«80% des déchets collectés sont organiques, non récupérables»

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Alors que les douanes algériennes viennent de découvrir dix-sept containers de déchets importés au port de Béjaïa, les EPIC chargés de la collecte et du traitement des déchets au niveau des wilayas collaborent avec des intervenants de l’informel pour récupérer les matières recyclables. C’est ce qu’explique dans cet entretien Arezki Boutrig, directeur de l’EPIC Nadhif de Bouira.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous présenter l’EPIC Nadhif de Bouira ?

Arezki Boutrig : En 2003, le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement a lancé un programme national de gestion des déchets municipaux scindé en deux phases. La première phase consistait à réaliser des études de schéma directeur de gestion des déchets solides des villes et accessoirement le schéma de gestion des déchets spéciaux des wilayas. Ensuite, il y a eu le lancement d’études et la réalisation des centres d’enfouissement techniques (CET). Et pour les gérer et conformément à l’instruction ministérielle relative aux modalités de gestion des CET, des EPIC de gestion ont été créés.

Pour Nadhif de Bouira, l’arrêté interministériel a été signé en début de l’année 2009 et à l’époque nous n’avions qu’un seul CET à gérer, en l’occurrence celui situé à Benabdellah au niveau de Ras Bouira. En novembre 2011, il y a eu la mise en exploitation des deux décharges contrôlées de Hadjra Zergua et de Maâmoura, ainsi que la déchetterie de Sour El Ghozlane, et en 2012, la mise en exploitation des deux CET de Sour El Ghozlane et de Bordj Okhriss.

Au mois de septembre 2012, nous avons entamé l’activité de collecte et de balayage au niveau de la ville de Bouira. En 2014, nous avons pris possession du CET d’Ain Bessem et sa mise en exploitation de manière officielle est intervenue le 4 juin 2015, le même jour que celui d’Ahnif. En tout, nous sommes arrivés à la gestion de cinq CET, deux décharges contrôlées et une déchetterie.

Toujours en 2014, nous avons pris possession du parc citadin Dounia attenant à la Maison de l’environnement et depuis 2017, la décharge brute de Lakhdaria a été remise à niveau avec des travaux qui ont duré pratiquement six mois (Nettoyage, étalage, dégagements des accès, implantation d’une roulotte, raccordement à l’énergie électrique…) et actuellement, nous sommes en phase d’amener de l’eau potable.

L’activité de collecte s’est aussi élargie en matière de collecte et de balayage au niveau de la ville de Bouira, de même pour la ville de Lakhdaria, la collecte au niveau de la ville d’El-Adjiba et depuis avril 2018, la ville d’El Esnam a bénéficié de la collecte des déchets par l’EPIC Nadhif. Pour 2019, nous allons entrer en activité au niveau de la ville d’Aomar pour la collecte.

Pourtant, il existe encore des décharges qui enlaidissent le paysage…

De moins en moins car en parallèle, avec le rattachement des communes au niveau des CET, à chaque fois qu’on rattache une commune, on éradique les décharges se trouvant dans la localité. La première décharge communale éradiquée a été celle d’Aït Laâziz en 2010. Nous avons éradiqué deux décharges problématiques au niveau de Lakhdaria et aussi les décharges de Bir Ghebalou, Sour El Ghozlane, Ahnif, Ain Bessem, Bordj Okhriss et dernièrement la décharge communale de Khebouzia. C’est, d’ailleurs, sur cette ancienne décharge que nous allons réaliser un espace de loisirs et de détente avec la plantation de plusieurs arbres. Nous allons entamer prochainement l’éradication de la décharge de Boukram.

Êtes-vous présent à travers les 45 communes de la wilaya de Bouira ?

Sur les 45 communes, nous avons actuellement Bouira, Haïzer, Taghzout, Aït Laâziz, Aomar, Aïn Turk, Oued El Berdi et El Esnam qui sont rattachées au CET de Bouira pour le traitement et l’enfouissement des déchets. De même pour Bordj Okhriss avec trois communes, Sour El Ghozlane avec quatre communes, Maâmoura, Ridane, Hadjra Zergua, Dirah. Pour la région d’Aïn Bessem, les communes rattachées au CET de la localité sont Ain Bessem, Ain Laloui, Bir Ghebalou, El Khebouzia, Ain Turk, Ain Lahdjar, Souk El-Khemis et bientôt Raouraoua.

