Réflexions sur le livre, la lecture et l’écriture

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Par Amar Naït Messaoud

Dans l’état actuel de la misère et du désert culturel, tenir quelques folios hebdomadaires comme rendez-vous littéraire peut être considéré comme une prouesse. Sous le ciel gris du monde de l’écriture et de la lecture, au milieu d’un écheveau culturel où les repères se volatilisent sous les coups de boutoir d’une ‘’modernité’’ mal assumée, et dans l’ambiance débilitante du folklorisme cathodique, les gens de lettres avancent dans un sentiment d’exil de moins en moins supportable et les lecteurs- le peu de lecteurs constitués en une curieuse ‘’secte’’- se racontent, en anachorètes invétérés, La Comédie humaine, Le Fils du pauvre et Solstices barbelés. Au vu de l’absence de relève due aux performances peu flatteuses de notre système scolaire, la race des lecteurs voit son nombre se réduire en peau de chagrin.

L’enjeu de la lectureLa nouvelle génération formée à l’école fondamentale s’est souvent contentée d’obtenir sa moyenne lui permettant de passer en classe supérieure dans des conditions parfois discutables. Où sont passés les enseignants qui, au cours des années 70 et au début des années 80, imposaient aux classes… scientifiques la lecture de tout le volume du Talon de fer de Jack London et sa contraction dans un paragraphe ? Il en était de même avec Les Lettres persanes de Montesquieu.L’arabisation intempestive des programmes ne peut même pas se targuer d’inculquer à nos potaches l’amour des belles-lettres qui vous font aimer Mahmoud Taymour, Kassem Amin, Taha Hussein, Khalil Gibran, Tahar El Haddad, Djamal El Ghitani ou Benhadouga. L’intégrisme instillé aux écoliers a fait des ravages sans doute irréparables. Au cours de l’un de nos déplacements à Sidi Bel Abbès, nous rencontrâmes un collégien qui nous apprit que son enseignant d’éducation islamique interdisait à ses élèves de lire un quelconque autre écrit que le Coran ; c’est ainsi que notre jeune interlocuteur justifia son aversion pour la lecture du journal en arabe. La lecture en français serait donc, selon cette logique, carrément de l’apostasie. De même, l’invasion du ciel algérien par des centaines de chaînes de télévisions satellitaires n’a pas été sans provoquer une véritable anémie dans le potentiel de lecture chez la jeunesse. N’ayant aucune prédisposition à sasser, filtrer ou sélectionner des programmes adaptés par le thème et circonscrits dans le temps, les téléspectateurs passifs sont engoncés dans cette mollesse ou rêvasserie alimentant la frustration de voir le reste du monde vivre, festoyer, jubiler et même verser dans les plaisirs salaces. Les résultats sont des plus inquiétants sur le plan de la formation de la personnalité de nos enfants, élevés sur la base d’un complexe par lequel ils idéalisent l’étranger et développent la haine de soi.Combien de parents guident leur progéniture dans le choix des programmes de télévision ? Combien sont-ils à les accompagner sur les rayons des librairies et des bibliothèques municipales ?Pour reprendre une question plus raide et plus offensive- posée comme indice majeur du développement culturel dans les pays développés : combien de livres lit en moyenne un Algérien par semaine ou par mois ? La réponse donnerait le tournis à tous ceux qui tiennent cette activité en haute estime, à tous ceux qui la considèrent comme le fondement même de la culture. Même si, partiellement, l’argument de la cherté du livre- avec la libéralisation de l’économie- est recevable, il n’en demeure pas moins que les raisons capitales de la désaffection pour la lecture sont à chercher du côté du nouvel environnement culturel marqué par l’hégémonie de l’audiovisuel, de la défaillance du système scolaire qui a cessé de transmettre ce “vice impuni’” qu’est la lecture, comme disait Valéry Larbaud et d’un déficit patent en matière de politique du livre de la part des pouvoirs publics.

