Taouinine, le village de la colline oubliée

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Reportage réalisé par Mourad Hammami

Il est 18h passées, notre but ce soir est de visiter le village Taouinine de la commune de Ouaguenoun. Le rendez-vous a été pris avec Mohamed, âgé de 35 ans environ habitant ce village, ce dernier fait aussi partie du comité de ce dernier. La voiture qui nous transporte s’ébranle à partir de Tikobain. Nous sommes impatients et curieux de découvrir et de connaître les maux dont souffre ce village.Bien avant de quitter le centre urbain de Tikobain, notre accompagnateur arrête son véhicule pour nous montrer l’un de ces signes, avant de découvrir ce village “regardez, sur cette plaque d’indication, notre village ne figure même pas” nous dit Mohamed. Est-ce un oubli ou du mépris ? La plaque, nous indique qu’Amallou et Ihdikawen Oufella, peuvent être ralliés en prenant l’intersection à gauche, de Taouinine aucune indication. Ce chemin qui desservait les villages se situant sur les collines, devait être revêtu en béton bitumineux, mais une bonne partie de ce tronçon, soit environ trois km, ne l’est pas encore. Ce n’est pas l’enveloppe financière nécessaire qui fait défaut, mais on a du mal à trouver une entreprise qui accepterait de prendre en charge l’achèvement des travaux. A près de 4 km plus haut, nous empruntons une route secondaire à droite. Le chauffeur arrête un instant, pour attirer encore une fois notre attention, au sujet de la végétation qui ronge cette route. Dans la plupart des endroits, le croisement entre deux véhicules se fait difficilement. A chacun des croisements, la tôle de la voiture se frotte aux ronces, les lentisques ou les arbres de la forêt. L’on nous montre pas moins de trois endroits où cette route est menacée d’affaissements. Taouinine est encore loin. Nous avons parcouru près de 3 km, cette route est telle une ceinture sur cette colline majestueuse et surplombant la région de Ouaguenoun. Encore quelques virages et nous apercevrons quelques constructions, tout d’un coup une vaste vue s’offre à nous. Un groupe de fillettes, jerricans à la main, traversent la route. Le goudron s’arrête à l’entrée du village. Nous apercevons deux groupes de foyers distincts, à l’Ouest “Taouinine Oufella”, à l’Est “Taouinine Bouada”. En tout, près de 500 âmes résident dans ce patelin accroché au sommet de la colline. La vitesse est réduite au maximum, la route, plutôt la piste est impraticable. L’on nous invite à une halte, pour visiter la seule infrastructure étatique que compte le village. Il s’agit de l’école primaire construite en 1995 et qui est malheureusement fermée depuis 3 ans pour absence d’enfants ; “cette année, dans tout le village, nous n’avons que deux enfants inscrits à l’école” nous dit Mohamed. Et d’enchaîner avec ironie “ce n’est pas vraiment un signe de développement et de prise de conscience, mais les jeunes, sous les affres du mal-vivre et du chômage, refusent de prendre le risque de se marier”. Un grand silence règne dans cette école. Composée de 3 classes et de deux logements, les salles d’en bas commencent à être envahies par les intrus. Vitres cassées, quelques tables éparses au milieu, couvertes d’une épaisse couche de poussière, les murs commencent à se noircir sous l’effet des feux de bois qu’on allume à l’intérieur de cet l’établissement à l’abandon. Paradoxalement à cette image, une vue pittoresque s’impose à nos yeux. En haut c’est le village Ihdikaouen Oufella, et en face, c’est toute la région de Boudjima qui s’expose comme un beau tableau naturel. En bas de la colline, c’est la fameuse plaine du “Sahel” qui sépare les Ath Ouaguenoun de Boudjima. Elle est vaste et fertile, mais demeure en jachère. Sur les hauteurs de cette colline, l’on peut savourer un air pur, dû à la fois à la hauteur de cette colline et à la forêt qui cerne le village de tous les côtés. En tentant de parler de la quiétude et la sérénité des lieux. Mohamed nous interpelle avec son sourire ironique : “Oui effectivement c’est calme il fait même trop calme sur notre colline, car il n’y a