Tunisie, la destination préférée des Algériens

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À dix jours du réveillon, les gens ne se bousculent pas aux agences de voyages. Les tarifs des circuits à l’intérieur du pays continuent de pousser les touristes nationaux vers l’étranger.

Lundi 17, mardi 18 décembre, les agences de voyages implantées dans divers quartiers de la ville de Tizi-Ouzou étaient vides. Leurs portes vitrées sont bariolées d’affiches des produits proposés pour la Saint-Sylvestre. Toutes les agences privées ont des offres de voyage pour les fêtes du réveillon, toutes ont opté pour des destinations hors frontières, seul l’ONAT (Office national de l’artisanat et du tourisme) fait dans l’offre nationale. Aucune proposition pour l’étranger. Ça serait aller à l’encontre de la politique de promotion du tourisme local. De la promotion qui se fait à des coûts exorbitants, c’est le paradoxe du marketing institutionnel qui, entre vouloir et savoir, finit souvent au bénéfice des produits étrangers. Pendant que ces derniers concourent dans les rabais, l’ONAT s’entête à vendre cher toutes les destinations. Fêter la Saint-Sylvestre à Taghilt Igli coûte 16 800 dinars pour trois jours et deux nuitées. Quant au voyage, le client doit payer son ticket de train Oran – Béchar à 2 700 dinars. Pour le même circuit, mais à quatre jours et cinq nuitées, la facture à payer est de 24 800 dinars, en sus du ticket du train. Une autre offre de l’ONAT vous propose de passer quatre jours et trois nuits à Biskra pour 46 000 dinars. C’est l’exact double tarif pour voyager en bus et passer la même période à Hammamet, en Tunisie, que la quasi-totalité des agences de voyages privées vous offrent. «Toutes les offres vers le Sud sont à des tarifs doubles que ceux vers la Tunisie», a-t-on indiqué. Plus chère encore est cette offre de huit jours et sept nuitées dans les Oasis facturée à 68 800 dinars à partir d’Oran, et à 63 800 dinars à partir d’Alger. Tous les voyages se font en bus ou en mini-van. Si d’aucuns s’accordent à qualifier de «corrects» les services touristiques offerts dans le Sud algérien, il n’en demeure pas moins que les factures donnent plutôt l’envie à l’Algérien d’aller débourser son argent en Tunisie ou à Istanbul. «On ne comprend toujours pas pourquoi on pratique cette échelle de tarifs sur le produit local au moment où l’on veut capter les entrées touristiques», regrette un ancien employé de l’ONAT. Nostalgique, il se rappelle du temps où il fut recruté dans l’Office vers lequel se bousculaient Européens et Américains. «J’ai vu défiler des milliers de touristes étrangers qui côtoyaient les nôtres dans une ambiance sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd’hui», se rappelle-t-il, avant d’écorcher la stratégie marketing qui s’applique présentement dans le secteur touristique : «Vous rendez-vous compte qu’Air Algérie continue de pratiquer des billets chers comparativement à tous ses concurrents ! Est-ce comme cela que l’étranger aura envie de venir passer ses vacances chez nous ?». Et de faire un simple comparatif : «Les compagnies concurrentes font embarquer les Européens à 130/150 euros vers la Tunisie ou le Maroc, contre 200 euros et plus pour venir à Alger à bord d’Air Algérie. Le calcul est vite fait pour le touriste européen issu de la couche moyenne».