La presse et le livre Le monde de la lecture étant ce qu’il est, c’est-à-dire réduit à la portion congrue et trop fuyant pour être ramené à des statistiques fiables, nous serions bien embarrassés de deviner l’écho qu’a pu avoir jusqu’à ce jour le supplément du livre que nous présentons chaque jeudi à nos lecteurs. Un ami de cette même rubrique se posait la question, dès l’adoption de la nouvelle formule, de savoir si les fiches de lectures, les ‘’coups de foudre’’ des rédacteurs et les simples annonces de parution pouvaient susciter inclination ou, pour les plus optimistes, engouement, pour les ouvrages présentés.Rares sont les occasions qui s’offrent à nos journaux d’ouvrir sur un événement culturel lié à la production littéraire. Cette dernière étant entendue dans son acception la plus large : littérature de fiction, poésie, théâtre, essais, études sociologiques ou politiques,…etc. La réponse, pour ceux qui sont tentés par la superficialité de l’analyse, est toute trouvée : la production d’un livre qui mérite l’attention des médias et du lecteur serait plutôt une exception qu’une règle. On justifie également le manque d’intérêt accordé à l’actualité du livre par l’absence d’un lectorat potentiel. La génération qui a hérité du réflexe de la lecture à partir des obligations de l’école coloniale tendant de plus en plus à disparaître, il ne reste que les jeunes arabisants qui baragouinent l’arabe et se sentent étrangers au français. Quant à pénétrer les écrits en berbère, cela relève d’une corvée à laquelle ils répugnent de s’astreindre sous prétexte que ses horizons ne dessinent encore aucune espèce d’ ‘’utilité’’ économique ou sociale. Pourtant, sur le plan de la quantité, la scène éditoriale commence à s’encombrer pour un pays qui, dans un passé récent, vivait sous le monopole de l’ENAL (ex-SNED). Les maisons d’édition privées sont déjà bien établies depuis que, timidement, Bouchène et Laphomic ont ouvert la brèche à la fin des années 80. Kasbah-Editions, Barzakh, Dar El Gharb, El Amal, Talantikit,…les noms des boites privées fleurissent avec, certes, un inégal bonheur. L’ancien slogan démagogique qui disait que le peuple avait besoin de livres de la même façon qu’il avait besoin de pain n’a jamais été suivi d’effet. On poussa le zèle de l’hypocrisie et du paternalisme jusqu’à vouloir “enlever au peuple le droit d’être un âne’’, formule empruntée à Fidel Castro. Aujourd’hui, et devant l’absence d’instances académiques idoines et de revues spécialisées en critique littéraire, le flux des productions livresques ne rencontre pas un filtre qui puisse conduire à une décantation basée uniquement sur la valeur intrinsèque de l’ouvrage selon des canons esthétiques et qualitatifs établis d’après les spécificités culturelles du pays et les valeurs de la culture universelle. La presse écrite, sans prétendre remplacer les structures et les outils inhérents à ce genre d’activité, peut aider à une meilleure lisibilité de la production littéraire, à une didactique de la lecture. Dans la chaîne de la production et de l’industrie du livre, la presse écrite constitue un maillon essentiel, indépendamment des bons de commandes publicitaires que pourraient y introduire les éditeurs. Et puis, il ne faut pas aussi oublier que le champ littéraire algérien a poussé ses ailes vers tous les cieux où se retrouve notre communauté. Des livres d’auteurs algériens sont publiés à Beyrouth, au Caire, à Berlin, à Ottawa et à Paris. Les contingences commerciales et le déficit d’information (à l’heure des technologies de pointe) font que ce cosmopolitisme est mal rendu dans notre presse. Nul besoin de pousser jusqu’à cette extrémité nos appétits de lecture et d’information sur le monde des livres. Des productions précieuses réalisées par des maisons d’éditions établies en Algérie n’ont pas connu l’heur d’être présentées dans la presse. Il est vrai aussi que l’effort de nos journaux reste limité par l’absence d’une stratégie professionnelle qui ferait de l’activité culturelle leur ‘’chose’’. Un événement politique, économique, social ou scientifique serait mieux vulgarisé et explicité s’il était encadré par une bibliographie, une cartographie et une iconographie appropriées. Dans un pays comme la France, pourtant assez cultivé pour éviter certains détails qui peuvent paraître superfétatoires, le 20 heures de F2 ou de TF1 ne donne une information de proximité que précédée d’un médaillon cartographique qui en situe la commune et la bourgade. C’est une affaire de culture et de tradition pédagogique qu’il importe de méditer de ce côté-ci de la Méditerranée au lieu de s’employer à singer des émissions de divertissement ou des sitcoms marqués d’une certaine spécificité culturelle souvent ‘’intraduisible’’. L’auteur du Dictionnaire des curiosités linguistiques publié la semaine passée (voir la Dépêche de Kabylie du mardi 4 octobre 2005) affirme que “c’est par les mots intraduisibles que l’on peut le mieux résumer la culture d’un pays’’.Dans l’état actuel du paysage éditorial algérien, la presse semble quelque peu en décalage par rapport à la masse de production de livres. Des journaux ont lancé des pages littéraires au cours de ces deux dernières années, mais l’effort à accomplir dans ce sens reste encore important pour pouvoir faire convoler le livre et la presse en justes noces.