rien, humez cette nature que le créateur nous a offerte”, cela nous rappelle Ferhat le chanteur qui décrit la vie dans les villages kabyles : “Il est vrai que les montagnes sont belles, je jure qu’elles sont belles telle la misère, qui d’ailleurs ne les quitte jamais”. Nous continuons à dégringoler à travers la piste, pour rejoindre Taouinine de l’Ouest. Nous rencontrons des jeunes par groupes, qui se regroupent au pied des chênes liège pour discuter et “tuer le temps”. Ils ont l’allure de vrais montagnards, calmes, accueillants, avec des sourires qui cachent mal leur timidité et qui trahissent, la misère de l’essculement, dont ils souffrent depuis toujours. Après plusieurs centaines de mètres, nous entrons au village, un semblant de vivacité, nous secoue du calme plat de tout à l’heure. Beaucoup de filles en belles tenues traditionnelles, font le va-et-vient à la fontaine du village, qui surplombe l’unique ruelle du village. A défaut de robinets dans les foyers, l’on est contraint de puiser l’eau dans cette fontaine réalisée par les Français. Mais en contrepartie, leurs retrouvaille sur ce site, leur permet certainement de briser cet excès de calme”, qui règne sur la colline. Quelques centaines de mètres plus loin, il y a un commerce d’alimentation générale, c’est la placette de fortune du village. Un commerce, tout juste, un seul magasin. Pas autre chose, hormis ces demeures, construites grâce aux pensions de retraite après le travail en France, et qui servent de gîte aux villageois. Après les présentations faites par notre guide, on se retrouve vite entourés par un groupe de villageois. Contrairement à l’esprit des citadins, qui s’empressent de parler et de s’exprimer dans de telles occasions, les habitants de cette colline, sont taciturnes et timides. Il faut leur poser des questions, les secouer, les mettre à l’aise et en confiance, pour que les langues commencent enfin à se délier.“Nous n’avons rien, nous n’avons que les montagnes, la forêt, les roches et notre dignité. Nous vivons isolés et oubliés”. Nous déclare Si Moh, un septuagénaire de ce village. Non sans suivre chacun de ses dires d’éclats de rire. Il a passé sa vie à travailler outre-mer. A présent, il savoure sa retraite sur ces collines avec tout ce qu’un homme de son âge peut souhaiter. Mais Ami Moh n’est pas égocentrique, et dans ses yeux se lisent des soucis. Sa pensée va vers les jeunes de ce village “c’est triste, quel avenir pour les jeunes de 30 ans, et qui n’ont jamais travaillé un jour, vu le chômage ?” S’interroge-t-il, les jeunes sont livrés à un chômage endémique, comme c’est le cas partout dans le pays. Mais ici, en plus de ce phénomène, les jeunes sont oubliés, dans le néant de cette colline, il n’y a rien. L’oisiveté dévore les esprits. Les énergies de ces jeunes sont bloqués et restent en jachère, tout comme les plaines du “Sahel”, en face de nous et d’enchaîner “pour notre génération après la misère du bled, nous avons eu la chance de vivre et de travailler en Europe. Pour eux c’est la prison, c’est le marasme” dit-il. “Nous manquons de tout, nous avons une école mais elle est fermée”, ne cesse de dire le jeune Kamel. Ce dernier ne pense pas, uniquement à ses semblables mais aussi ; aux vieux. “Nous n’avons même pas une mosquée, hormis cette petite salle de prières aménagée avec des moyens de fortune”.Le village paradoxalement a longtemps souffert, des affres de la guerre contre les Français. Entre 1958 et 1962 le village a été déporté vers Tikobain, les Français l’ont déclaré zone interdite, après les soutiens qu’il a apporté aux Moudjahidine. “Nous avons été sévèrement sanctionnés et opprimés par les Français et à présent, oubliés par nos frères” déplore un sexagénaire. Parmi le groupe qui nous entoure, l’on repère le petit Nassim, portant des lunettes cachant mal le regard innocent de cet enfant âgé de 7 ans à peine.“Je suis un élève à l’école de Tanadjelt” dit l’enfant. Cette école se situe à Tikobain près de 8 km de là. Et d’enchaîner “chaque matin, je pars avec mon père, et je reviens avec lui le soir”. Si Nassim a eu la chance de se déplacer avec son père en voiture, les autres enfants sont contraints de se rendre à l’école de Ihdikaoun Oufella qui se situe à près de 3 km de là, sur le sommet de la montagne. Pire, dans ladite école il n’y a pas de cantine. Pour tromper la faim, quelle que soit la saison, ces bambins, se contentent d’un sandwich froid de cachir ou de fromage.Pour l’eau, ce sont les villageois eux-mêmes qui ont fait le captage de la source Tala N’Slimane qui se situe à près de 400 m du village.Pas d’assainissement, pas d’éclairage, ni foyer de jeunes, ni centre de santé…