Concernant le CET d’Ahnif, il traite les déchets d’Ahnif, M’Chedallah, Ath Mansour, Bechloul, El Adjiba, Aghbalou et bientôt Ath Leqsar pour 2019. Lakhdaria et Bouderbala sont également concernées par nos prestations en matière de traitement des déchets. Ceci dit, nous prenons en charge actuellement trente-cinq communes, soit un taux de couverture de 78% sur les quarante-cinq communes de la wilaya. En matière de population, ce sont 693 166 habitants qui bénéficient de la prestation de traitement de leurs déchets au niveau d’un CET, donc cela équivaut à 84,60% de la population.

Quel est le sort réservé aux autres communes non rattachées aux CET ?

En matière de traitement des déchets à travers la wilaya, la problématique se situe au niveau de la partie Ouest, c’est-à-dire Aomar, Djebahia, Kadiria, en montant vers l’atlas blidéen avec les communes de haute montagne de Boukram, Bouderbala, Zbarbar, Maâla et Guerrouma qui possèdent leurs décharges communales respectives, sauf pour Bouderbala où il y a un ensemble de dépotoirs tout le long de la route menant vers cette localité.

Il y a aussi la commune d’Ath Rached qui peut être rattachée au CET de Bordj Okhriss mais les autorités communales n’ont pas manifesté d’intérêt pour ce faire. Idem pour Saharidj qui peut être rattachée au CET d’Ahnif, mais l’APC évoque un problème de moyens. Toutefois, cette décharge communale de Saharidj demeure un point noir pour l’environnement et la santé publique, mais gagnerait à être transformée en station de transfert avec un espace clôturé et l’acheminement, une fois par semaine, avec un camion de gros tonnage, les déchets vers le CET d’Ahnif.

Nadhif assure-t-il également la collecte à travers ces communes ?

Nous sommes présents au niveau de la commune de Bouira, El-Adjiba, El Esnam, Lakhdaria et bientôt Aomar et probablement Ain Bessem où nous attendons la réponse des autorités communales. A part la commune de Bouderbala qui s’est offert les services d’une entreprise privée, les autres communes font appel à notre établissement. Nos activités sont en pleine expansion et le constat est visible. Il y a eu des changements partout où nous intervenons et les lieux enlaidis auparavant se sont métamorphosés. La ville de Lakhdaria qui était un dépotoir à ciel ouvert a changé de visage suite à nos interventions. En plus de ce qu’on apporte comme expériences et activités, nous arrivons à dégager un certain nombre d’effectif au profit des communes. Des effectifs qui sont réintégrés dans le circuit de balayage.

Un chiffre sur les quantités de déchets collectées ?

En 2017, nous avons traité 116 000 tonnes et en 2018, nous allons atteindre plus de 120 000 tonnes. Il faut savoir que le taux de récupération pour le recyclage varie de 1 à 1,5 %. En 2017, nous avons récupéré 694 tonnes de déchets recyclables avec des recettes équivalentes à 10 600 000 DA. En 2018, nous aboutirons à une quantité de plus de 750 tonnes de déchets recyclables avec des recettes qui vont dépasser les 13 000 000 de DA.

Pourquoi ce peu d’engouement pour le recyclage ?

Sur la masse des déchets, toutes les études démontrent que 80% sont des déchets organiques, donc non récupérables, la fraction récupérable est pratiquement de 20%. Les raisons qui font que le taux enregistré à notre niveau est faible c’est que, d’abord, il n’y a pas le tri à la source des déchets, ensuite, la récupération s’effectue de manière aléatoire par du chiffonnage au niveau des casiers d’enfouissement. Par ailleurs, il y a certains types de déchets qui peuvent être valorisés mais qui ne possèdent pas de filière de valorisation actuellement, notamment le déchet vert qui peut faire l’objet de compostage pour en faire des amendements organiques. Malheureusement, il n’y a pas de développement de filière.

