Dans cet entretien, Rabah Ouferhat parle de l’hommage qui lui sera rendu aujourd’hui à Azazga, aborde d’autres questions en rapport avec son domaine, le chant, mais aussi ses projets futurs.
La Dépêche de Kabylie : Pouvons-nous avoir vos impressions quant à l’hommage qui vous sera consacré ce samedi ?
Rabah Ouferhat : Il est très louable qu’on pense à l’artiste de son vivant. Et je suis très content, d’autant que c’est la troisième fois qu’on me consacre un hommage. Le premier m’a été rendu par l’association «Amgoud» de Draâ El-Mizan, en 2014, le deuxième par la direction de la culture de la wilaya de Tizi-Ouzou, en 2015. Cette fois-ci, c’est l’association «Tirza» de Tizi-Ouzou, en collaboration avec la direction de la culture et la maison de la culture, qui est derrière l’initiative.
Je suis vraiment ravi et très content de toute cette considération pour mes 45 ans de carrière. Un hommage réveille pas mal de consciences. Ceci dit, je pense que tout hommage devrait avoir une particularité et une spécificité. Et c’est pour cette raison que j’ai proposé que la conférence-débat soit, cette fois-ci, remplacée par un film documentaire.
Il retrace ma vie artistique, les lieux où j’ai grandi, avec des témoignages des amis et proches… Je voulais partager tout cela avec le public qui me suit depuis le début. Je souhaite d’ores et déjà la bienvenue à tout le monde. J’en remercie la direction de la culture et celle de la maison de la culture, l’association «Tirza», ainsi que La Dépêche de Kabylie pour cet intérêt.
Peut-on savoir quels chanteurs seront présents ?
Il y aura une douzaine de chanteurs qui interpréteront mes chansons. En fait, j’ai voulu donner une chance beaucoup plus aux jeunes chanteurs. Une manière de les encourager et de les accompagner. A eux de saisir cette chance. Nous avons tous eu besoin d’aide à nos débuts.
Des projets pour bientôt, peut-être ?
Je suis en train de préparer un album de 12 chansons inédites. Mais j’y vais tout doucement, car je suis occupé par pas mal de choses. En tant que président du syndicat des artistes, je cours dans tous les sens pour essayer de régler les problèmes auxquels ils sont confrontés et ça me prend énormément du temps.
Il y a aussi les hommages consacrés à mes confrères et auxquels je me fais un devoir de participer. J’occupe une partie de mon temps aussi à composer des chansons pour certaines jeunes artistes. Pour en revenir à l’album, je vous dirai que j’y aborde différents thèmes. J’y rends hommage aux artistes, notamment dans une chanson à texte qui, j’espère, réveillera les consciences. Une autre chanson est dédiée à ma fille, à qui j’ai voulu faire belle déclaration.
Un autre titre parle des préjugés, j’y dis « Widyeggulen ar dagh srun, d nutni ara ten-irun». Dans une autre chanson «Yif-itnessusem», je parle de ce qu’a vécu notre région ces derniers temps. Je pense qu’il y a une meilleure manière pour faire avancer notre culture et la société en général. J’ai aussi consacré une chanson aux événements de 1980.
Il faut rappeler aux gens que si aujourd’hui notre identité est reconnue, c’est parce qu’il y a des personnes qui se sont sacrifiées. Malheureusement, on a tendance à vite oublier. Je leur ai donc rendu hommage à travers la chanson «Ay abeḥri n Djerdjer», où je pose la question : Est-ce que ces gens-là sont encore dans nos cœurs ?
Des galas et des fêtes en vue ?
Absolument. Juste après cet hommage, j’attaquerai la promotion de mon nouvel album. Et puis, mon bonheur, au risque de me répéter, réside dans cette interaction et ce contact direct avec mon public.
Ce n’est pas le cas de plusieurs anciens chanteurs…
Oui, il y a beaucoup d’anciens chanteurs qui se sont retirés. Ils ont leurs raisons. Ils ont été déçus par cette anarchie qui s’est installée ces derniers temps. Ils ne peuvent pas suivre, ça diffère de leur façon de voir les choses, de composer… Vous savez, il m’arrive à moi aussi d’être déçu, désorienté, mais je ne peux pas me passer de la chanson. Je ne peux cesser de chanter. J’ai toujours été comme ça et je le resterai. J’ai eu, par le passé, beaucoup d’opportunités de faire autre chose, mais j’ai choisi la chanson. J’essaie de servir de mon mieux la chanson kabyle, notre culture, notre identité.
Justement, quel est votre point de vue sur la situation de la chanson kabyle actuellement ?
En toute honnêteté, je dirai que l’espoir est permis, dans le sens où de grandes figures de la chanson kabyle nous reviennent. Je crois, maintenant, que tout le monde a compris. Et je pense que les jeunes artistes doivent revoir leurs copies s’ils veulent vraiment faire durer. Ils doivent par exemple méditer ces hommages. Lorsqu’on rend hommage à quelqu’un, c’est qu’il a servi une cause, il a apporté quelque chose de neuf, de bien pour la société. Et si les artistes n’apportent rien, ils n’auront plus de raison d’être. Pour mériter un hommage, il faut apporter sa pierre à l’édifice. Mais je suis optimiste quant à l’avenir de notre chanson. Les gens commencent à prendre conscience et à comprendre certains enjeux.
De grands chanteurs, notamment français, interprètent des chansons en kabyle. Un commentaire si vous voulez bien ?
C’est formidable, c’est faire de la chanson kabyle, une chanson universelle. Vous savez, c’était le but de notre génération. J’ai toujours dit à maintes occasions que la chanson kabyle a révolutionné la chanson algérienne dans les années 70. La chanson kabyle était une pépinière. C’est elle qui a traversé les océans en premier, c’est elle qui a été le plus loin. C’est vrai aussi que le pays a traversé des périodes difficiles, des moments qui ont influé négativement sur la production artistique et ont créé un vide. Mais comme dit l’adage «La nature a horreur du vide », un vide qui a été exploité n’importe comment par certains.
Entretien réalisé par Hocine Moula

