L’Office national des droits d’auteurs et droits voisins (Onda), à travers certaines initiatives positives, qui ont mis beaucoup de temps à se concrétiser, a pu se donner une image honorable au cours de ces dernières années.
L’office renoue les fils entre les artistes/créateurs algériens et les institutions officielles, longtemps boudées et sans crédit. Des hommes de culture crédibles et respectables, restés longtemps réservés et circonspects quant à leurs relations avec les institutions publiques, ont accepté de «jouer le jeu», en accueillant favorablement l’ouverture de l’Office sur les artistes et le monde de la production culturelle. L’Onda entend également participer à la vie artistique et culturelle du pays, à travers, par exemple, la caravane intitulée «Fêtons algérien», qui est organisée dans 38 wilayas, du 12 juillet au 18 août 2018, en programmant 450 spectacles gratuits auxquels participeront 500 chanteurs. En matière de protection des droits d’auteurs, il y a lieu de souligner que, depuis avril dernier, 148 artistes algériens vivant en France ont adhéré à l’Onda qui compte actuellement 21 000 membres. La protection de la propriété intellectuelle ira même, d’après le directeur de l’Onda, Sami Bencheikh El Hocine, jusqu’à demander à la société Google d’assurer des droits de rétributions aux artistes algériens dont les œuvres sont postées sur des sites internet. Si l’Algérie «a fait de grands efforts en adhérant aux instruments internationaux de protection de la propriété intellectuelle, dont ceux protégeant les producteurs et acteurs d’œuvres cinématographiques», dira Sami Bencheikh, il n’en demeure pas moins que l’état général de la production, de la diffusion et de l’impact de la production culturelle, demeure le parent pauvre des activités nationales. En dehors de certaines productions de qualité, qui ont marqué leur époque et l’histoire de l’art et de la culture de manière générale, on continue à vivre une culture de «spectacle», de façon sporadique ou circonstancielle, laissant de larges parts de la population ou du territoire loin d’atteinte. Si des associations et des collectifs indépendants arrivent, çà et là à s’organiser autour d’activités culturelles de valeur, on est cependant loin de l’acte culturel permanent, devant faire partie de la vie des citoyens sur les douze mois de l’année, avec un impact appréciable sur l’élévation du niveau culturel, la diffusion des valeurs artistiques et esthétiques nationales et universelles, ainsi que sur la formation aux valeurs de la citoyenneté. Si l’on s’arrête sur les gros spectacles budgétivores que l’Algérie a connus au cours de ces dernières années, les constats de scepticisme et même d’échecs avérés s’égrènent à profusion. Ce n’est assurément pas sans raison- outre l’austérité budgétaire-, que le ministère de la Culture a décidé de réduire le nombre des festivals de grande dimension et de réduire au strict minimum la durée de ceux qui sont maintenus.
Frustrations sublimées par le… satellite et le portable
L’une des dernières et fastueuses manifestations que l’Algérie ait organisées, c’est celle qui a eu pour intitulé « Constantine, capitale de la culture arabe-2015 ». En dehors d’une dépense publique qui «tombe comme un cheveu sur la soupe» en pleine contraction des revenus pétroliers, et à l’exception d’un boucan médiatique peu innocent, le reste se passa dans un quasi-anonymat. Au vacarme ayant présidé à son inauguration, a succédé, quelques semaines après, la vacuité des salles dans lesquelles se produisent les pièces de théâtre ou étaient projetés des films. Ce qui avait plutôt défrayé la chronique, ce furent les pluies automnales, lorsque la vieille ville allait vivre un capharnaüm inédit. D’immenses tas de gravats, laissés par des entreprises- censées faire la restauration des vieilles bâtisses et qui avaient pris la poudre d’escampette, bouchèrent les caniveaux et tous les canaux d’évacuation des eaux. Des morceaux et des bris de briques, de tuiles et de béton sur les trottoirs et les fossés créèrent des inondations là où la ville n’en a jamais connues auparavant. La manifestation fut bouclée en 2016, alors que les travaux de restauration du vieux bâti et de lieux de pèlerinage culturel, censés être réalisés avant la manifestation elle-même, traînaient en longueur. Manifestations de prestige, industrie culturelle ou ambiance et cadre de vie en relation avec la culture, sont bien en panne dans notre pays. La « substitution » de ce grave déficit par des milliers de chaînes de télévision satellitaires ou les réseaux sociaux ne fait généralement qu’approfondir le sentiment de frustration face à un monde qui se fait et se fête sans nous, et sans doute contre nous, où l’Algérie n’arrive pas à dessiner correctement sa place. Le seul motif d’une arrogance mal placée, le pétrole, est en train de connaître ses plus mauvais jours; et le processus ne fait que commencer.
