Le grand pardon

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Qui a dit que les bonnes gens et ceux qui veulent que les coutumes ancestrales “persistent” et se perpétuent, n’existent plus dans les villages reculés de Kabylie ? Ceux qui ont dit, il n’y a pas si longtemps que certaines décisions prises par les sages des différents villages sont archaïques, n’ont pas pesé leurs mots ou ne sont pas “Kabyles”, ceux qui disent que le pardon ne doit pas exister ou qui pensent que le fait de demander pardon ne peut être assimilé qu’à une faiblesse, viennent de recevoir une gifle des plus méritées. Cette gifle a été donné par les archs d’At Yettura et d’Akbil, ce jeudi 29 juin, à l’occasion du 40e jour de la mort de Si Mehieddine Hamid, chauffeur de taxi du village Ibelkisen, dans la commune d’Iferhounène. Pour rappel, Hamid a été assassiné par deux jeunes inconscients du village Aït Ouabane, dans la commune d’Akbil. Ces deux jeunes sont actuellement en prison, dans l’attente d’être jugés pour le crime abject qu’ils ont commis. Et leur arrestation a eu lieu grâce à la collaboration de leurs parents respectifs et les citoyens de leur village, qui s’étaient mobilisés. C’est grâce aux précieux renseignements fournis par les parents et proches ainsi qu’à la souricière tendue, que les éléments de la gendarmerie de Tasaft ont pu procéder à l’arrestation de ces deux assassins. Mais les parent des ces derniers, malgré la condamnation de ce crime, ne pouvaient avoir la paix car beaucoup de choses ont été dites et semées par-ci par-là. Certains “autres” inconscients ont voulu semer le vent afin que des familles et pourquoi pas des villages ou des archs puissent récolter la tempête.Il fallait compter sans le sens de responsabilité, la maturité d’esprit, la sagesse des anciens ainsi que le vœu de certains qui ne font que prôner la paix et le pardon. Ces personnes qui ne vivent que par ce que leurs ancêtres leur ont légués… Taqbaylit, ce qui n’est malheureusement pas le fort de tous. Lounis Aït Menguellet n’a-t-il pas dit, dans une de ses chansons Kul yiwen taqbaylit-is.Jeudi dernier, une réunion ayant regroupé près de 150 personnes venues des archs Iferhounène, At Yettura, Akbil, At Yahia, Ililten, At Bu Yucef, Imesouhal, Yatafen, At Menguellet ainsi que d’autres invités ont, durant trois heures, écouté et parlé pour enfin n’avoir à la bouche que le mot “pardonner”.Cette rencontre a été rendue possible grâce aux efforts de quelques personnes qui en sont les initiatrices. On peut citer entre autres, Aït Ouali Rachid, Ouahmed Abdelaziz, Ahmed Saïd Boudjemaâ, Ahmed Ali Chérif du côté de la commune d’Akbil et Oussassi Amokrane, L’hadj Amokrane, Si Mahieddine Ahmed et ses enfants, Amghar Mohamed ainsi que les frères du défunt Hamid du côté de Iferhounène. Ainsi, c’est sur l’initiative des hommes cités que la rencontre entre les archs a pu avoir lieu ce jeudi. Rencontre qui a d’ailleurs abouti “au pardon”, chose qui n’est pas facile à accorder d’abord par les parents de la victime et encore plus difficile à demander lorsque ses propres enfants ont tué. Aussi, demander le pardon est une valeur qui a presque disparu dans notre pays, mais qui est restée vivante chez certains hommes conscients et soucieux du bien, de la fraternité de l’union ; des mots qui sont “utilisés” par certains seulement lors des campagnes électorales.En effet, les citoyens venus ce jour se sont d’abord recueillis sur la tombe de Hamid, que Dieu ait son âme, après la lecture de la Fatiha, tous les présents se sont rendus à la salle de prières de la zaouia de Sidi Moussa, aménagée spécialement pour cette occasion en ce jour. Après l’ouverture de la séance par le délégué de l’arch At Yettura et comme il est de coutume chez les gens respectueux des valeurs de l’hospitalité, la parole fut donnée au représentant de l’arch d’Akbil, en l’occurrence Rachid At Ouali, qui parla au nom des familles, du village et de son arch, pour préciser l’objet de cette rencontre qui consiste en la réinstallation des valeurs kabyles, en l’occurrence le pardon, ceci afin que le “problème” existant ou pouvant exister entre les familles “antagonistes” ou villages ou archs soient définitivement levés et pour cela, cette tâche ne pouvait échoir à n’importe qui. Ce sont des paroles, des adages et autres proverbes puisés du terroir que les intervenants ont avancés pour expliquer et convaincre de la valeur du “Smah”.Pour arriver à cette rencontre du jeudi, qui a regroupé près de 150 personnes d’âge mûr, les médiateurs se sont d’abord rencontrés le mercredi 31 mai, jour de marché pour une entrevue préliminaire afin de trouver les personnes qui “auraient” le courage de mettre face à face les familles “belligérantes” et ce n’est qu’après quatre autres rencontres que celle du jeudi 29 a eu lieu.Durant cette “tajmaât”, les familles des auteurs de l’acte ont souscrit entièrement aux doléances des membres de la famille de la victime, l’émotion était présente chez tous, mais le moment le plus émouvant, c’est lorsque l’un des Aït Ouabane s’est incliné comme pour dire “voici mon cou, faites ce que vous jugez utile”. Et là, les plus endurcis ont versé des larmes. Rapporter tout ce qui a été dit par les 26 intervenants reviendrait à écrire tout un livre, mais ce qu’il y a lieu de signaler n’est autre que la sagesse, la conscience, la responsabilité des uns et des autres, ce qui à la fin, a conduit les familles des Ibelkisen et celles des Aït Ouabane à se donner l’accolade déclarant chacun de son côté que les portes de leurs maisons seront ouvertes à tout moment.L’action initiée et menée jusqu’au bout par de citoyens d’Akbil et d’Iferhounène est la plus belle des actions et si un hommage doit être rendu, il ne doit l’être qu’à ces personnes qui ont tout préparé d’abord et mené à terme leur mission, non pas pour avoir une quelconque somme d’argent ou des locaux ou autres villas et résidences dans les lieux huppés de la capitale mais pour faire dans la continuité de ce qu’est Taqbaylit.Par ailleurs, signalons que les deux familles, le village et l’arch Akbil, par la bouche des représentants ont condamné le crime et les criminels, de même que ces deux derniers ont été reniés par leurs familles par la phrase : “Ils ne sont pas des nôtres et nous ne sommes pas des leurs”, de même qu’ils ont pris l’engagement de ne pas prendre d’avocats pour défendre les assassins. Bravo à tous ceux qui ont mis la “main à la pâte” pour unir des familles qui, sans cette initiative seraient éternellement ennemies par la faute de deux gamins s’adonnant à la drogue et autres psychotropes. Cet exemple doit servir de leçon pour beaucoup d’autres et même pour nos responsables à quelque niveau qu’ils soient. Si des initiatives aussi louables sont prises par des individus sensés, beaucoup de dérapages peuvent être évités et la recette n’est pas très difficile : avoir le courage d’agir et connaître Taqbaylit !

M. A. B.

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