cette aisance financière, nous en avons profité pour intervenir dans tous les coins de Béjaïa pour faire de la vraie culture de proximité jusque dans les montagnes. Nous avons été à Feraoun pour porter le théâtre aux populations des régions les plus enclavées. Le théâtre a également ouvert ses portes au mouvement associatif. Il faut continuer à travailler dans cet esprit et permettre aux associations d’évoluer dans les meilleures conditions. Le théâtre de Béjaïa peut également ouvrir des formations pour les artistes. Il y a une demande populaire des bedjaouis pour la formation des enfants au théâtre. Le théâtre pour enfants est un élément fondamental et on peut faire énormément de choses également avec l’université. Il faut encourager la location des salles. Il faudrait que les gens comprennent que ce théâtre a aussi besoin de leur aide. De cette façon, on peut relever le défi. Cette histoire de ‘’Takachouf’’ ne concerne pas seulement le TRB, mais tout le pays dans tous les secteurs. On peut s’organiser en conséquence. Je suis donc optimiste, puisque avec de la bonne volonté et le professionnalisme des gens et la formation de plus en plus accrue des techniciens et des comédiens, le théâtre de Béjaïa pourra continuer à bien fonctionner comme il l’a fait jusqu’à maintenant.

Une commission ministérielle s’est déplacée à Béjaïa et un deal semble avoir été trouvé. Selon vous, qu’est-ce qui doit être fait en priorité pour que les activités redémarrent ?

Je salue l’initiative des gens qui sont venus pour résoudre la crise. Il faudrait maintenant que les responsables du TRB établissent un plan intelligent pour redémarrer les activités en réglant définitivement le passif, puisque les dettes ont été réglées avec un échéancier établi avec la CNAS. Il faut aussi revoir les mécanismes de fonctionnement, revoir les conventions collectives en matière de missions et de frais de missions, et rentabiliser les moyens de théâtre en variant ses activités, sans en faire un lieu de commerce et dévier de ses missions. Il faudrait rentabiliser l’écran géant, le studio d’enregistrement et l’ensemble des équipements du théâtre pour générer d’autres ressources que le budget de l’État. Il y a actuellement une commission qui travaille sur la régulation de ce qu’on appelle le barème des théâtres pour les aligner. Jusqu’à présent, il y a une certaine anarchie dans ce milieu, chacun payait ses cachets selon sa guise. La situation actuelle du théâtre de Béjaïa n’est pas aussi catastrophique qu’on le dit. Les travailleurs sont sortis pour revendiquer leurs droits et maintenant tout est rentré dans l’ordre. On aurait pu éviter toute cette situation si tout le monde y avait mis du sien. Le théâtre a besoin de tout le monde. Je suis prêt, en tant qu’artiste, à apporter ma contribution pour lui permettre d’aller de l’avant.

Cette situation pourrait-elle avoir des répercussions sur la neuvième édition du Festival International du Théâtre de Béjaïa ?

Le FITB est un corpus à part. Nous fonctionnons différemment. Nous sommes à l’ère d’Internet, et je peux déjà vous annoncer qu’il y a dix-sept pays qui ont postulé pour participer à cette neuvième édition. Il y a trois grandes troupes lauréates de prix arabes de théâtre qui nous ont proposé de participer au prochain Festival, en prenant en charge eux-mêmes leurs frais de participation. Nous avons également des propositions d’Europe et d’ailleurs. Je ne voudrais pas m’étaler sur les détails. Nous avons également pour la première fois des promesses de grosses batteries de sponsoring, nous ne comptons pas seulement sur la cagnotte du ministère, qui de toutes façons va être encore réduite cette année. Je suis prêt à travailler dans ces conditions et nous réussirons notre pari, parce que ce Festival est un acquis pour les Bédjaouis. Personne n’a le droit d’y toucher. Chaque mois d’octobre, Béjaia reçoit des gens qui viennent de tous les pays. Dès le mois de mars prochain, nous allons avoir une résidence avec le théâtre allemand qui se déroulera ici à Vgayet. Il ne faudrait donc pas donner à cette crise du TRB une dimension exagérée. Il y a une situation qui a poussé les travailleurs à revendiquer leurs droits et le ministère a réagi, il faut maintenant passer à autre chose et se mettre au travail. Le théâtre de Béjaia est toujours debout. Je peux vous dire qu’il prépare déjà de nouvelles pièces, et ça, c’est de bon augure. Je suis donc optimiste.

Un dernier mot ?

Je remercie votre journal de m’avoir donné cet espace d’expression, parce que durant toute cette crise, personne n’a pris contact avec moi pour me permettre de m’exprimer, alors même qu’on insinuait des choses à mon sujet. Il faudrait juste savoir que j’ai dirigé le TRB pendant onze ans et chaque année, j’ai reçu du Conseil d’administration des quitus de bonne gestion et tous les ministres de la Culture que j’ai connus durant cette période m’ont accordé une prime de bonne gestion. La crise est maintenant derrière nous, regardons devant. Si tout le travail qui a été fait durant cette période, qui a consisté à sortir le théâtre de la situation dans laquelle il se trouvait à mon arrivée et à produire autant d’œuvres et de réalisations, s’appelle de la mauvaise gestion, alors je l’assume et la revendique.

Entretien réalisé par N. Si Yani

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