Des infrastructures désincarnées
Un tel gâchis montre, on ne peut mieux, la persistance d’une politique culturelle bâtie sur le prestige, le clinquant, le grand bruit et la consommation de budgets mirobolants. Le ministre de la Culture, Azeddine Mihoubi, a promis, en 2016, de réduire au strict minimum les festivals nationaux et d’en réduire aussi la durée. Il y a chez lui, en toute apparence, d’une part, le souci budgétaire, dans la très délicate conjoncture que traverse le pays après la baisse des revenus pétroliers de moitié, et d’autre part, le constat de l’inanité d’un grand nombre de festivals, particulièrement ceux qui s’étalent sur plusieurs mois. Ces rendez-vous festifs, accessoirement culturels, sont supposés redonner un certain souffle au monde de la culture qui paraît, sur les douze mois de l’année, presque amorphe. Lorsqu’une information culturelle- portant sur une nouvelle œuvre de cinéma, une belle exposition de peinture, une publication de valeur dans le domaine de la littérature- arrive à se frayer une place dans nos médias, c’est l’espoir que tout n’est pas peut-être perdu dans ce pays, qui rejaillit et tente de croire à la pérennité de l’action culturelle en dehors des seules manifestations budgétivores. Il y a lieu d’observer aussi que certains projets culturels fort louables ont des difficultés à s’inscrire dans une logique d’ensemble qui les rendrait plus profitables aux citoyens. Ici, allusion claire est faite aux centaines de bibliothèques qui se multiplient à travers les wilayas et les communes du pays. Nous avons constaté personnellement que, pour des communes rurales fort modestes, il a été accordé des bibliothèques communales (principalement dans le programme Hauts Plateaux), alors que les écoliers supposés s’y rendre pour s’abreuver de savoir et y développer leur sens esthétique, sont disséminés dans des habitats dispersés et s’occupent, en période de vacances, du gardiennage de troupeaux. Il y a là une espèce de chaînon manquant, qui puisse les attirer vers ces bibliothèques malgré l’éloignement de leurs domiciles et parfois même l’absence de route carrossable. En tout cas, la production et les activités relevant du monde de la culture requièrent une profonde réflexion à même d’amener la jeunesse à s’intéresser à son Histoire, à son environnement et à sa société. C’est, en somme, de la formation de la citoyenneté qu’il s’agit. Cependant, lorsqu’on examine la sphère marchande de l’activité culturelle dans notre pays, l’on ne manque pas d’être pris par le tournis en raison des irrégularités et de l’anarchie qui caractérisent certains secteurs. L’une des dérives les plus manifestes de l’industrie culturelle est sans aucun doute celle du piratage. Cette dérive est révélatrice de la décrépitude du champ culturel algérien et de la situation de non-droit dans laquelle évolue l’industrie y afférente.
Assurer les artistes n’est pas suffisant
On a eu affaire à des réactions de grande déception, d’exaspération et de légitime colère de certains auteurs-compositeurs face au phénomène de piratage de chansons, écoulées comme de futiles fripes sur les trottoirs de la ville sous forme de disques MP3. L’un de ces chanteurs, un maître de l’andalou tlémcenien, a avoué, il y a quelques années, son abdication face à la politique du fait accompli, le poussant même à penser à l’inanité de continuer à produire des albums qui, finalement, seront destinés à alimenter le marché informel au détriment de la maison d’édition et du chanteur. Le phénomène a pris une ampleur si inquiétante qu’elle menace l’activité artistique dans ses fondements même. En effet, qui, parmi les chanteurs, les réalisateurs de cinéma ou autres hommes de culture peuvent se sentir à l’abri de la duplication clandestine ? Le phénomène a pris une tournure encore plus grave avec les plates-formes internet – tel que Youtube- où les produits des artistes (chanteurs, réalisateurs,…) sont proposés gratuitement. S’il est vrai que des opérations de destruction de disques piratés ont été organisées déjà par le ministère de la Culture et que l’Onda tente de sensibiliser la société Google pour rémunérer les œuvres artistiques algériennes postées sur des sites internet, il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire, non seulement pour protéger les productions algériennes face à l’entreprise de piratage, mais aussi pour promouvoir les activités culturelles tout au long de l’année, intégrer les associations culturelles et les aider, faciliter l’importation des produits culturels, particulièrement les livres, assister les éditeurs algériens dans l’acquisition de la matière première et dans l’achat de certains droits de reproduction, introduire les nouvelles technologiques numériques dans la gestion des bibliothèques, diffuser le goût de la lecture et de la représentation théâtrale à travers les programmes scolaires et conférer un meilleur contenu aux médias culturels (radio, télévision, revues, journaux, sites internet,…).
Amar Naït Messaoud