«Je suis un témoin de l’Histoire»

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Il était coordinateur de la fédération FLN de France pendant la guerre de libération nationale, aujourd’hui sénateur au Tiers présidentiel. Rencontré, hier en marge de la rencontre organisée par l’association nationale de la coordination de France, qu’il préside, à Béni Douala, le sénateur Mohand Akli Benyounès remonte loin dans sa mémoire et nous raconte les évènements du 17 octobre 1961 tels qu’il les a vécus.

La Dépêche de Kabylie : Vous venez d’animer une conférence sur le 17 octobre 1961. Peut-on remonter ensemble l’histoire pour comprendre le pourquoi du comment du 17 octobre 1961 ?

Sénateur Benyounès : Aujourd’hui (hier NDLR), j’ai en effet essayé d’expliquer le côté politique des événements du 17 octobre 1961. J’ai essayé de répondre à la question : C’est quoi le 17 octobre. Les gens, aujourd’hui, notamment les jeunes, doivent savoir ce qui s’est passé ce jour-là. La décision de la manifestation était purement politique, elle fut prise par la fédération de France, qui était structurée et organisée. Un couvre-feu avait été instauré par le gouvernement français. Les Algériens n’avaient pas le droit de sortir de 20h30 jusqu’à 5h30 du matin dans les rues de la région parisienne. On avait également interdit aux Algériens de marcher en groupe, pas plus de deux personne. L’objectif était d’empêcher nos activités. La journée on travaillait, c’était donc la nuit qu’on pouvait se rencontrer, activer et militer, et les autorités françaises le savaient. Elles ont alors décidé de fermer les cafés de 19h30 à 5h30 du matin. Nous n’avions plus d’endroits pour nous retrouver. Le gouvernement français pensait nous isoler pour liquider la fédération. Pourquoi la région parisienne ? C’était le poumon de l’organisation. Il était difficile en Province de faire de la clandestinité. A Paris, comme c’est vaste, nous pouvions nous dissoudre, passer inaperçus. Mais le plan de la France était de détruire la fédération à Paris, pour tuer le FLN en France. Les cadres, c’était aussi à partir de Paris qu’on les fournissait à toutes les autres régions de France.

Pourquoi ont-ils voulu casser la fédération à cette période-là précise ?

Il est important en effet de signaler que les négociations étaient en cours depuis plusieurs mois entre le FLN (le GPRA) et le gouvernement français. C’était stratégique. Quand deux adversaires se battent, ils essayent d’arriver à la table des négociations en position de force, pour imposer leur plan. Il faut affaiblir au maximum l’adversaire. Au même moment, en Algérie, ils avaient renforcé leurs troupes. Nous, nous avons réagi. Ce n’était pas facile, mais l’avantage était d’avoir une organisation en place. On n’avait qu’à donner la directive. Après le communiqué de l’Etat français du 6 Octobre, on a décidé de manifester. Il y a eu 80 000 manifestants. 12 000 furent arrêtés, une grande partie d’entre eux fut renvoyé en Algérie. Il y eut aussi beaucoup de morts. Plus de 400 personnes entre disparus et morts. Des gens ont été jetés dans la Seine, il y a eu de la torture et des exécutions… Parmi les personnes arrêtées, il y avait des cadres. Mais nous avons tout remis en place au bout de quelques semaines et nous avons continué la lutte

Quel était votre rôle dans la coordination ?

J’étais chef de wilaya à cette époque-là. J’ai été promu coordinateur des sept wilayas de la coordination de France, juste après les événements. Cela dit, je me considère comme un simple témoin de l’Histoire.

Tout cela et les négociations étaient en cours…

Oui, les négociations continuaient à se dérouler. Mais pour nous, ce n’était pas la première fois qu’on négociait et ça n’avait jamais abouti auparavant. Donc, nous continuions la lutte. Si nous avions su que ça allait aboutir, peut-être aurions-nous arrêté pour éviter le massacre. Mais nous ne pouvions le savoir. Une chose est sûre, c’est grâce à la lutte du peuple algérien que les négociations ont abouti.