Incertitudes sur la lecture Dans un environnement de plus en plus stressant où les heures de travail sont bousculées par d’autres préoccupations personnelles et par les irrésistibles sollicitations des loisirs audiovisuels, particulièrement la télévision, le temps passé à la lecture est réduit en peau de chagrin. Déjà dans les sociétés à vieille tradition de lecture, comme par exemple la France, l’Angleterre et l’Allemagne, la lecture n’est réellement plus ce qu’elle était il y a un demi-siècle. Après la seconde guerre mondiale, est née en Europe la littérature de ‘’gare’’ faite essentiellement de genre policier sous format de poche. Comme son nom l’indique, la littérature de ‘’gare’’ est destinée à délasser et occuper le lecteur pendant le voyage, d’autant plus que la période industrielle considérée imposait des déplacements parfois assez longs pour se rendre dans usines et ateliers de fabrication généralement installés dans les lointaines banlieues ou carrément en rase campagne. Après avoir été signifié moyen de délassement et d’évasion, le concept a fini par devenir un jugement dévalorisant en le mettant en opposition avec la littérature classique à texte.En Algérie, la tradition de lecture reste étroitement liée à l’héritage colonial. Même si des discriminations flagrantes grevaient l’école coloniale en instituant le double collège Français/indigènes, dans son ensemble, l’école était bâtie sur la pédagogie de la lecture et de l’écriture. On posa presque comme principe inébranlable, qu’à la fin du cours moyen les élèves puissent lire correctement un long texte et en saisir le sens. Et toute la didactique qui soutenait le travail des enseignants et la confection des livres scolaires tendait naturellement à transmettre le goût de la lecture aux élèves, un goût sustenté par le souci de la belle diction (en poésie comme en prose) qui insuffle émotion et sensations euphoniques, par l’alimentation de l’imaginaire et le développement de l’imagination des jeunes écoliers et par l’exploitation de thématiques directement liées à la vie de l’individu, à la cellule familiale, aux valeurs civiques et citoyennes, au travail, aux droits et aux devoirs. Les textes de lecture enseignaient aussi les efforts et les luttes des hommes pour domestiquer la nature et en exploiter les ressources sans en compromettre les équilibres. Elle enseignait aussi le respect des autres dans leurs différences, le sens de la solidarité et de la fraternité entre les hommes. Le goût esthétique, les capacités d’émerveillement devant les formes, les galbes et les couleurs, les facultés de réflexion, d’analyse et de synthèse sont également nourris par l’exercice précoce de la lecture.Au cours de ces vingt dernières années, l’école algérienne a vu ses capacités et performances laminées par une arabisation au rabais qui, en voulant dédaigneusement et bêtement s’éloigner de Victor Hugo et de Jean Giraudoux, n’a pas su ou voulu faire aimer la poésie de Ilia Abu Madhi, le souffle créateur de Gibran Khalil Gibran ou la charmante prose de Abdelhamid Benhadouga. La gouaille populaire n’a certainement pas raté la cible en parlant de génération analphabète bilingue. On ne peut pas jeter la pierre à la nouvelle génération contre laquelle se sont ligués tous les facteurs de médiocrité qui l’ont éloignée des délices et des bienfaits de la lecture.Pourtant, malgré ce climat qui n’invite apparemment pas à l’optimisme, des tentatives ont réussi ça et là à faire revivre, un tant soit peu, le goût de la lecture. Le dernier Salon du livre de Tizi Ouzou étant un exemple qui devrait en appeler d’autres. La nouvelle tendance qui se dessine en matière de lecture, particulièrement en Kabylie, se concentre sur les ouvrages du patrimoine culturel berbère (histoire, traditions, littérature orale ancienne), ce qui s’explique par le fort besoin de recherche identitaire et d’ancrage culturel et historique. L’autre volet qui a actuellement le vent en poupe- sans qu’il y ait de statistiques fiables pour le faire apparaître- est le livre politique, entendu ici non pas au sens académique inhérent à la science du pouvoir mais comme témoignages et mémoires sur des événements nationaux autrefois occultés par la censure du parti unique. Mohamed Harbi, Aït Ahmed, le général Nezzar, Bachir Hadj Ali, Benjamin Stora,…etc. sont les quelques noms qui sont demandés par les lecteurs ayant soif de la connaissance de l’histoire récente de l’Algérie.

