En ces jours de début de l’été, à Bouira, loin des rives de la méditerranée, il existe aussi des havres de paix pour ceux qui recherchent calme et quiétude hors du brouhaha des villes et des agglomérations
Un de ces paisibles endroits, devenu ces derniers temps une destination privilégiée de certains initiés, est la rive sud du barrage de Tilesdit, dans la commune d’El Esnam, au niveau de Taourirt Amar, à 5 kilomètres de la RN 5. Une route mène le visiteur jusqu’au bord de l’eau où l’accueille un paysage à couper le souffle. La majestueuse montagne du Djurdjura se reflète d’une manière nette sur les eaux de Tilesdit, comme si c’était un gigantesque miroir. Seuls les piaillements des oiseaux, viennent perturber le silence qui caractérise cet endroit paradisiaque. Le lac offre un spectacle impressionnant fait de ballets incessants de libellules chassant mouches et moucherons à la surface de l’eau. Les libellules bleues, assez particulières, sont parfois, à leur tour happées soudainement par des poissons qui jaillissent hors de l’eau pour s’en saisir au vol. Un tableau qui résume la loi de la nature où tout prédateur est aussi une proie dans une chaine alimentaire parfaitement orchestrée. Vers 10 heures, les pêcheurs habitués des lieux commencent à affluer. La majorité d’entre eux n’habitent pas la région comme on pourrait le croire, ils parcourent plusieurs dizaines de kilomètres, parfois une centaine, pour venir taquiner le poisson en cet endroit paisible. C’est le cas de Said, originaire de Hammam Delaâ, wilaya de M’sila et de son ami H’med de Bordj Bou Arreridj. Ils viennent à Tilesdit plusieurs fois par semaine et chacun dans son propre véhicule, car leur matériel est assez spécifique et surtout encombrant. «Il nous arrive de venir ici 4 à 5 fois par semaine. En général on vient dès que le temps le permet. La distance n’est plus un obstacle avec l’autoroute. Peut importe le trajet le trajet lorsqu’on connait ce site», nous dit Said, visiblement conquis par cet endroit. Tous deux sont retraités d’une même entreprise et ont gardé l’amitié et la complicité qui les ont liées toute leur carrière et qu’ils continuent à présent à entretenir par cette passion qu’ils partagent. Ils ont en commun l’amour de la pêche et de la nature, nous avouent-ils.
Pêcheurs et éboueurs bénévoles
Un rituel incontournable les unit avant de lancer leurs cannes à pêche dans l’eau ; nettoyer les alentours de la berge où ils ont coutume de s’installer. «Nous déplorons le fait que des gens viennent ici boire et manger pour tout laisser derrière-eux. Il faut que les visiteurs prennent conscience que le site n’est pas une décharge et qu’à force de laisser leurs détritus sur place, l’endroit sera pollué et tout l’écosystème, faune et flore sera menacé», nous déclare H’med, contrarié. Il nous apprend avec émotion que le barrage d’Ain Zada, proche de chez-lui à Bordj Bou Arreridj, est devenu une poubelle à cause des agissements irresponsables des visiteurs : «Au début, il n’y avait que les initiés qui venaient se détendre à Ain Zada sur les rives du barrage, au fil du temps, l’endroit s’est transformé en dépotoir où les poissons ne survivent plus dans un environnement toxique, pollué par l’homme», dira-t-il, ému. Cela explique ses déplacements quasi-quotidiens à Tilesdit où la beauté du site est encore à l’état sauvage. Les détritus ramassés et mis dans des sacs poubelles géants sont mis dans les malles de leurs véhicules pour être jetés dans une décharge à leur retour. L’opération «nettoyage» leur prend une bonne demi-heure, laps de temps qu’ils mettent à profit en jetant un peu de mie de pain en différents endroits, pour attirer le poisson. Commence alors le déballage du matériel. Des cannes télescopiques sont soigneusement déballées de leurs fourreaux, vient ensuite l’hameçonnage avec des vers de terre, ainsi qu’avec des leurres chatoyants pour attirer le poisson. «Nous utilisons différentes sortes d’hameçons pour attirer plusieurs espèces de poissons. J’affectionne particulièrement l’anguille qui sort lorsque le temps est couvert ou durant les périodes de la journée où la luminosité est peu intense. Pour pêcher l’anguille la ligne de pêche doit être méticuleusement soignée, et il faut utiliser des matériaux discrets et robustes, car l’anguille est puissante. Lorsqu’elle mord, il faut s’attendre à des départs violents, incroyablement fulgurants. Elle se cache dans des endroits rocheux, ce qui fait sa force, et je dois prendre en considération tous ces facteurs avec une bonne plombée sur la ligne. Le reste, c’est la chance. On est bien heureux quand on repart en fin de journée avec une ou deux anguilles».
Carpes, brèmes, goujons, gardons et autres poissons à profusion !