Taouinine Buda, la même misèreLe temps presse, bientôt il fera nuit. Nous quittons ces citoyens de Taouinine Ouflla, pour nous rendre à Taouinine Bouada. Par cette journée de canicule, nous avons demandé de l’eau au commerçant d’à coté. Il revient avec une bouteille de jus fraîche, une autre d’eau, nous avons refusé poliment de prendre le jus, mais il insiste “walou, je jure que vous allez la prendre !” appuyé par les autres villageois. Par ce geste, l’on ressent toute la générosité et l’hospitalité, des citoyens des villages isolés comme Taouinine. La deuxième partie du village ne diffère en rien, de l’autre. Près de 400 m séparent les deux hameaux. La aussi, une petite placette. Si dans la partie précédente l’on retrouve, au moins un commerce et une école certes vide, là c’est le néant. Un lieu tout de même attire notre attention. Une baraque de 12 m2 environ, dont les murs sont en parpaing encore nu, et le toit en tôles. On nous invite à rentrer, à l’intérieur, l’on compte près de 7 personnes. C’est le café maure de fortune du village. Un lieu de regroupement, à défaut de caféteria. Ce local, nous rappelle les cafés maures, ouverts autrefois dans les villages kabyles à l’occasion du mois du Ramadhan. Les tables et les bancs sont des madriers. Dans un coin un tas de boissons est déposé anarchiquement. L’on vend aussi des bonbons pour les enfants et du tabac pour les adultes. Pour camoufler la laideur du décor, l’on a apposé plusieurs posters de la JSK. “Notre cœur ne bat que pour la JSK” nous dit un jeune. Dans un coin, l’on peut voir un réfrigérateur, le faux-plafond est fait de roseaux.Faisons abstraction de ce décor étrange, la discussion est vite lancée avec les villageois “Taouinine Bouada est la photocopie de Taouinine Oufella”, nous dira dans un éclat de rire, un homme d’une cinquantaine d’années. Il déplore l’échec scolaire dont sont victimes les enfants du village, “la plupart n’ont pas terminé le BEF”, déplore un jeune.“Nos enfants ne peuvent pas se concentrer en classe. Les déplacements vers le village voisin durant l’hiver est une corvée pour eux. Parfois on les accompagne en les aidant à porter leurs cartables. Ils rentrent en classe en grelottant du froid et de malnutrition. Comment voulez-vous qu’il réussissent dans leur parcours ?” S’interroge un autre homme. Mais aussi vu l’état de la route, dans ce village l’on ne trouve pas de bus ou de fourgons de transport. Il y a un seul départ, le matin et un retour le soir. D’ailleurs, beaucoup de villageois, pour ceux qui ont les moyens évidemment, ont choisis de vivre à Tikobain ou Tizi Ouzou, les autres doivent s’accommoder de leur misère, et attendre peut-être, qu’un jour le ciel social change de couleur.Nos regards ne cessent de s’orienter vers cette plaine qui constitue l’une des meilleures richesses du village. A milieu de ces terres, l’on aperçoit même des retenus d’eau. Les habitants sont attachées à ces terres. Mais jusque-là, elles demeurent inaccessibles. “Si on part directement, ces terres ne sont éloignées que d’un km ou deux, mais faute de pistes agricoles, l’on est dans l’obligation de faire des détours de près de 14km” nous dit un villageois. Pour l’instant, il n’y a que les eaux usées, qui se déversent sur les champs, faute de bassin de décantation et d’un réseau d’assainissement. Ces plaines servaient durant la guerre contre les Français de maquis pour les Moudjahidine. D’ailleurs, elles ont été plusieurs fois bombardées au napalm, nous a-t-on raconté. Ces terres sont célèbres par leur fertilité.