Vivement demain

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Par Mohamed Bessa

La grâce prise par le président Bouteflika en direction des journalistes aux prises avec la justice vaudra surtout par sa portée politique et psychologique. En pratique, elle ne change pas la situation pénale de la plupart d’entre eux qui, en l’occurrence, n’ont pas épuisé toutes les voies du recours judiciaire. La mesure, ouverte aux seules personnes définitivement condamnées, correspond formellement aux limites du pouvoir de grâce telles que retenues par les exégèses constitutionnalistes les plus communément admises qui placent le premier magistrat du pays à l’aval du cours ultime du processus procédurier. Une amnistie aurait été, bien entendu, un bien meilleur gage de décrispation mais celle-ci aurait induit, par sa spectaculaire intensité, un effet de « feu en la demeure », que le pouvoir ne souhaite d’évidence pas donner de son rapport avec la presse. La question reste néanmoins « à l’ordre du jour », indique le président de l’APN qui n’omet pas d’indexer une des carences du système institutionnel qui conduit plusieurs journalistes devant les tribunaux : la rétention de l’information et la culture du secret. « Le refus de divulguer des informations pousse les journalistes à spéculer », dit-il à des confrères conviés à une réception à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, sans qu’on ne sache s’il a explicitement ajouté ou pas le mot « légitimement » qui sied à la conclusion de ce constat. Mais c’est à peine si le troisième personnage de l’Etat ne se départe pas de son rôle pour joindre sa voix à celles de la grande majorité des acteurs qui réclament l’abrogation des dispositions liberticides du code de l’information. « J’estime, confesse-t-il, qu’il est anormal de condamner des journalistes qui tentent tout simplement d’informer le citoyen ». Apparemment, loin d’être une initiative qui sacrifie à la seule circonstance de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, ni encore moins un geste d’apaisement, concept à l’eau de rose que des observateurs attendris ressortent à chaque fois que des enjeux sociaux et politiques parviennent au faîte de la contradiction, cette grâce semble fermer la parenthèse de la confrontation ouverte avec la présidentielle d’avril 2004 et l’emprisonnement de Benchicou. Elle se veut, selon le communiqué de la présidence de la République par laquelle elle était rendue publique, l’expression de l’ « engagement irrévocable de l’Algérie dans la voie de la démocratie et du pluralisme politique ». Et comme dans le contexte national, les interprétations formalistes sont les moins opérantes, il faudra rechercher toute l’étendue de cette grâce dans et y compris les carences mêmes du système et précisément dans le fait que la justice ne soit globalement qu’un prolongement articulaire du pouvoir exécutif. La décision présidentielle aura certainement à déteindre, en aval, sur les sentences des juges et la façon dont seront conduits les prochains procès. En amont, Bouteflika ayant quelque part dit la messe de la liberté de la presse, les corps constitués et autres vénérables mandarins du régime seront de moins en moins à l’aise d’actionner, avec la facilité mécanique de ces derniers temps, les parquets contre les « délits » de presse. Il reste à s’interroger sur cet empilement des choses qui a contraint le premier magistrat du pays à intervenir par un droit régalien à l’endroit d’une corporation que rien ne prédestine, en démocratie du moins, à former la grosse clientèle des juges. Le geste confine en soi à l’échec de la relation que le pouvoir a entendu entretenir avec la presse et de la tentative de confinement des libertés acquises. On pourra envisager de légiférer à nouveau dans un sens lénifiant, on fera une bien meilleure œuvre si par une action politique forte et soutenue, on parvient à faire accepter à tous les décisions de justice comme des normes supérieures ne soufrant aucune récrimination. Vivement l’Etat de droit !

L’enlèvement de Méziane Haddad a suscité un intense intérêt médiatique qui aura bien braqué les projecteurs sur une pratique terroriste entrevue par les observateurs et finalement confirmée. Une moyenne de dix à quinze enlèvements sont commis chaque mois dans la wilaya de Tizi Ouzou, selon un confrère.Les rapts suivis de demandes de rançon faisaient déjà partie des modes d’action terroriste, comme en témoigne l’enlèvement du sénateur de Tebessa puis de touristes allemands au Sahara mais en dessinant un horizon d’absolution, il était attendu que la Charte pour la paix et la réconciliation accouche d’un pendant terroriste spéculatif. Mais ces rapts sont, en l’occurrence, presque une bonne nouvelle puisque, estime-t-on, ceux qui les commettent ne peuvent qu’avoir dans le même temps conçu l’idée de « descendre ». Les guerriers préparent leurs repos. Quand on a vécu en loup des montagnes, il devient bien évidemment difficile d’envisager de devoir se lever chaque matin pour aller chercher sa pitance quotidienne. Ces rapts posent en fait une lancinante question relative aux limites de la possibilité d’un recyclage des terroristes dans la vie civile. Et plus généralement la question du blanchiment de l’argent du terrorisme sur lequel les lois ne soufflent mot.

M.B.

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