«C’est une option louable, mais…»

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L’expert agronome spécialiste du développement rural, Akli Moussouni, nous livre son point de vue sur l’avenir de l’aquaculture à travers la wilaya de Bouira, notamment sur le volet économique et l’apport de ce secteur à la filière agricole en général.

La Dépêche de Kabylie : La direction de la pêche de Tizi-Ouzou, en collaboration avec la Chambre d’agriculture de Bouira, ambitionne de réaliser un programme important dans le domaine de l’aquaculture à Bouira. Pensez-vous que cela puisse réussir ?

Akli Moussouni : Il est vrai que c’est important de diversifier les sources de la protéine animale, sachant que l’Algérien consomme à peine 20 Kg de viande par année, soit seulement le ¼ de part qui revient au citoyen des pays développés (80 Kg). Essentiellement, il s’agit pour nous de la viande rouge importée en partie ou de la viande blanche qui n’est autre qu’une filière d’importation de la totalité de l’alimentation et des intrants. Les autres sources, en l’occurrence la chèvre, le lapin et le chameau, sont aléatoires. Certes l’idée d’introduire à Bouira ou ailleurs l’aquaculture est louable, toutefois c’est une option qui ne peut évoluer dans une camisole de force, où l’alimentation importée, l’eau qui se raréfie et le culinaire qui pose problème sont des contraintes majeures qui n’autorisent pas un développement significatif de cette filière.

Quelles variétés de poissons peuvent-être introduites dans nos barrages et retenues collinaires ?

Dans le cas des barrages, il y a lieu de préciser que le traitement des eaux des barrages coûte déjà à l’Etat plus de 2% du PIB (Produit intérieur brut), pour la rendre potable «exploitable» pour les ménages. Il y a lieu donc d’opter pour des espèces «nettoyeuses» dans les limites des équilibres environnementaux, pour ne pas déséquilibrer les écosystèmes en les polluant d’avantage par des lâchers incontrôlables en termes d’espèces et du nombre, surtout en période d’étiage (Juin – octobre), où ces réservoirs sont alimentés très faiblement au moment où la consommation des ménages et de l’agriculture explosent. Là le choix des espèces à introduire doit passer par une expertise des conditions naturelles du milieu.

Pensez-vous que ce secteur pourra un jour percer et se vulgariser auprès des agriculteurs locaux ? Si oui comment ?

A priori, l’idée d’investir les bassins d’irrigation érigés par les agriculteurs s’est basée essentiellement sur le double intérêt de mettre sur le marché une nouvelle protéine animale et en même temps de fertiliser naturellement l’eau d’irrigation par les déjections de la faune aquatique. En ce qui concerne notre pays, c’est une option dont les résultats sont aléatoires pour n’avoir même pas généré une pêche de loisir, puisque ces ouvrages sont privés et que cette «pêche» n’est autorisée que sous surveillance du propriétaire des lieux. Quant à l’idée de fertiliser le verger, elle est limitée du fait que ce système dit «Aquaponie», inventé par les Japonais, consiste à développer un jardin potager dont le sol est fertilisé par l’eau de l’aquarium de proximité. Ce qui peut être assimilé à une action marginale pour laquelle on ne peut faire de vulgarisation dans le milieu agricole de la terre ferme.

Apparemment cette filière s’est développée ailleurs. Qu’en pensez-vous ?

Prudence en ce qui concerne notre contexte géographique semi-aride au nord du pays et des conditions extrêmes au sud. Il y a lieu d’opter pour une voie de valorisation économiquement, en l’occurrence le vermicompostage, qui consiste à produire des vers de terre de type lombric à partir du compostage de la paille, qui serviront d’alimentation aussi bien aux poissons carnivores que dans l’aviculture. Cette pratique compenserait à coup sûr une partie des engrais importés. Mais aussi, elle génère des viandes succulentes et saines. C’est une option économiquement viable, du fait que ce processus permet un double avantage, où l’économique et l’environnementale se côtoient à travers une production industrielle. Un engrais liquide, en l’occurrence, humus sous la forme du Percolat qui n’est autre que le recyclage des déchets organiques aquatiques, est capable à lui seul d’améliorer le sol où il est épandu. Cela afin de produire plus de fruits et légumes, de viande de poissons alimentés par un ver de terre produit in situ.

Quelles seraient les retombées sociales et économiques pour la wilaya si ce secteur venait à se développer ?

Le peu d’eau dont dispose la wilaya doit être exploitée rationnellement pour compenser le déficit en eau de pluies. Il faut retenir qu’un plan d’eau en ces temps de chaleur, le vent aidant, fait perdre au lac entre 10 et 15 litres d’eau par heure et par mètre carré. On ne peut se permettre dans ce cas de malmener les quelques nappes d’eau dont le niveau de rabattement est dramatique. La pêche de loisir dans les barrages peut contribuer à l’amélioration de l’environnement auquel le bien-être du citoyen est intimement lié

Le circuit de vente du poisson d’eau douce peut-il se démocratiser et quels seront les organismes chargés de l’écoulement de ces produits ?

C’est justement la problématique de toute l’agriculture algérienne, faisant qu’on produit au gré du hasard et les conséquences sont dramatiques sur l’agriculteur lui-même, en enregistrant des productions non plani fiées, donc sans marché. Des millions de tonnes de fruits et légumes sont jetées annuellement en l’absence d’organisations autour des produits. On ne peut, hélas, organiser les intervenants directs et indirects de n’importe quelle filière en l’absence d’un marché normalisé.

Entretien réalisé par H. Bessaoudi.

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