Les raisons d’un affolement du marché

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La barre des 200 dinars pour un euro a été dépassée, hier, sur les marchés parallèles de la devise. Le cours officiel, lui, pour le change de cette semaine, frôle les 135 dinars pour les transactions commerciales avec l’UE.

À Tizi-Ouzou, comme ailleurs, notamment au square Port-Saïd d’Alger, les cambistes se frottent les mains. Ils jubilent après une reprise soudaine, et non moins fracassante pour la monnaie algérienne, qui s’affiche désormais sous une valeur de pacotille. Cette tendance de remontée soudaine des cours de la devise, prévisible en somme, a commencé à pointer son nez depuis la semaine écoulée. Rien qu’en ce début de semaine, en l’espace de quelques heures seulement, l’euro a gagné quelques points sur le marché parallèle de Tizi-Ouzou, passant de 196 à 197 dinars, avant de frôler la barre psychologique des 200 dinars, dans la matinée de dimanche, gagnant 3 points d’un cran. La forte demande qui pèse sur le marché de la devise, depuis une semaine, a flambé les cours. Après une longue léthargie de la saison estivale, la monnaie unique européenne et le dollar américain connaissent, désormais, une hausse soutenue. Echangé au dessus de la barre des 192 dinars pour un euro, ce dernier a vite repris la courbe ascendante pour s’établir, depuis le 17 septembre dernier, à 196 dinars à l’achat contre 194 dinars à la vente. Le dollar, quant à lui, s’échangeait à 166 dinars à l’achat contre 164 dinars à la vente. En début de cette semaine donc, sur la place de Tizi-Ouzou les cambistes étaient tous revigorés par la reprise des affaires. D’ailleurs, en l’espace de quelques heures, la monnaie unique européenne a gagné un point suite à une commande jugée «importante et urgente». En effet, lors de notre présence chez ces cambistes, alors qu’ils proposaient cette devise au prix qui s’est établi depuis la semaine d’avant, un «client» qui avait l’air d’être très connu sur la place, a concouru à cette subite augmentation. «C’est un gros client. Quand il se manifeste, c’est pour passer commande d’une grosse somme en euro. Il achète pour de grands clients algérois», nous a révélé un cambiste. Ce dernier nous avoue encore que «grâce à cette grande et urgente commande, l’euro est désormais sur sa lancée ascendante, et tous les indices indiquent sur une envolée des prix durant les prochaines heures». Chose faite au demeurant, car hier matin, le cours a touché sa barre des 200 dinars, excité par la double hausse durant la soirée de la veille au niveau des places algéroises.

Tout le monde veut soudainement acheter

Le premier cambiste que nous avons interrogé, reconnait la faiblesse de l’offre face à une demande qui s’est subitement accrue. «Depuis dimanche dernier, nos clients sont en majorité des Algérois qui viennent pour passer commande dépassant parfois les 200 000 ou 300 000 euros. Face à cette colossale demande, les cambistes profitent pour relever le cours», dira notre interlocuteur. Et d’ajouter : «La semaine dernière, nous avons reçu un client qui cherchait à acheter 2 millions d’euros, c’est colossale ! D’ailleurs, nous n’avons pas réussi à rassembler cette somme, et le client était obligé de prendre ce qu’il avait trouvé ici sur la place, quant au reste, je ne peux vous dire d’où est-ce qu’il avait eu.» Tenant son affaire loin de la place traditionnelle où s’échangeait les devises au centre-ville de Tizi-Ouzou, Un troisième cambiste souligne la ruée soudaine sur l’achat «en gros» de la monnaie européenne, et, à un degré moindre, de la monnaie américaine. «Certes, l’euro tient toujours la tête des devises échangées, mais avec cette nouvelle conjoncture, elle dépasse de loin toutes les autres devises en vente sur le marché parallèle, bien que le dollar soit aussi demandé mais à des quantités inférieures», explique-t-il avant de signaler que le dollar est aussi appelé à être convoité si l’explosion de la demande sur l’euro ne soit pas contenue d’ici la fin de l’année, car l’offre sur cette devise est aussi limitée. Une situation qui fera grimper, de facto, les enchères sur la devise européenne qui, comme l’ont bien prédit les cambistes, verra sa cote dépasser de loin la barre des 200 dinars, d’ici fin décembre. Pour les cambistes de la place de Tizi-Ouzou, la forte demande sur la monnaie unique européenne est apparue depuis le jour même du discours d’Ouyahia devant l’APN : «Les gens ont eu crainte du discours d’Ouyahia, surtout lorsqu’il a évoqué le sort des finances du pays», nous dira le troisième cambiste que nous avons sollicité, avant-hier.

