Lettres ouvertes d’une Française en Algérie et d’un Algérien à Monsieur Chirac, Président de la République française, et son gouvernement.

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I – Lettre de Lucienne Delille

Monsieur le Président de la République française,

Ecrivain journaliste française de souche, née le 4 mai 1947 à Paris, je suis avant tout la fille d’un ancien combattant et déporté dans les camps nazis durant la guerre de 1939/1945 qui, après quatre ans d’internement, reviendra profondément diminué et tuberculeux, contaminant ses enfants avant de devenir aveugle à la suite de cette infection.

Détruit physiquement, mais aussi moralement, mon père passera le reste de sa vie cloué dans une chambre avec des rechutes à répétition. C’est sans doute la raison qui aujourd’hui, me pousse à me dresser contre la politique discriminatoire et raciste de mon pays à l’encontre de l’Algérie où je suis venue plusieurs fois depuis 1966 et où je vis aujourd’hui.

La malencontreuse initiative de Philippe Douste-Blazy et le « rôle positif de la présence française en Afrique du Nord, », m’avait donné la nausée, mais les dérives verbales de Monsieur Sarkozy à l’encontre des exclus « français de mauvaise extraction » relégués dans des cités sordides et sa politique sur l’immigration sélective est une atteinte à la dignité des Algériens mais aussi à celle de la France devenant un pays totalitaire, xénophobe et raciste, dont les frontières ressemblent à des tris négriers du temps de l’esclavage.

Mon père devenu infirme était pour l’indépendance de l’Algérie qu’il avait auparavant connue pour avoir transité par Alger lorsqu’il accompagna, en tant que chauffeur, la délégation du président Coty au Maroc. Enfant du baby-boom, baignée par les guerres dont celles de l’Indochine et de l’Algérie, je pris ouvertement position dès l’école primaire pour l’indépendance de cette dernière, dès 1959, alors que j’avais à peine douze ans.

Après l’indépendance de ce pays, j’épousais envers et contre tous en 1966, Mohand Ali, un Kabyle qui deviendra le père de mes quatre enfants. Ceux-ci m’inspireront « L’enfant Lumière », poème sur la richesse de la mixité des cultures et « Ma Kabylie, le pays des hommes fiers » aux éditions CPE. De cette union désavouée par mon entourage, naîtra aussi ma passion pour ce pays, et en particulier la Kabylie.

Cette grande histoire d’amour commença lorsque j’avais 19 ans, en novembre 1966, enceinte de ma fille qui repose aujourd’hui au cimetière algérois El-Alya, je découvrais pour la première fois Alger et sa baie grandiose, les lotissements de Birkhadem (alors des bidonvilles des réfugiés qui avaient fui leur village de Kabylie), puis la Petite-Kabylie où je fus reçue comme une reine dans une famille de chahid détruite par la guerre.

Le pays portait les séquelles des « événements d’Algérie », alors guerre sans nom, mais dont les hommes portaient les blessures. Hormis dans les villes et les endroits viabilisés à l’usage des colons alors partis, je constatais qu’il n’y avait pas d’eau courante, l’électricité était quasi inexistante, et les pistes menant aux douars n’étaient pas goudronnées ; mais l’on a pris soin de moi, sans amertume ni rancœur, m’offrant le meilleur lit, la meilleure place, le meilleur morceau de pain ou de viande, alors que le pays criait famine.

Lorsqu’un soir je fus souffrante, une vieille voisine m’accompagna à l’hôpital. Me serrant affectueusement en m’enveloppant dans son haïk blanc, elle me dit : « Tu attends un enfant et tu es seule ici, considère-moi comme ta mère ! ».Je compris alors le vrai sens du mot Fraternité qui s’inscrit depuis longtemps en vain sur nos mairies de France. Ayant perdu ma fille quelques mois après sa naissance, je revins fin 1967 en France, retrouver la froideur d’un pays ne comprenant pas mon choix.

S’appeler Ali n’était déjà pas facile, y compris lorsque je fus alitée durant des mois dans un sanatorium pour un réveil de tuberculose que mon père m’avait transmise lorsque j’étais enfant. Je fus ignorée par mes compatriotes durant plus d’un mois dans ma chambre sur la porte de laquelle était inscrit mon nom d’épouse. Cette expérience de solitude sélective m’attrista et me rapprocha de mes frères et soeurs algériens.