Le livre et son environnementLa lecture et le développement du secteur du livre pèsent-ils d’un poids conséquent dans notre paysage culturel au point que la presse écrite en fasse une de ses préoccupations majeures ? Malgré la pertinence indiscutable de la question, les invitations à la lecture sont un devoir- nous dirions un devoir presque moral- pour l’institution culturelle qu’est le journal. Car, on l’oublie paradoxalement souvent, un journal est d’abord un produit culturel ; il l’est par la langue dans laquelle il s’exprime, par le style rédactionnel qui l’anime et par la mise en forme de l’information qui était- à l’état brut- de simples faits disparates ayant lieu dans des points éloignés les uns des autres. Sur le plan strictement littéraire, l’histoire a enregistré le feuilleton qui se publiait dans la presse quotidienne ou hebdomadaire au 19e siècle. Le Mercure de France et Le Figaro ont connu leurs heures de gloires en la matière ; Balzac, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant y ont marqué leur passage. Le J’accuse de Zola sur les colonnes de L’Aurore a propulsé ce dernier d’une façon fulgurante dans l’arène de la presse qui compte.Dans un pays où le niveau scolaire a rétrogradé d’une manière inquiétante, le rythme et le volume de la lecture ne peuvent déroger à la règle générale d’un tassement des valeurs culturelles et des connaissances générales. Et c’est pour participer modestement à l’effort de réhabilitation de l’acte de lecture que notre rubrique s’emploie à faire partager à nos lecteurs- happés par les soucis quotidiens de la vie qui se font de plus en plus pesants- le goût d’une certaine manière de penser, d’une phrase bien dite, d’une parabole magiquement énoncée, d’une strophe à la musicalité saisissante, d’un monde de rêves qui ne demande que la bonne volonté des hommes pour… tenter de se réaliser, et enfin, d’un savoir qui doit accompagner l’homme du 21e siècle. Nous serions bien immodestes et gauchement pédants si nous considérions que nous pouvons changer le monde par les livres ou par la présentation de leur contenu. Notre ambition est surtout de contribuer d’abord à neutraliser, autant que faire se peut, l’ennui ; oui, l’ennui que Baudelaire écrit avec un ‘’E’’ majuscule, car, dit-il, “Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, il ferait de la terre un débris, et dans un bâillement, avalerait le monde’’. Il est réellement à plaindre celui qui n’a pas goûté aux succulentes phrases de Feraoun, aux images poétiques de Mammeri, au culte de la raison de Voltaire, aux tableaux surréels de Rimbaud, aux scènes berbères d’Ahmed Sefrioui, au rêves et à la rage de vivre d’Anna Gréki, au monde féerique d’Isabelle Eberhardt, aux cris de révolte de Bachir Hadj Ali, au monde oppressé de Camus et de Kafka, à la correspondance échangée entre May Ziada et Gibran Khalil Gibran – lettres aux ailes accrochées à l’empyrée des âmes distinguées- ; pauvre est également celui qui n’a pas pu ou su lire dans le livre, car c’en est un, d’Aït Menguellet, Slimane Azem, Mohand Ouyahia et Ben Mohamed. La littérature ne se limite pas aux livres ; nous vivons avec et nous en faisons chaque jour. Un vers ‘’lâché’’ par inadvertance par grand-mère, un apologue illustrant une harangue dans l’assemblée de village ou une maxime par laquelle un adulte a voulu nous donner la leçon. Mais dans le monde trop preste dans lequel nous évoluons, la littérature, c’est d’abord et indiscutablement le livre. Il est notre compagnon là où nous nous rendons. Il ne peut être remplacé par aucun autre moyen de loisir (TV, cinéma, multimédia). Car, plus qu’un loisir, le