M. Khaznadji, enseignant d’économie à l’université de Tizi-Ouzou passe en revue les causes économiques et sociales de la reprise de la courbe ascendante du chômage,
La Dépêche de Kabylie : Quelles sont les répercussions économiques et sociales du taux élevé du chômage en Algérie ?
Mohamed Khaznadji : Depuis la fin 2013, le taux de chômage a repris sa tendance à la croissance en Algérie. Les répercussions de ce phénomène à moyen et à long termes se situent à plusieurs niveaux. D’abord, il impacte négativement sur le pouvoir d’achat des ménages. Une personne qui se retrouve au chômage perd son revenu alors que celui-ci est un déterminant de la consommation. Aussi, ce phénomène entraine le développement des emplois informels, souvent précaires, sans couverture sociale, peu rémunérés et sans stabilité. Le chômage a aussi pour conséquence le développement de la pauvreté. Des individus au chômage sont des biens et services non produits et des revenus non distribués et par conséquent une compression de la consommation. Cette situation constitue un manque à gagner pour l’économie nationale. Le chômage de longue durée entraine une perte de compétences de l’individu. La valorisation des diplômés de l’enseignement supérieur ou de la formation professionnelle suppose que la durée qui sépare l’obtention du diplôme et celle d’entrée en activité ne soit pas longue, alors que le chômage de langue durée en Algérie prend de plus en plus des proportions alarmantes. Selon l’ONS, plus de 6 chômeurs sur 10 sont à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an. Sur le plan social, le chômage en Algérie qui touche fondamentalement les jeunes, favorise le développement de la violence, notamment vis-à-vis des institutions publiques, et des tensions sociales qui pourraient être à l’origine de plusieurs manifestations. Un chômeur constitue une charge pour sa famille et une source de stress pour un chef de ménage.
Le chômage est-il lié à une demande qui dépasse l’offre ou bien à l’insuffisance de l’offre ?
Le chômage est une situation de déséquilibre du marché du travail où la demande d’emploi est plus importante que l’offre. Les causes de ce phénomène en Algérie sont de plusieurs ordres, c’est un chômage structurel.
Pendant des années, les statistiques officielles expliquent ce phénomène par des facteurs démographique, c’est-à-dire une progression plus rapide de la demande par rapport à l’offre d’emploi. Selon l’ONS, en mois d’avril 2017, le volume de la population active a connu une évolution significative par rapport au mois de septembre 2016, soit un solde positif de 160 000 personnes et un accroissement relatif de 1,3%.
Dans la réalité, les causes du chômage sont liées aussi à une faible progression du rythme de création de nouveaux emplois. Durant la même période, la population occupée a enregistré un solde négatif de 76 000 personnes. Cela veut dire que nous n’arrivons même pas à maintenir les emplois existants. Les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics (ANSEJ, CNAC, ANDI, ANGEM, ANEM) ont donné, certes, des résultats importants, mais ce sont des résultats insuffisants et surtout très fragiles.
Nous constatons à travers les statistiques de l’ONS que le secteur qui crée le plus d’emploi en Algérie est celui des services, alors que le développement de l’emploi dans ce secteur suppose le développement des secteurs situés en amont, tels les secteurs productifs (l’industrie et l’agriculture). Il se trouve que ces secteurs occupent une part très insuffisante dans l’emploi total : 13,9% pour l’industrie et 8,6% pour l’agriculture.
Depuis la chute des prix des hydrocarbures au plan international, le chômage en Algérie n’a pas cessé de s’accroître. C’est l’Etat, à travers la redistribution, via les dispositifs d’emploi, et à travers l’investissement public, via les marchés publics qui a permis à une part importante d’emplois de voir le jour. Dans l’histoire de l’Algérie indépendante, à chaque fois que les ressources financières de l’Etat baissent, le phénomène du chômage prend de l’ampleur.
Actuellement, avec l’austérité budgétaire, plusieurs entreprises, surtout dans le BTPH, qui fonctionnaient dans le passé grâce aux marchés publics, ferment leurs portes ce qui entraine des pertes nettes de milliers d’emplois.