La carpe est également un poisson très prisé par les pêcheurs qui se rendent sur les berges du barrage de Tilesdit, et il est fréquent de voir des prises assez imposantes. Un groupe de jeunes d’El-Esnam arrive aux environs de 14h avec leurs cannes à pêche et leurs fardas. Ils saluent les pêcheurs qui les ont précédés sur place avant de se diriger vers leurs «planques». Pour eux, le décor est vite planté. Ils connaissent comme leurs poches les bords du rivage et savent exactement où poser leurs lignes. En plusieurs endroits, d’anciens trous permettent aux jeunes pêcheurs de poser leurs cannes sans peine, une fois l’hameçon amorcé au bout du fil. Plus d’une quinzaine de lignes sont installées en moins d’un quart d’heure. Les jeunes se regroupent aussitôt sous un olivier à discuter de leurs prises de la veille. Parmi ces «mordus», tout le monde n’emporte pas sa prise, préférant les relâcher car, disent-ils, ils ne viennent pêcher que par passion et pour partager un moment de plaisir où l’adrénaline oscille au gré des mouvements de la ligne. «Nous aimons nous affronter entre amis, voir qui est le meilleur pêcheur, qui sortira la meilleure prise. Jusqu’à présent, le record est une carpe argentée de 14 kilos, mais on a entendu dire qu’il y en a de plus grosses, c’est ce que certains affirment. La pêche est notre «vice», on est vraiment dépendants de ce loisir», nous dit Karim, maraicher de la localité. En 2015, le barrage de Tilesdit a été ensemencé avec 150.000 larves et 110.000 alevins de carpes argentées, ainsi que 100.000 larves de carpes chinoises. Des espèces qui, aujourd’hui, se sont parfaitement acclimatées au vu des superbes spécimens pêchés régulièrement dans ces eaux. Ceci dit, il existe également des brèmes, des goujons et des gardons qui peuplaient auparavant les oueds et que les eaux, alimentant aujourd’hui le barrage, ont charriés.
Pas d’«anguille sous roche» !
Ces pêcheurs réguliers sont toutefois souvent rejoints par des pêcheurs férus de la poile qui recherchent des pièces à ramener, à cuisiner et à déguster à l’heure du diner. Pour ceux-là l’anguille fait l’unanimité et en parler, les fait déjà baver et leur donne tous l’eau à la bouche. En cette journée nuageuse, ils caressent tous l’espoir qu’une anguille se laisse séduire par les vers de terre qui se tortillent, encore vivants, au bout de leurs lignes, d’autant plus que la saison printanière est idéale pour la pêcher. Venus de la ville de Bouira, Abdenour et Sofiane ont l’habitude de pratiquer la pêche et en sont amateurs. Toutefois les rives de Tilesdit sont encore à découvrir, pour eux qui avaient l’habitude de pêcher à Koudiet Acerdoune : «D’habitude, nous pêchons à Koudiet Acerdoune, mais ces jours-ci, la circulation nous décourage de nous y rendre, c’est pour cela que nous avons opté pour Tilesdit. C’est un de nos amis qui nous a montré le coin et on est là pour découvrir et tenter notre chance», dira Abdenour en sortant sa canne à pêche et son moulinet. Sofiane qui l’accompagne, s’occupe à accrocher les appâts sur les hameçons en attachant solidement la ligne : «Les anguilles sont très fortes et il arrive souvent qu’elles s’enfuient avec l’hameçon. L’endroit parait propice avec ces fonds boueux et rocailleux. J’espère inaugurer notre première partie de pêche à Tilesdit avec une belle anguille», nous dit en souriant, notre interlocuteur. Au bout de deux heures d’attente et d’espérance, ils repartiront bredouille tandis que les jeunes d’El Esnam avaient déjà «sorti» 04 carpes qu’ils immortaliseront avec leurs portables avant de les remettre à l’eau. «On leurs laisse la vie sauve. Et puis, avec ces prises, y a même pas de quoi se vanter sur Facebook», plaisanteront-ils. Aux environs de 17h, les deux amis de Bordj et de M’sila, se préparent à rentrer. Ils ont fait quelques petites prises qu’ils ont relâchées également car selon eux, elles ne «sont pas de taille» pour la poêle, du moins pour le moment : «Nous préférons prendre des pièces plus imposantes. Laissons donc ces poissons grandir, ce n’est qu’un sursis, car rendez-vous est pris avec eux pour l’année prochaine et ils ne seront que plus gros. Nous aurions aimé repartir avec une anguille mais il semblerait que contrairement aux autres poissons qui avalent toute la ligne, les anguilles nous boudent», ironise tout de même notre ami de M’sila. Tout au long de la journée, des dizaines de véhicules viendront se garer près des berges avec les enfants qui donnent un peu de «vie» à cet endroit silencieux. D’autres, venus en solitaire, contemplent les eaux du barrage et suivent des yeux, visiblement amusés, le manège des enfants qui courent dans tous les sens avec force cris. D’autres prennent des photos pour alimenter les réseaux sociaux. Vers 19h30, les rives du barrage sont désertes, tous sont repartis chez eux, au moment précis de la journée que les carpes et autres gros poissons s’aventurent habituellement près des berges pour happer les insectes et autres libellules qui y pullulent à l’approche du crépuscule…
Hafidh Bessaoudi