livre est un monde enfermé dans quelques feuilles ; c’est un ensemble de sensations, d’expériences et de visions que nos semblables- après des nuits blanches et angoissées- ont bien voulu mettre entre nos mains. A nous d’en tirer profit et de nous approprier le fruit de la réflexion, des rêves, du chagrin et des espoirs des autres. Ce serait, peut-être, une manière bien à nous de réécrire le livre et de le faire nôtre.André Maurois, en parlant des livres, écrit : «Ils sont toujours des amis fidèles. Je dirai même que je les ai souvent trouvés plus brillants et plus sages que leurs auteurs. Un écrivain met dans ses ouvrages le meilleur de lui-même. On peut interroger sans fin le mystère du livre. En outre, cette amitié sera partagée, sans jalousie, par des millions d’êtres, en tous pays. Balzac, Dickens, Tolstoï, Cervantès, Goethe, Dante, Melville nouent des liens merveilleux entre les hommes que tout semble séparer.Le livre est un moyen de dépassement. Aucun homme n’a assez d’expériences personnelles pour bien comprendre les autres, ni pour bien se comprendre lui-même. Nous nous sentons tous solitaires dans ce monde immense et fermé. Nous en souffrons ; nous sommes choqués par l’injustice des choses et des difficultés de la vie. Les livres nous apprennent que d’autres, plus grands que nous, ont souffert et ont cherché comme nous (…) Un soir consacré à la lecture des grands livres est pour l’esprit ce qu’un séjour en montagne est pour le corps (…) Le théâtre de Garcia Lorca m’aura plus appris sur l’âme secrète de l’Espagne que vingt voyages faits en touriste».Nous pouvons en dire autant de l’œuvre d’Ibn Khaldoun sans laquelle l’historiographie serait bien en peine de récolter les moindres informations sur les Beni Hilal. Quel embarras serait le nôtre de vouloir réaliser un reportage sur le Caire qui dirait mieux ou plus que ce qu’a écrit Naguib Mahfoud ! La tentative serait vaine de pouvoir décrire l’âme kabyle- au bout d’un séjour limité dans cette contrée- mieux que ne l’a fait Mouloud Feraoun dans la Terre et le sang. Le retour à la lecture sera considéré comme un signe d’éveil culturel, un signe de bonne santé de notre jeunesse et un acte civilisationnel majeur dans un monde qui prend de plus en plus les contours d’un village planétaire où les sociétés analphabètes, coupés de l’héritage culturel local et universel, n’auront pas le droit de cité. L’enjeu est considérable ; le livre est l’une des portes de salut. Mais, pour cela, une véritable politique du livre est plus que jamais nécessaire. Car, dans l’état actuel des choses, tous les facteurs de dissuasion sont réunies : une école déliquescente qui ne forme pas à l’amour de la lecture, un environnement socioculturel dominé par la culture de l’apparat et des manifestations folkloriques et un secteur éditorial happé par l’esprit mercantile qui éloigne de plus en plus le livre du lecteur.Quel lycéen ou étudiant pourrait se permettre d’acheter le livre de Mouloud Mammeri Passion des sables, illustré par des photos d’Ali Maroc, pour un prix proche de 2 000 dinars ? Là se pose la problématique des lieux de lecture supposés être pris en charge par les pouvoirs publics. Qu’est devenu le slogan ‘’une bibliothèque par commune’’ chanté sur tous les toits pendant des années ? Et pourtant, le seul moyen de faire accéder le lecteur aux ouvrages précieux ou chers est de les rendre disponibles dans les bibliothèques communales, scolaires et universitaires. C’est aussi- outre l’indispensable mission de l’école en la matière- une des actions qui pourront faire naître chez le citoyen la curiosité puis le goût de la lecture.