La remontée de la courbe du chômage est liée à la baisse de l’offre, mais elle peut s’expliquer aussi par le comportement des chômeurs qui refusent de travailler dans certains secteurs, n’est-ce pas ?
Effectivement, il y a plusieurs chômeurs qui refusent de travailler dans certains secteurs comme le bâtiment et l’agriculture. C’est ce que les classiques qualifient du chômage volontaire. Cette situation est liée au fait que la population en chômage est principalement jeune et que ces jeunes sont généralement pris en charge dans le cadre de la famille. Il y a des situations où le niveau de vie d’un chômeur est meilleur que celui qui travaille.
Par ailleurs, il y a lieu de noter aussi que les conditions du travail dans ces secteurs ne sont pas attractives : une rémunération très insuffisante, aucune couverture sociale et aucune déclaration officielle. Un emploi ce n’est pas uniquement l’accès à un revenu, c’est aussi un statut social. C’est pourquoi plusieurs personnes qui refusent de travailler dans les secteurs cités acceptent de travailler dans le public, même avec un bas salaire.
Le secteur privé en Algérie, même s’il est le principal employeur, dans sa majorité n’est pas encore structuré; souvent ce sont des entreprises familiales, de très petites tailles et qui fonctionnent principalement dans l’informel. En plus, avec la multiplication des dispositifs d’emploi et les facilités d’accès, les chômeurs préfèrent créer leurs propres emplois que d’être des employés.
Qui des secteurs privé ou public est à même de garantir l’absorption des contingents de demandeurs d’emploi ?
Même dans une économie de marché où le secteur privé est censé être le principal créateur de richesses et le plus important pourvoyeur d’emplois, la question du chômage demeure toujours une préoccupation majeure des pouvoirs publics. Dans l’état actuel des choses, les capacités d’absorption du chômage en Algérie par le secteur privé sont très insuffisantes, en dépit de toutes les facilités dont il a bénéficié.
C’est pourquoi, nous considérons que le rôle de l’Etat concernant cette question est plus qu’important, ses marges de manouvre sont très larges. Il peut agir directement en créant des emplois nouveaux dans la fonction publique et le secteur public économique, mais aussi indirectement à travers des mesures incitatives financières, fiscales et parafiscales. Certes, des efforts importants ont été réalisés jusque-là mais beaucoup reste encore à faire.
La population en chômage est de dominance jeune, avec un niveau d’instruction ne dépassant pas le moyen et sans aucun diplôme. Face à ce constat alarmant, la question d’employabilité de ces personnes se pose avec acuité. Les déperditions scolaires constituent une source importante du chômage dans notre pays.
Chaque année, on enregistre environ 500 000 exclus du système scolaire, dont une majeure partie n’est pas reprise par la formation professionnelle. L’investissement dans la formation et l’employabilité des personnes constitue un autre défi que l’Etat doit relever, pour permettre à beaucoup de chômeurs de s’insérer dans le marché du travail. Le traitement du chômage en Algérie nécessite une approche globale qui implique l’ensemble des acteurs de la société. Ces acteurs doivent agir avec beaucoup de cohérences et avec un objectif commun, qui est celui de réaliser le plein emploi.
Aussi, le chômage est un phénomène macroéconomique qui ne peut être dissocié des autres variables, à savoir la croissance et l’inflation. Néanmoins, nous pouvons esquisser quelques recommandations qui peuvent influencer positivement sur le marché du travail en Algérie. D’abord, il y a lieu de mettre en place un système d’information qui nous renseigne objectivement et à tout moment sur la réalité de l’emploi, aussi au niveau national qu’au niveau local.
Pour renverser la courbe ascendante du chômage, il est urgent d’orienter et d’encourager l’investissement dans les secteurs productifs, structurants et intensifs en main d’œuvre. Le développement de la PME dans les secteurs de l’industrie, l’agriculture, l’aquaculture, l’artisanat et le BTPH donne un nouveau souffle pour la dynamique de création d’emploi en Algérie.
Entretien réalisé par
Kamela Haddoum.

