Chef du département hydraulique de l’université de Béjaïa, M. Maza Mustapha, 47 ans, Docteur en géologie de l’université de Montpellier et maître de conférences, a bien voulu nous entretenir, au lendemain de Laâlam, des mécanismes complexes qui président à la survenance des séismes. Sans se départir d’une rigueur toute scientifique, M. Maza s’est toutefois livré au périlleux exercice qui consiste à user d’une sémantique, pas toujours aisée à appréhender pour rendre ses propos compréhensibles.Suivons-le et partageons avec lui une passion et une rigueur toute cartésienne qu’il s’efforce de rendre en toute simplicité, avec un rare bonheur en excellent communicateur.La Dépêche de Kabylie : A quoi sont dus les séismes qui, à intervalles réguliers, frappent l’Afrique du Nord et particulièrement notre région ?ll M. Maza Mustapha : Historiquement, les conséquences des séismes qui frappent le nord de l’Afrique sont dues à l’affrontement de 2 plaques continentales, l’africaine et l’eurasienne. Le nord de l’Afrique affronte donc le sud de l’Europe et de l’Asie avec une tendance à fermer le bassin méditerranéen. Tout le nord de l’Afrique est donc sujet à des séismes. Au point de vue sismicité, la région de Béjaïa est réputée de sismicité moyenne. Ce qu’il faut retenir du séisme de Laâlam, c’est le fait que c’est la première fois que nous avons un séisme de cette magnitude : 5,8. Pour exemple, celui de Béni Maouche n’a pas excédé les 5,4 sur l’échelle ouverte de Richter ! Historiquement aussi, la région de Kherrata, connue comme étant une zone sismique, moyennement sismique, bouge toujours. Le dernier séisme majeur ressenti à Laâlam remonte aux années 50. De plus, les annales françaises parlent déjà de ce phénomène au 18e siècle.5,8 ne signifie rien, ou pas grand-chose pour les profanes que nous sommes ! Qu’est-ce à dire ?ll 5,8 est situé sur l’échelle de Richter entre 5,5 et 6,1. Il se produit à peu près 500 séismes de ce type par an à travers le monde. Ils n’occasionnent généralement que de faibles dégâts aux bâtiments. Cela dit, ne pensez pas surtout qu’il ne peut se produire de séisme de magnitude plus élevés. Nous sommes sujets à ce genre de catastrophes, donc il est du domaine du probable pour que la région connaisse un jour un séisme plus important, même si pour l’instant ils demeurent modérés. Les failles dont parlent les spécialistes sont-elles directement liées aux séismes ?ll Il y a des failles effectivement, des failles majeures à Kherrata, à Gouraya-Toudja et à Allaghan-Tazmalt. Sachez que Gouraya et le mont de Toudja formaient à l’origine une seule et même montagne. Il y a eu un cisaillement senestre, un décrochement qui les a séparé. Généralement, le séisme est lié à la tectonique des plaques, c’est-à-dire à une faille, à une cassure de roche pour faire libérer l’énergie. Kherrata qui fait partie des Babors, considérés comme le prolongement vers l’est de la chaîne du Djurdjura, est traversée par un pli-faille très connu. Et quand on construit sur une faille qui est par excellence une zone de faiblesse, il suffit que ça bouge un peu pour que tout s’écroule. Le cas le plus connu dans le monde est représenté par la ville de San Francisco, bâtie sur la faille de San Andréa et qui vit dans l’attente angoissante du “Big one”, le cataclysme suprême. Nos failles sont moyennes, mais elles sont là. Il faut donc faire avec.Existe-t-il un classement mondial des zones sismiques, bâti sur l’intensité des secousses telluriques qui s’y produisent ?ll Il y a, dans le monde, des zones à risques connues et répertoriées. 70% des séismes mondiaux dépassant les 7 à l’échelle de Richter se produisent sur la ceinture de feu du Pacifique.Où se situe notre pays dans cette classification ?ll D’autres séismes se localisent le long des rives médio-océaniques, au nord de l’Afrique et au sud de l’Europe. Cela dit, les autre sont très éparpillés. J’ajouterai que le risque d’avoir des séismes plus importants et même des tsunamis existe. Le classement de notre pays en tant que région à moyenne sismicité est arbitraire car rien, absolument rien ne dit qu’il est à l’abri d’une catastrophe majeure qui peut survenir à n’importe quel moment. Sachez, par ailleurs, qu’il n’existe aucune méthode fiable et raisonnable pour prévoir un séisme. La reclassification de notre pays est donc plus que nécessaire, ne serait-ce que pour réajuster et corriger les normes de construction. Encore heureux que notre région connaisse des séismes fréquents qui pour, libérateurs d’énergie qu’ils sont, ne laissent que peu de place à un séisme dévastateur ! Mais, encore une fois, rien n’est moins sûr !Question importante : les normes de construction. A-t-on appris enfin la leçon et applique-t-on les nouvelles normes ?ll Je tiens à dire quelques vérités aux bureaux d’étude, certains, bien entendu. Quand le suivi des chantiers fait défaut et que la plupart des responsables de chantier péchent par ignorance, quelque chose ne tourne pas rond et il y a véritablement péril en la demeure. Les économies de bouts de chandelle, la triche, si vous voulez, sur les matériaux, le dosage, la qualité, n’arrangent en vérité personne. Ce sont autant d’entorses graves aux règles parasismiques ! Depuis le séisme de Boumerdès, on a commencé à tenir compte de normes plus ou moins parasismiques. Mais de manière plus frileuse, surtout dès lors que les mécanismes de contrôle sont appliqués de manière quelque peu laxiste. En matière de culture sismique, tout reste à faire.Des conseils à nos lecteurs ?ll Première recommandation : il ne faut pas s’affoler. La première secousse, il faut le savoir, est la plus importante. C’est là où il y a la plus grande libération d’énergie. Les secousses qui viennent après ou répliques, sont de moindre intensité. Evitez donc de céder à la panique et se précipiter dans la rue en empruntant les escaliers. Quant aux rumeurs faisant état de l’apparition de lacs et de volcans, elles sont autant fantaisistes qu’invraisemblables, car ne survenant qu’en cas de séisme de magnitude 8 !Que pensez-vous des explications que certains essaient de propager, imputant ces phénomènes à des châtiments divins naturels ?ll Ça n’a rien à voir ! Les séismes, phénomènes naturels, existeront tant que la terre bouge, tant qu’elle n’a pas atteint l’équilibre isostatique. La terre est un astre vivant et qui, en tant que tel, a une activité par rapport aux plaques tectoniques. Tout le reste n’est que littérature douteuse propagée par des prophètes de malheur, en mal d’âneries.
Entretien réalisé par Mustapha Ramdani