Le message littéraireLe débat sur le rôle et le message de la littérature est aussi vieux que l’exercice de l’écriture elle-même. Avec la vision classique, on a considéré un certain moment l’écrivain comme un mémorialiste, un historien de l’instant qui enregistre les événements et les faits dont il est témoin. C’est, bien entendu, une vision très restrictive qui ne prend pas en considération les motivations psychologiques, esthétiques ou même politique du message écrit. Certes, des écrivains ont assumé avec brio cette tâche de transmettre aux générations successives les faits et gestes des rois, les hauts faits de guerre et les menus détails de la vie commerciale, économique et sociale d’une époque. Le cardinal de Retz, Saint-Simon ou, bien avant dans l’Antiquité, Salluste, Polybe et Hérodote, ont admirablement su décrire les personnage et les événements de leurs époques respectives.Mais, au sens de la littérature, tel que le concept est forgé depuis l’explosion du roman à partir du 18e siècle, une autre race de “ceux qui écrivent’’ a jeté les bases d’une nouvelle conception de l’écriture, donc de nouvelles motivations qui fondent l’acte d’écrire et même l’acte de lire.En 1948, Jean-Paul Sartre, philosophe, romancier et dramaturge, s’interrogeait et interrogeait ses contemporains sur le sens de l’activité littéraire. «Pour lui, écrivent les auteurs de Littérature et Langage (Fernand Nathan, 1977), l’écrivain surtout l’écrivain en prose, est ‘’engagé’’, qu’il le veuille ou non, du fait même qu’il a choisi le langage comme matière de son travail. Parler, écrire, c’est parler du monde, donc de ceci plutôt que de cela. Toute parole oblige. L’écrivain est constamment marqué, idéologiquement et politiquement désigné, par ses mots et par ses silences. D’où la légitimité et la nécessité d’une critique des contenus, qui sera en somme une lecture idéologique des œuvres, analysant leur discours manifeste, explicite et leurs non-dits». L’ouvrage de Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, a essayé de sonder le monde de l’écrivain et a préparé le terrain à la sociocritique moderne qui a rationalisé sa démarche par un appel combiné à la linguistique et au marxisme. «N’a-t-on pas coutume de poser à tous les jeunes gens qui se proposent d’écrire cette question de principe :’’Avez-vous quelque chose à dire ?’’ Par quoi il faut entendre : quelque chose qui vaille la peine d’être communiqué. Mais comment comprendre ce qui en ‘’vaut la peine’’ si ce n’est par recours à un système de valeurs transcendant ?’’, écrit Sartre.

Pourquoi écrire ?Une question que, par un travail de diagnostic spéculaire et d’introspection, se posent beaucoup d’écrivains, comme ne manquent pas de la poser les journalistes et le ‘’commun des curieux’’ aux écrivains. Dans ses Notes et contrenotes (1964), Eugène Ionesco écrit : «Pourquoi écrivez-vous ? Demande-t-on souvent à l’écrivain. ’’Vous devriez le savoir’’, pourrait répondre l’écrivain à ceux qui posent la question. ‘’Vous devriez le savoir puisque vous nous lisez, car si vous nous lisez et si vous continuez de nous lire, c’est que vous avez trouvé dans nos écrits de quoi lire, quelque chose comme une nourriture, quelque chose qui répond à votre besoin. Pourquoi donc avez-vous ce besoin et quelle sorte de nourriture sommes-nous ?‘’Si je suis écrivain, pourquoi êtes-vous mon lecteur ? C’est en vous-mêmes que vous trouvez la réponse à la question que vous me poser».Ionesco pose ici le problème de la relation auteur/lecteur en termes d’une connivence dialectique dont le premier explique le second et vice-versa. L’on peut schématiser cette série de questions en disant que le besoin de dire rejoint le besoin de lire. Mais, peut-on ou doit-on exiger de l’écrivain qu’il réponde exactement à nos attentes en matière de questionnements ou de goût ? «Dès que quelqu’un a écrit un sonnet, un vaudeville, une chanson, un roman, une tragédie, les journalistes se précipitent sur lui pour savoir ce que l’auteur de la chanson ou de la tragédie pense du socialisme, du capitalisme, du bien, du mal, des mathématiques, de l’astronautique, de la théorie des quanta, de l’amour, du football, de la cuisine, du chef de l’État. ‘’Quelle est votre conception de la vie et de la mort ?’’ me demandait un journaliste sud-américain lorsque je descendais la passerelle du bateau avec mes valises à la main. Je posai mes valises, essuyai la sueur de mon front et le priai de m’accorder vingt ans pour réfléchir à la question, sans toutefois pouvoir l’assurer qu’il aurait la réponse. ‘’C’est bien ce que je me demande, lui dis-je, et j’écris pour me le demander», ajoute Ionesco. Dans bien des cas, sans doute dans la plupart des cas, l’écrivain nous transmet ses inquiétudes existentielles, partage avec ses lecteurs l’angoisse des questions sans réponse ; il est inquiétant parce qu’il est inquiété ! L’écrivain essaye parfois de nous suggérer un ordre, une imbrication des choses telles qu’il les perçoit. C’est ce que propose la romancière américaine Toni Morrison en disant : ‘’J’écris pour créer de l’ordre, de la beauté, de la vie à partir de ce qui m’entoure et qui n’est que chaos, misère et mort’’.Tentant de replacer le concept d’engagement dans son acception la plus pertinente après qu’il fût malmené par des idéologues attitrés, Alain Robbe-Grillet souligne dans Pour un nouveau roman (1963) : «L’art ne peut être réduit à l’état de moyen au service d’une cause qui le dépasserait, celle-ci fût-elle la plus juste, la plus exaltante ; l’artiste ne met rien au-dessus de son travail, et il s’aperçoit vite qu’il ne peut créer que pour rien ; la moindre directive extérieure le paralyse, le moindre souci de didactisme ou seulement de signification, lui est une insupportable gêne ; quel que soit son au parti ou aux idées généreuses, l’instant de la création ne peut que le ramener au seul problèmes de son art (…) Redonnons donc à la notion d’engagement le seul sens qu’elle peut avoir pour nous. Au lieu d’être de nature politique, l’engagement c’est pour l’écrivain, la pleine conscience des problèmes actuels de son propre langage, la conviction de leur extrême importance, la volonté de les résoudre de l’intérieur. C’est là, pour lui, la seule chance de demeurer un artiste et, sans doute aussi, par voie de conséquence obscure et lointaine, de servir un jour peut-être à quelque chose – peut-être même à la révolution».

Mammeri et Feraoun : sens et puissance d’un actePour Mouloud Mammeri, on écrit quand on a quelque chose à dire ; mais ‘’d’une part, on ne dit pas n’importe quoi et d’autre part, on ne le dit pas n’importe comment (…) Cela ne veut pas dire qu’il y a des sujets plus prestigieux ou plus louables que d’autres…La valeur vraie d’un livre ne se confond pas avec les valeurs, elles de convention, des événements qu’il relate et redire un héros ne rend pas plus héroïque la narration (…) Je crois qu’il n’y a pas de littérature s’il n’y a pas de souci de ce que les manuels de mon enfance appelaient : la forme’’ (in Entretien avec T. Djaout 1987).Mammeri s’inscrit en faux contre l’engagement qui, dans certains pays à l’image de l’Algérie du parti unique, signifiait embrigadement inconditionnel, pensée unique et uniformisation stérilisante : ‘’Il traîne après lui des relents d’encasernement…le petit doigt sur la couture du pantalon et que je voie une seule tête. J’avoue que personnellement, à la fois par tempérament et par principe, je suis allergique à ce genre de sport. Des têtes, je pense personnellement que plus on en voit et mieux c’est…Quelle fête formidable on peut faire quand plusieurs têtes entrent dans le jeu…et quel paysage morose, aride déprimant quand il n’y a qu’une qui pense ou qui fait semblant…une qui parle, une qui dicte ce que les autres doivent dire et penser. Quand mille voix dociles bêlent à l’unisson la voix de leur maître, quel immense bêlement bien sûr, mais aussi quel bâillement immense ! Force est de constater que presque toujours, le terme (engagement) a pris chez nous un sens univoque ; il veut dire défendre par l’écrit la vérité officielle. Etrange avatar d’un concept inventé pour défendre les victimes, l’engagement a fini par consister à être du côté du prince. En tout cas, l’engagement, il vaut mieux le pratiquer que le crier (…) Comment un écrivain algérien peut-il décrire la réalité algérienne sans être par cela même engagé’’ ?Pour Mouloud Feraoun, parlant des écrivains algériens de sa génération, il dit : “Les plus significatives de nos œuvres contiennent tout l’essentiel de notre témoignage : on le retrouve un peu partout, discret ou véhément, toujours exprimé avec une égale fidélité et le même dessein d’émouvoir. Chacun a parlé de ce qu’il connaît, de ce qu’il a vu ou senti et, pour être sûr de dire vrai, chacun a mis dans son livre une grande part de lui-même. Mais puisque la vision reste la