Pour parler de ce nouveau procédé, un business florissant, nous ferons un tour à Tigzirt sur mer où il est le plus appliqué depuis des années. Des citoyens disposant d’un terrain de moins de 200 mètres carrés en ville, ou même à sa périphérie, se sont retrouvés, du jour au lendemain, sinon millionnaires du moins rentiers à vie, pour eux-mêmes et pour leurs descendants. La côte kabyle, nous la limitera pour ce reportage à la ville de Tigzirt sur mer, l’antique Iomnium romaine, avec ses ruines, son splendide ilot, ses plages de sable fin et son climat très doux. En effet, qui ne rêve pas de disposer d’un appartement dans cette charmante ville ? Le seul fait de poster une annonce, que ce soit dans un journal, un site internet, ou même par affichage dans les grandes villes, vaudra à son auteur des dizaines de coups de fil par jour et de différentes wilayas qui se disputeront le plus modeste appartement mis en vente. Des malins ont flairé la bonne affaire et inventé le procédé Troc. Les terrains se vendent à prix d’or. La ville de Tigzirt sur mer, aux paysages sublimes, est devenue le terrain idéal pour ce business. Les propriétaires de terrains sont approchés par les promoteurs et entrepreneurs pour un partenariat. Les agences immobilières, et depuis les années 90, poussent comme des champignons. Une dizaine environ à Tigzirt sur mer, des dizaines d’intermédiaires, de semsars et de très sérieux entrepreneurs. A dire vrai, le littoral était resté totalement vierge jusqu’aux années 80. Les villages se nichaient au sommet des collines environnantes, pour des raisons évidentes de défense contre tout envahisseur et ce depuis des siècles. Les habitants, propriétaires de dizaines d’hectares sur la côte, se contentaient de les cultiver. Champs de pomme de terre, de légumes frais ou secs selon les saisons, arbres fruitiers, particulièrement les figuiers, étaient les seuls habitants de ces immenses terrains qu’effleure la Méditerranée. Ce n’est qu’au début des années 80 que de riches Algérois et émigrés, qui venaient passer leurs vacances sur les plages propres et vierges de la côte, flairèrent la bonne affaire. Ils y construisirent des villas à la périphérie de la ville et sur le littoral de la commune des Iflissen. Sans le savoir, ils seront les précurseurs du boum immobilier côtier, de cette idée de troc, qui verra quelques années plus tard des milliards de centimes changer de mains. Ces pionniers algérois ou riches émigrés achetèrent des lopins de terres, pour presque rien, aux pauvres villageois. Ces derniers ne sachant rien à la question immobilière. En effet, un terrain vendu à 15 millions de centimes en 1988 est revendu à 4 milliards 15 années plus tard. Beaucoup d’entre eux nous ont affirmé qu’ils ont regretté la transaction, mais à qui se plaindre ! Les villageois, dans leur dénuement, verront surgir de splendides villas avec piscines et caméra de surveillance. Ils ne tardèrent pas à s’en mordre les doigts. Puis vint le procédé du Troc. Des agences immobilières, des entrepreneurs, des promoteurs sont sur la piste. Ils proposèrent des affaires à des propriétaires, harcelés quotidiennement à coups d’offres d’achat à qui mieux mieux. Même si le mètre carré se vendra à 5 million de centimes et plus, le troc restera pour les habitants propriétaires de terrains la meilleure affaire qui soit. La procédure consiste en la cession, par voie de notaire, de la moitié d’un terrain par son propriétaire pour un promoteur qui se chargera de la construction d’un immeuble sur le terrain entier. L’immeuble en question sera partagé en deux entre le propriétaire et les promoteurs et chacun aura sa part de locaux commerciaux au rez-de-chaussée et plusieurs appartements sur les étages supérieurs. Les bons comptes faisant les bons amis, le propriétaire, qui jadis ne disposait que d’une vieille maison, se retrouvera souvent propriétaire de trois ou quatre locaux commerciaux en ville qu’il louera ou exploitera et cinq à huit appartements flambant neufs, dont il vendra certains et louera ou habitera d’autres. Le promoteur, lui, vendra généralement, mais il se réservera toujours un local et un ou deux appartements pour lui et sa famille. Qui dit mieux ! La revanche, ce sont les descendants des villageois «dépouillés» qui la tiendront. En utilisant les derniers lopins de terre que leurs pères miséreux ou naïfs n’ont pas eu le temps de brader. De nos jours, même des personnes de 90 ans comprennent le système du troc et laissent faire leur progéniture. Résultat, et pour ne parler que de la ville de Tigzirt sur mer, des centaines d’immeubles sont érigés.
Ferhat Tizguine