Je communiquais alors énormément avec ma belle-famille et dans un contre-courant historique, alors que la droite de Giscard d’Estaing se servait aussi de l’immigration comme bouc émissaire, en janvier 1979, avec mon mari et mes deux premiers fils, je revins vivre en Algérie, à Tizi-Ouzou. J’ai alors pu facilement bénéficier d’un emploi à la SAA, Société Algérienne d’Assurances, où j’ai appris en tant que femme, et Française de surcroît, le sens du mot Egalité, mais aussi celui de respect. Ce respect qui manque tant dans nos sociétés de France. Mon troisième fils est né à Tizi-ouzou, capitale de la Grande Kabylie à la noblesse légendaire.

En juillet 1985, mon mari étant malade et la montée de l’intégrisme nous incitèrent à revenir en France où mon époux a choisi d’être enterré et où il dort depuis 1997 dans un petit village sans histoire de 145 habitants, en Bourgogne. Conseillère municipale de 2001 à 2005, je me suis opposée au maire qui a parrainé Jean- Marie Le Pen aux élections de 2002. Durant cet historique premier tour, j’ai pu constater combien notre France avait la mémoire courte avec 35 voix pour le Front national sur 110 votants !

Mes enfants font aujourd’hui leur vie loin de ce village isolé et désolant où je suis restée très seule. Aussi depuis décembre 2005, je suis revenue refaire ma vie en Algérie, dans cette Kabylie qui m’a fascinée et où je me sens plus considérée que dans mon pays vieillissant, négligeant ses vieillards, ses enfants, où la Liberté n’est devenue qu’un mot illusoire inscrit aussi sur le fronton des mairies dans lesquelles les valeurs républicaines sont aux antipodes de ce qui se passe aujourd’hui.

J’ai honte de l’ingratitude de mon pays, sacrifiant son honneur et sa dignité face à des « Aussaresses » tortionnaires, des « Le Pen » revanchards, ou des « Raoul Girardet » dont sa nostalgie d’une Algérie française ne disparaîtra qu’avec lui et qui, avant, tente d’en détourner l’histoire à son point de vue.

Ce jour, Monsieur le Président, je souhaiterais vous dire, ainsi qu’à tous les membres du gouvernement et surtout au peuple français d’être vigilants et moins arrogants. La France, qui a été la figure de proue du monde est à présent décadente et corrompue. Les Français sont devenus des moutons guidés par une poignée d’hommes trouvant la place si bonne qu’ils ne veulent plus la lâcher.

Les élections sont devenues le jeu d’ambition individuelle et l’immigration qui est l’arbre cachant la forêt, leur seul cheval de bataille. La France hésitante a gelé politiquement les relations franco-algériennes, ne donnant pas assez la parole à des hommes de valeurs comme M. Thierry Breton, ministre de l’Economie et des Finances, qui a été impressionné favorablement par les réformes positives de l’Algérie lors de sa visite en novembre 2005.

Après vingt ans d’absence, je peux faire la différence et constater combien l’Algérie est devenue un grand pays sur lequel la France doit compter si elle veut sortir du marasme dans lequel elle s’englue aveuglément depuis des années. Les relations entre ces deux pays sont un enjeu de taille à ne pas négliger.

L’Algérie aujourd’hui en paix, remboursant sa dette extérieure avant terme, est devenue la locomotive du Monde arabe et de l’Afrique. C’est un pays de plus en plus courtisé et convoité par des grandes puissances comme les Etats Unis et la Chine qui ont su saisir des opportunités que la France imbue d’elle même a laissé passer.

L’Algérie d’aujourd’hui ressemble à un vaste chantier, fort d’une manne de gaz et de pétrole gonflant financièrement de jour en jour, et dont les réserves de change sont autant d’investissements en infrastructures qui pourraient venir aux secours de ma France que je souhaiterais toujours grande et dont j’aimerais être fière.

Monsieur le Président de la République, choisissez mieux vos ministres et vos conseillers, notre beau pays chancelle, ne laissez pas les Français devenir les moutons de Panurge de l’inquiétant et fasciste Monsieur Sarkozy, sachez faire vos choix, œuvrez pour la grandeur de la France, accordez à l’Algérie ce pardon qu’elle mérite, tout comme l’Allemagne l’a fait à notre encontre.

A une année des élections présidentielles, terminez votre mandat en beauté et redonnez un peu de panache et de gloire à notre Nation, réveillez les consciences et tendez la main à cette ancienne colonie d’Algérie en tournant définitivement la page.

Tant que le feu des passions n’aura pas cessé entre ces deux pays frères de sang le traité d’amitié ne pourra pas exister. Dans l’attente de ce sursaut d’humanisme, mais aussi d’équitable objectivité de votre part et de votre gouvernement, je vous prie de croire, Monsieur le Président de ma République, Messieurs les gouvernants en l’expression de mon patriotique dévouement.

Lucienne Delille (Souamaâ, Mekla)

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