Le tourisme à la peine

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Le secteur du tourisme dans la wilaya de Boumerdès est à la peine. C’est le constat amer de la commission du tourisme de l’APW, qui a dressé un long rapport détaillé à ce propos qu’elle a présenté lors de la dernière session ordinaire de l’assemblée.

De plus grands efforts doivent être consentis pour développer ce secteur qui peut générer des recettes importantes aux collectivités, particulièrement en ces temps de vaches maigres et de crise économique qui imposent la diversification des ressources de financement. La situation sécuritaire durant les années 90 et le séisme de 2003 ont relativement freiné le développement du tourisme dans cette wilaya qui recèle d’importantes potentialités, notamment ses 100 km de littoral.

Le retard dans la mise en place des plans d’aménagement touristiques (PAT) au niveau des onze zones d’extension touristiques (ZET) en est encore un autre facteur qui freine le développement du tourisme. Il faut savoir que ce n’est qu’en 2017 que quatre plans d’aménagement touristiques (PAT) ont été approuvés à Les Salines (Afir) et Takdempt (Dellys) suite à un décret interministériel (octobre 2017), puis à Zemmouri-Est et Figuier, en avril 2018. Les élus ont dénoncé les «lourdeurs administratives et la centralisation des décisions qui freinent la marche vers une économie basée sur le tourisme».

Rien ne justifie ce retard, d’autant que les moyens sont là et la volonté des investisseurs pour tirer profit de l’affluence record des estivants vers Boumerdès et, donc, de la richesse est bien réelle. Sur le terrain, pas moins de 42 investissements touristiques sont en souffrance à Boumerdès. Un constat peu reluisant qui cache mal la mauvaise gestion de ce secteur. Et en raison de problèmes souvent futiles, des projets risquent de ne pas voir le jour, comme celui de l’hôtel El-Amine, bloqué en raison de l’absence d’un réseau d’assainissement, ou de celui d’un investisseur à Corso, qui attend depuis 2006 de se faire délivrer un permis de construire modifié. A défaut d’investir dans ces zones d’extension touristique, les autorités ont laissé émerger le phénomène des constructions illicites, qui poussent sur ces zones comme des champignons.

En effet, le plus grand nombre de bidonvilles est recensé au niveau des communes côtières : Cap Djinet avec 800 constructions, Boudouaou El Behri (1 200), Figuier (700) et Zemmouri El-Behri (près de 850). La prolifération de ces habitats précaires a diminué la superficie globale des zones touristiques. Selon le SDAT, «la superficie des zones d’expansion touristique déclarées par le décret exécutif 232/88 du 5 novembre 1988 ne répondent plus à la superficie réelle du foncier touristique de la wilaya, estimé à 4 738 ha. Actuellement, cette superficie a baissé à 3 206 ha, dont environ 1 305 ha sont occupés, soit 29% de la superficie globale».

Le wali de Boumerdès, Mohamed Salamani, insiste, lors de ses sorties sur terrain, sur l’importance de lutter contre les constructions informelles. C’est son cheval de bataille, dit-il, assurant qu’il ne compte pas abandonner tant que les bidonvilles continueront à pousser ici et là. Les autorités de wilaya prévoient d’ailleurs de nouvelles opérations de démantèlement de bidonvilles, particulièrement ceux recensés avant 2007. De 2010 à 2017, pas moins de 4 674 procès-verbaux d’infraction ont été établis par la direction de l’urbanisme dans le cadre de la lutte contre les constructions illicites. Seules 652 décisions de démolition ont été exécutées, soit 13 %.

Par ailleurs, la zone littorale de la wilaya de Boumerdès n’est pas totalement accessible. Ce n’est que maintenant que les autorités se penchent sérieusement sur cette problématique. Le projet portant sur la rénovation de la RN68, sur 11 km, est en cours de réalisation pour fluidifier la circulation routière sur le tronçon Bordj Ménaïel – Cap Djinet. Les plages de l’Est de la wilaya, notamment Afir et Dellys, restent cependant toujours inaccessibles.