Qu’en est-il du plastique, du verre et des métaux ferreux ?

C’est vrai, la valorisation touche les plastiques et le carton, mais les métaux ferreux nous ne les retrouvons pas dans les déchets, et ce à cause d’intervenants informels qui s’accaparent ces déchets précieux. Si vous sillonnez la ville de Bouira, notamment la nuit, vous allez vous apercevoir une multitude de récupérateurs et de chiffonniers avec des camionnettes utilitaires qui récupèrent le PEHD, ainsi que les métaux ferreux à la source au niveau des points de collecte. Les déchets ferreux ne rentrent pas au niveau de nos CET car ils sont récupérés par des personnes intervenant dans le circuit informel, ce qui explique le faible taux de déchets recyclables à notre niveau.

Quelles sont les mesures à prendre pour faire le tri à la source ?

Tout d’abord, il doit y avoir une volonté des élus locaux pour que soit effectué le tri des déchets à la source. Déjà en abordant la pré-collecte, le problème se pose avec le manque crucial des bacs à ordures. L’ensemble des déchets d’emballage que l’on appelle PMC (Plastique, métaux, carton) sont des déchets valorisables pour lesquels il doit y avoir l’installation de bacs spécifiques pour leurs collectes. Cela suppose des dépenses car la vente de ces déchets ne va pas couvrir les frais engagés, donc il faudrait aller vers une solution qui est très simple à mettre en œuvre.

L’instauration d’une taxe d’emballage est toute indiquée pour parer à ces frais engendrés. Nous avons de grandes supérettes, une grande surface à l’échelle du chef-lieu de wilaya, mais cela gagnerait à se faire à l’échelle nationale envers les producteurs d’emballages, avec par exemple les usines de jus ou d’eau minérale. Ces investisseurs savent exactement le nombre de bouteilles mises annuellement sur le marché et devront payer au prorata sur les quantités de bouteilles en PET ou en verre mises sur le marché.

Il faudrait mettre en place, par exemple, une taxation d’un dinar sur la bouteille d’un litre et demi ou deux litres, le tout multiplié par tant de millions de bouteilles par an et cela donnera le montant de la taxe qui sera imposée aux producteurs. Il faudrait également mettre en place un schéma organisationnel de la collecte de la mise en place de ces déchets valorisables. Ce schéma, nous l’avons établi via une réflexion et transmis à la wilaya pour la faire parvenir au ministère de l’Intérieur, ceci afin de mettre en place un éco-organisme à l’échelle nationale chargé de chapeauter le système de collecte des déchets d’emballage PMC.

Cet éco-organisme est sous forme d’EPIC dans lequel siègeront de grands producteurs d’emballage ainsi que des importateurs mettant sur le marché des emballages en plastique, canette aluminium ou en verre, les producteurs de médicament pour ce qui est du carton adhéreront à cette EPIC dans un conseil d’administration et de gestion. Annuellement, ils donneront les quantités d’emballage qui seront sur le marché et s’acquitteront au prorata par exemple 5 000 dinars la tonne. Ainsi, cet EPIC national chargera ensuite les EPIC de chaque wilaya pour la collecte de ces déchets d’emballage.

Ainsi, nous aurons la tâche et les moyens de mettre en place des bacs pour déchets d’emballage pour la collecte et nous ferons ainsi des bénéfices en échange de ces prestations. C’est une solution très simple à mettre en œuvre et cela nous permettra, enfin, de trouver une issue finale à l’amoncellement des déchets valorisables en les recyclant au niveau d’un centre de tri. Ensuite, ce sera à cet EPIC national de revendre ces matières recyclables avec les subventions des producteurs d’emballage, le budget pourra ainsi être équilibré. Les prestataires de services locaux qui seront les EPIC de wilaya, en fonction des frais engagés et des quantités collectées, pourront être rémunérées. C’est ce schéma que nous souhaiterions voir mis en œuvre.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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