Peut-on dire que, par ricochet, le cessez-le-feu était un résultat direct de ce qui s’est passé en octobre 1961 ? C’était un des éléments déterminants en effet, ils nous ont provoqués et ça s’est retourné contre eux. L’opinion publique internationale a pu se rendre compte de l’ampleur de la lutte des Algériens pour leur indépendance : plus de 80 000 personnes ont manifesté, une démonstration de force pacifique. Ça a aussi ouvert les yeux au peuple français qui a compris à ce moment-là les choses. Avant, les Français avaient juste la version officielle. Le 17 octobre en fut le démenti que nous avons apporté. La guerre, il faut souligner qu’elle ne se fait pas seulement par les armes, il y a aussi la politique.

L’association de la fédération de France, que vous présidez depuis 2004, a une certaine responsabilité vis-à-vis de la jeune génération, celle de transmettre cet héritage historique…

L’association a deux missions. D’abord, faire connaître l’histoire de la lutte des Algériens de l’émigration pour l’indépendance du pays et son apport pour la guerre de libération. Nous sommes des témoins et nous ne pouvons témoigner que de ce que nous avons vécu, est à dire la lutte et l’apport de l’émigration au processus d’indépendance. Le premier parti nationaliste a été créé en France, grâce à l’émigration, en 1926. La deuxième mission, c’est préserver les droits des derniers Moudjahidine encore en vie de la fédération de France qui étaient un peu lésés. Actuellement, il y a deux associations nationales officielles des Moudjahidine : l’ONM

L’association de la fédération de France, que vous présidez depuis 2004, a une certaine responsabilité vis-à-vis de la jeune génération, celle de transmettre cet héritage historique…

L’association a deux missions. D’abord, faire connaître l’histoire de la lutte des Algériens de l’émigration pour l’indépendance du pays et son apport pour la guerre de libération. Nous sommes des témoins et nous ne pouvons témoigner que de ce que nous avons vécu, est à dire la lutte et l’apport de l’émigration au processus d’indépendance. Le premier parti nationaliste a été créé en France, grâce à l’émigration, en 1926. La deuxième mission, c’est préserver les droits des derniers Moudjahidine encore en vie de la fédération de France qui étaient un peu lésés. Actuellement, il y a deux associations nationales officielles des Moudjahidine : l’ONM représentant les six wilayas de l’intérieur, et l’association de fédération du FLN en France représentant la wilaya 7.

Quelles sont concrètement vos actions pour transmettre cet héritage ?

C’est surtout à travers des conférences que nous organisons, comme c’est le cas aujourd’hui à Béni Douala. Nous rendons aussi hommage aux familles. Nous en profitons à chaque fois pour parler de l’Histoire et expliquer aux gens les épisodes de notre histoire nationale dont ont été acteurs les Algériens de l’immigration. Nous avons d’autres rencontres prévues : le 12 octobre à Azazga, le 16 à Bouzeguène et une autre Azeffoun. Il s’agit là du programme de la wilaya de Tizi-Ouzou. Nous, nous continuons à entretenir la flamme on attendant de passer le flambeau. Nous avons libéré le pays, maintenant c’est à eux de continuer à construire un pays moderne et démocratique.

Quel regard porte votre génération, qui a libéré le pays, sur la situation actuelle du pays, justement ?

C’est un regard positif. Il y a beaucoup de progrès, beaucoup de choses ont été faites. Quand on a vécu le colonialisme, on sait savourer la liberté et l’apprécier à sa juste valeur. Je suis sénateur du Tiers présidentiel par total conviction. Nous suivons l’évolution des choses. Le Premier ministre à présenté son plan d’action et les choses avancent, je lui souhaite bon courage dans sa mission, le tout dans l’intérêt du pays.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

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