Béjaïa s’est forgé la triste réputation de wilaya la plus «fermée» du pays. En effet, il ne se passe plus un mois, voire une semaine, sans qu’une route nationale ou un chemin de wilaya ne soit barricadé par-ci, une mairie, une daïra, ou un quelconque siège d’une administration locale cadenassé par-là. Plus d’une fois, des groupes de citoyens ont bloqué la voie ferrée, pour réclamer un droit. réel ou supposé. On a poussé la surenchère jusqu’à fermer les vannes du barrage Tichy Haf, afin de dénoncer une prétendue injustice. Le paradoxe de la situation réside dans le fait que cette forme de protestation extrême s’avère payante à tous les coups. Les autorités, qui se murent dans un silence pathologique, descendent subitement de leur piédestal, pour négocier avec les citoyens en colère. Fatalement, on a fini par se convaincre que pour obtenir un bout d’asphalte, une canalisation d’assainissement ou une conduite d’eau potable, il faut attenter à l’ordre public et prendre en otage la population. Ce modus opérande, qui consiste en réalité à se faire Hara kiri, est sans doute révélateur du désarroi de la plèbe et de l’impasse des horizons sociaux. La gestion approximative des collectivités locales et le mode d’administration tout aussi aléatoire des daïras, contribuent activement à accentuer le malaise et à exacerber les conflits. L’absence ou l’inefficience des structures de médiation sociale, comme les comités de villages et les conseils consultatifs des APC, rend impossible l’instauration d’un dialogue sociale et la formalisation de compromis civilisés. Les pouvoirs publics qui brillent souvent par l’absence du sens d’initiative et d’anticipation des conflits, ne semblent nullement embarrassés de faire valoir d’ordre régalien. En accédant promptement aux revendications des protestataires, l’administration n’encourage-t-elle pas implicitement la récidive de ces actions musclées ? De fil en aiguille, on s’est retrouvé confortablement installés dans une spirale infernale, dont on ne peut que s’inquiéter des retombées multiples et gravissimes. Le secteur économique est déjà lourdement impacté. L’activité s’enlise inéluctablement dans les purgatoires. «Chaque fermeture de route nous cause une perte sèche de 2 millions de DA par heure», avoue un responsable de l’entreprise portuaire. «La situation n’augure rien de bon. L’avenir s’annonce plus incertain que jamais», déclare le gérant d’une PMI, informant que son chiffre d’affaire ne cesse de décliner. «Béjaïa renvoie l’image d’une wilaya où il ne fait plus bon investir. Comme si le goulot bureaucratique, la pression fiscale et les difficultés d’accès au foncier industriel ne suffisaient pas à notre peine. La paralysie récurrente des principaux axes routiers est venue nous porter un coup de massue», relève un patron d’industrie, installé dans la haute vallée de la Soummam. D’aucuns parmi les operateurs de la région confient que la dynamique de désinvestissement a déjà commencé par la délocalisation des actifs et la mise sous scellés d’entités économiques.
N Maouche.