Les prémices d’une inflation

«Figurez-vous, tous les clients qui viennent chez moi parlent d’un avenir très délicat pour le pays. Ils disent n’avoir retenu du discours d’Ahmed Ouyahia que l’impossibilité de payer les salaires ou que les caisses de l’État sont vides», poursuit-il. L’autre cambiste rencontré sur la place dite «Café de l’euro» avoue, de son côté, que «certains clients nous dressent une situation frisant la crise qui guette le pays et ils avouent acheter de grosses sommes pour avoir un placement sûr.» Et de signaler que «ce genre de clients ne se manifestent pas, ils sollicitent les services des intermédiaires qui, à force de travailler avec eux, sont devenus familiers.» La crainte de cette «classe» d’Algériens «introduits et nantis», selon les dires des cambistes, risque de créer un effet d’entrainement sur une large couche de la société algérienne qui appréhende l’avenir financier du pays, notamment depuis «les vérités du gouvernement» sur la situation du Trésor. Le professeur en économie à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Brahim Guendouzi, abonde dans le même constat des cambistes : «Les personnes qui voyagent assez fréquemment sont inquiètes de la valeur du dinar qui ne cesse d’être déprécié d’une manière hebdomadaire, alors ils savent que cette tendance baissière de la valeur de la monnaie algérienne va inéluctablement se répercuter sur le cours de la devise. Donc, ils achètent en grandes quantités pour les stocker.» Le Pr Guendouzi nuance, néanmoins, entre ces «petits acheteurs» et les importateurs qui «anticipent sur les cours de la Banque centrale ayant amorcé une logique de dépréciation continue du dinar, pour constituer leur portefeuille en devise tant que celle-ci n’atteigne un seuil excessif.» «Les gros acheteurs sont ceux qui passent commande de plus de 400 000 euros chez les cambistes. Généralement, ce sont les importateurs qui, pour accélérer l’achat à l’étranger, font recours au marché parallèle pour procurer la devise. Quant à ceux qui dépassent le seuil de 1 million d’euros, ils l’achètent pour le placer à l’étranger, et sur le plan juridique, cela s’appelle fuite de capitaux.» Sur ce point précis, l’économiste ne fait que corroborer les dires des cambistes qui nous ont relié «la crainte d’une certaine classe nantie». Mais pas que ça, beaucoup d’observateurs lient cette tendance haussière de la devise à «la libération des licences d’importation par le Premier ministre. Une décision sitôt dite sitôt prise pour rassurer la sphères économique nationale». Tentant, par ailleurs, de minimiser la crainte des Algériens, Brahim Guendouzi, préconise «un contrôle strict et rigoureux» des produits à tirer du financement non-conventionnel. «L’État doit impérativement exercer un contrôle strict et rigoureux sur la masse monétaire qu’il va créer de ce qu’on appelle la planche à billets, autrement, les conséquences inflationnistes seront très difficiles à contenir.» La maîtrise de l’inflation, selon cet économiste, ne sera pas chose difficile pour le gouvernement s’il se met réellement à créer des entreprises productives : «Si le gouvernement fera bon usage de l’argent qu’il va créer et l’injecter que dans l’investissement, la situation deviendra maîtrisable. C’est cela qui jugulera toute tentation inflationniste, le contraire nous mènera assurément vers une spirale inflationniste que ces acheteurs de la devise appréhendent justement», conclut l’économiste. En tout état de cause, la devise, elle, notamment celle de la zone euro, continue son ascension sur le marché parallèle. Hier donc, elle a atteint les 201 dinars/euro, et frôle les 135 dinars dans le cours officiel. À Tizi-Ouzou, les cambistes sont suspendus aux volumes des commandes qui s’accroissent de jour en jour.

Mohand Arezki Temmar

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