La seule route qui longe la wilaya d’Est à l’Ouest, et qui traverse toutes les localités balnéaires, est la RN24. Celle-ci nécessite sa modernisation et son élargissement pour répondre au flux important d’automobilistes qui l’empruntent. Le projet de l’évitement Corso – Figuier, dont les travaux sont en cours, pourrait atténuer la souffrance des estivants qui pourront rallier les plages de la côte Est une fois le projet livré. Celui-ci sera réceptionné en principe avant l’été prochain.

Outre l’accès, la quasi-totalité des plages, notamment celles très fréquentées en été, ne sont pas dotées de réseaux d’eau potable fiables et accusent un déficit en matière d’espaces de stationnement, avec la prolifération de parkings sauvages qui font fuir les vacanciers vers d’autres régions du pays. Les instructions du ministère de l’Intérieur quant à l’éradication de ce fléau ne sont toujours pas respectées.

L’écosystème marin menacé

La pollution de l’environnement est encore un autre facteur empêchant le développement du tourisme à l’ex-Rocher noir. Au niveau de la commune de Boumerdès, les oueds Tatareg et de Boumerdès, pollués par les eaux usées, se déversent dans la mer et risquent de compromettre les investissements en cours. Pis, l’étude du captage des eaux usées, proposée par l’APC de Boumerdès, n’est toujours pas menée, alors que des projets de quatre hôtels sont en cours de réalisation.

Les eaux usées de l’oued Tatareg, en provenance des habitations d’Aliliguia notamment, menacent le projet de Cosider portant sur la réalisation d’un hôtel. À Figuier, la ZET est menacée par les eaux usées provenant de constructions illicites et de la cité des 600 logements en raison de la vétusté du réseau d’assainissement. Même les eaux usées provenant de l’institut de tourisme se déversent dans la mer. Les plages de Mouilha, à Boudouaou El-Bahri, localité ayant décroche le prix de la meilleure plage au concours Top Summer, sont en butte à la prolifération des eaux usées provenant des habitations illicites et des cités environnantes.

L’existence d’une station d’épuration n’a pas réussi à endiguer ce phénomène et préserver la nature et l’écosystème marins. La plage Guedouari, à Corso, est également envahie par les égouts qui stagnent aussi sur la plage de Corso et aux alentours de la forêt jouxtant cette plage. Conséquence : les familles les ont désertées massivement. L’oued Tiza déverse ses égouts directement dans la plage des Salines, située au niveau de la ZET d’Afir, à l’Est de la wilaya. Les plages de Cap Djinet, notamment Ouled Bounoua et Mazar, sont aussi polluées, alors que le projet du réseau d’assainissement devant longer le littoral tarde. En plus des égouts, le pillage du sable de plage, qui porte atteinte dangereusement à l’équilibre biologique de la côte, se multiplie. De tels actes risquent faire disparaître des plages, comme celles de Sahel Boubrak.

Des infrastructures touristiques à l’abandon

Les deux auberges de jeunes de Corso et Zemmouri et les deux camps de jeunes d’une capacité de 500 places sont toujours fermés malgré leur réception, l’année dernière. Ils ont été réalisés à coups de milliards pour rester… fermés, au regret des jeunes et des estivants, suite aux mesures d’austérité décidées par l’État après les chutes du pétrole. Les centres de vacances gérés par des entreprises publiques à l’image de CPA et celui de Sonitex, à Cap Djinet, sont abandonnés. Idem pour les centres SNTF, DTP à Zemmouri, UGTA à Figuier, GTP à Boudouaou El-Bahri et le Château à Tagdempt géré par les PTT.

Toutes ces structures sont livrées à leur triste sort. Les infrastructures hôtelières à Boumerdès sont au nombre de 18, avec une capacité d’accueil de 1 008 places. La majorité des hôtels sont situés à l’Ouest de la wilaya et un seul à Dellys, une région où plusieurs investissements privés sont tombé à l’eau, particulièrement durant les années de braise. Un énorme déficit d’accueil touche l’activité touristique et hôtelière dans la région. On y enregistre un manque de près de 5 000 lits. Sur les 58 projets touristiques privés, 37 sont non lancés, 5 à l’arrêt et 16 en cours de lancement. C’est dire que l’investissement privé fuit la région. Les investisseurs, quant à eux, déplorent les lourdeurs administratives liées notamment à l’octroi du permis de construire. En un an, et sur une vingtaine de projets, un seul hôtel a été réceptionné.

Youcef Z.

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