Dubaï, Istanbul, Charm El-Cheikh…

Les nuits étoilées des fêtes de fin d’année, accompagnées du diner de la Saint-Sylvestre, attirent de plus en plus les nouveaux riches, petits ou moyens, qui émergent dans la nouvelle configuration des couches sociales. C’est ce que certaines agences de voyages privées de la capitale ont compris. Certaines d’entre-elles ont même ouvert des bureaux dans la ville de Tizi-Ouzou, histoire de les capter. «Notre agence-mère est à Alger, cela fait une année que nous avons ouvert nos bureaux ici à Tizi-Ouzou pour répondre à une certaine demande qui était, par le passé, traitée au niveau de la capitale. Ce sont les nouveaux petits riches qui cherchent à voyager ailleurs, mais ne pouvant s’offrir les voyages de luxe que se permettent les patrons et hommes d’affaires», a expliqué une préposée dans une agence de voyages implantée au centre-ville de Tizi-Ouzou. Dans cette agence, qui ne fait aucune offre promotionnelle, trois destinations constituent les offres phares. Il s’agit de Dubaï, Istanbul et Sharm El Sheikh en Égypte avec une escale touristique au Caire. «Les prix peuvent vous paraître exorbitants, mais ce n’est rien comparé à la qualité du circuit qui est proposé», tente de justifier l’agent de voyage. Celle-ci ne s’est pas privée de faire un comparatif entre ses offres et celles proposées par l’agence étatique : «Tenez, par exemple, cette offre vers le Sud algérien pour près de 70 000 dinars. Comparée à celle vers Istanbul pour la même période mais avec des services plus intéressants, le choix du client est vite fait, surtout que l’écart n’est pas vraiment important !», a-t-elle expliqué, avec un ton qui traduit ‘’l’agressivité’’ du marketing moderne. Un entrain qui fait défaut aux agents de l’ONAT qui, en plus d’être gênés de faire la promotion de tarifs exorbitants pour des services dont ils ignorent la qualité faute d’y être initiés, sont conscients de la réalité du porte-monnaie de leurs compatriotes qui se rabattent sur les promotions. D’ailleurs, les affiches collées dans tous les coins et recoins de la ville et sa périphérie, des banderoles géantes faisant la promotion de la destination Tunisie, sont là pour témoigner de la féroce concurrence que se livrent les voyagistes, mais aussi de la stratégie tunisienne pour réanimer leur poumon financier que fut le tourisme. Ces offres, dont les prix varient entre 22 900 et 46 000 dinars pour un séjour compris entre trois et sept jours, font jaser dunes et oasis ! Qu’à cela ne tienne, les voyagistes des destinations luxes et semi-luxe bavent aussi. «Vivez le luxe à 175 000 dinars», est le titre d’une affiche qui appelle à partir à Dubaï pour y passer six nuits et sept jours. À ce prix, le client a droit au billet d’avion Alger – Dubaï – Alger à bord d’un vol d’Émirats Airlines, un hébergement de six nuits dans un grand hôtel quatre étoiles, un visa d’entrée, un guide accompagnateur… À 12 900 dinars, un autre voyage pour les fêtes de réveillon est proposé vers Istanbul pour la même période et les mêmes services que le premier. Idem pour l’Égypte à 149 000 dinars !

La crise fait son effet !

En dépit de cette multitude d’offres et promotions, tous les voyagistes que nous avons visités lundi et mardi derniers confirment la tendance à la baisse de l’intérêt aux voyages organisés. «Certes, ils subsistent quelques produits de voyage organisés vers la Tunisie par bus, mais cela reste minime comparativement aux années précédentes», a avoué un voyagiste implanté au boulevard principal de la Nouvelle-ville. «Les familles qui optent pour les fêtes de fin d’années à l’étranger le font à titre privé, lorsque les procédures de visas le leur permettent. Même la destination Tunisie est entreprise sans passer par nos services, la crise y est certainement pour quelque chose», explique-t-il. Mais pas que cela. Les restrictions à l’obtention des visas ont mis à mal la quasi-totalité des agences qui ne peuvent plus assurer ce service pour leurs clients lorsqu’il s’agit d’opter pour un pays européen. «Par le passé, nous le faisions avec aisance et cela arrangeait notre clientèle, mais depuis que le visa est devenu un vrai casse-tête, l’ensemble des voyagistes évitent sciemment de proposer les voyages de réveillon vers ces pays», dira un autre voyagiste sis sur le même boulevard à la Nouvelle-ville. Réveillonner loin de chez soi prend, certes, la tendance ascendante chez bon nombre d’Algériens, toutes couches sociales confondues, mais cela reste tributaire des changements induits par la santé du porte-monnaie ainsi que par la politique migratoire des pays européens notamment.

M. A. Temmar

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