“Celui qui n’a pas goûté les grenades de Taouinine n’a rien savouré”, ainsi nous dit un vieux pour qualifier la spécificité de l’arboriculture de la localité. De plus en plus, Taouinine, perd de son prestige. L’agriculteur d’autrefois se trouve dépassé de nos jours. Pour suivre l’évolution, cela nécessite des moyens mécaniques et des chemins d’accès. Pour ce faire la région reste bloquée et non mise en valeur.Des citoyens de ce village se plaignent des problèmes qu’ils ont eu avec l’Algérienne des eaux (ADE) suite au prolongement d’une conduite d’eau : “au lieu de nous féliciter, l’ADE nous a sanctionné par des amendes de 20 000 DA.” nous dit l’un d’eux. Pour cette entreprise, il s’agit de branchements illicites. Accusation que réfutent ces habitants. “Nous avons fait ce prolongement avec nos propres moyens. Et nous avons placé des compteurs par la suite.” Pour dénoncer cette sanction qualifiée d’injuste par cette agence, les victimes ont écrit des lettres de recours aux autorités locales et au responsable de l’ADE. La nuit commence à tomber, nous laissons dernière nous le groupe de villageois continuer leur soirée de jeux et de palabres dans cette buvette de fortune. Au retour, en n’entend que le bruit du moteur déchirant le calme ambiant. A la montée de cette piste tortueuse, la voiture patine et peine. “No comment ! ça veut tout dire”, nous dit le chauffeur. A travers ce petit désagrément, nous avons senti le poids du boulet que les habitants traînent chaque jour, depuis la nuit des temps.Plus haut, nous avons rencontré un groupe de trois jeunes faisant un footing. Cette image est peut-être synonyme que Taouinine commence à se réveiller d’une longue léthargie pour aller à la rencontre du temps moderne, qui est le développement. Pour cela, le nouveau comité de village est à pied d’œuvre, il est déterminé à bousculer les choses et délivrer ce village de son marasme.

Le PPDR au secours de TaouinineUne semaine plus tard, l’on a appris que Taouinine a bénéficié d’un plan de développement dans le cadre du PPDR (Plan de proximité et de développement rural) initié par le ministère délégué au développement rural. La subdivision de l’agriculture de Ouaguenoun, qui coordonne ce plan, a opté dans son choix pour ce village. Ce vaste plan touchera plusieurs domaines ; forestiers, agricole, aménagement. Mais aussi en la promotion de projets individuels. Plusieurs études techniques ont été finalisées et soumises pour approbation par la commission de wilaya. Notamment le revêtement de la piste menant au village sur une longueur de 2,5 km, la transformation des logements de l’école primaire en un centre de santé, bibliothèque ou maison de jeunes, l’éclairage public, 04 bassins de décantation, prolongement de l’assainissement, de captages de sources sont également au programme, mais aussi l’ouverture de trois pistes agricoles, vers la région enclavée du “Sahel”.Ce plan national a pour but de maintenir les habitants dans les localités reculées, comme Taouinine, et dessérer l’étau sur les villes et les centres urbains qui se meurent sous l’effet de l’exode massif.En plus des équipements publics, une vaste enquête a été menée pour recenser les besoins et la probabilité de création de projets agricoles ou de micro-entreprises artisanales et industrielles. Selon Rabah Oudiai, subdivisionnaire de Ouaguenoun, des assemblées générales ont été faites avec les villageois, cette politique de développement, selon ce responsable, pourra créer la vivacité, et faire sortir le village de son ghetto. Ce responsable nous informe que la plaine du Sahel, qui est l’une des sources les plus rentables à travers les siècles sera probablement mise en valeur, dans le cadre du PNDA. “Taouinine” qui veut dire “les sources” en berbère, est déjà riche, comme son nom l’indique. Elle mérite mieux que ce sort dont elle est prisonnière, désormais à travers ce plan, qui est une issue de délivrance inattendue par les habitants, le village connaître, très bientôt, un autre cadre de vie qui ne peut être que meilleur.

M. H.

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