même sous des angles différents, des drames identiques ont été observés : drames sociaux d’où résultent le chômage et l’émigration ; drames politiques avec les luttes intestines, les brimades administratives ou l’inhumaine opposition des races ; ceux enfin de l’ignorance, qui sont aussi cruels que les autres et auxquels on voudrait imputer l’origine de tous nos mots.L’écrivain ayant dénoncé la faim comme un mal profond mais guérissable qu’il importait vite de soigner a désiré faire connaître le malade, non établir des ordonnances ou proposer des remèdes(…) Nous sommes des intellectuels issus d’un monde à part et nous possédons la culture française. Notre paradoxe- ou notre drame, comme l’on dit communément- est fort compréhensible. Attachés par toutes les fibres de notre âme à une société figée, ignorante et misérable, en marge du siècle nouveau, nous avons la claire conscience de ce qui nous manque et le devoir de le réclamer. L’aspect revendicatif de notre œuvre n’a donc rien de surprenant. Ce qui peut surprendre et rassurer à la fois, c’est cette absence de passion qui marque presque toujours nos propos’’ (in L’anniversaire).Le cas de Kateb Yacine est un peu différent. Ayant pris conscience des limites de l’impact de l’écrit dans une société analphabète, il se redéploiera d’une façon résolue sur le terrain du théâtre lequel, pense-t-il, établit un lien charnel entre l’auteur et le spectateur. Son expérience dans le domaine a, de l’avis de tout le monde, été concluante. En tout cas, la mission de la littérature telle que la conçoit Kateb- dans sa version écrite ou dans son —expression sur les planches- demeure l’éveil des consciences. Sans pouvoir faire l’impasse sur le souci de l’esthétique — le chef-d’œuvre Nedjma est à ce sujet un exemple extraordinaire de réussite littéraire-elle fait partie des instruments de la libération et de la désaliénation des peuples.

Nouveaux horizonsLe paysage littéraire algérien est, en ce début du 21e siècle, incontestablement riche de la diversité de ses horizons, de l’éventail de ses styles, de la pluralité de ses thématiques et de la gamme de ses langues d’expression. Les études et les critiques littéraires nous apprendront dans quelques années si vraiment la relève de la génération de la guerre de Libération nationale est définitivement assurée.Cela ne pourra se faire que par des moyens académiques (université, revues littéraires spécialisées, séminaires, …) seuls à même de juger l’impact et l’importance des œuvres, jauger les décantations qui se feront dans un domaine où les auteurs faussaires disputent la vedette aux écrivains authentiques et dégager les tendances lourdes des écrits algériens qui s’expriment en arabe, en français et en berbère.Dans l’univers esthétique des lettres algériennes, la puissance et la prégnance des pères fondateurs de la littérature moderne ne cessent d’exercer leur influence sur les lecteurs d’aujourd’hui et les auteurs en herbe au point de recouvrir d’une ombre gênante la génération des écrivains de l’après-Indépendance. En effet, Mammeri, Feraoun, Kateb et Dib jouent, dans ce cas de figure, le rôle de mythe fondateur.La renommée et le mérite de ces pères ne sont pas surfaites. Ils ont participé par la plume à l’éveil de la société algérienne écrasée par un ordre colonial inique. Les écrivains qui ont écrit après 1962 ont essayé d’exprimer les nouvelles préoccupations des Algériens liées aux nouvelles réalités politiques et sociales induites par la gestion autocratique et clientéliste du pays sous le règne d’un ‘’socialisme de caserne’’. Mimouni, Djaout, Rabah Belamri, Mouloud Achour et beaucoup d’autres encore ont pu donner un souffle nouveau à la littérature algérienne écrite en français et ce malgré les clivages et l’ostracisme secrétés par la tendance arabo-baâthiste du pouvoir. Ce n’est pas sans une belle surprise que de jeunes auteurs se sont imposés au milieu de la tourmente de la subversion islamiste. Autour de la revue Algérie/Littérature-Action, éditée en France par Aïssa Khelladi, se sont regroupés certains écrivains, à l’image de Aziz Chouaki, et ont redonné une autre vigueur à l’acte d’écrire en se situant dans le nouveau contexte fait de peur et d’inquisition, mais aussi de courage et de résistance. D’autres écrivains, issus d’horizons divers, ont pu aussi s’imposer sur la scène d’une façon inattendue : Boualem Sensal, fonctionnaire dans l’Industrie, Yasmina Khadra, ancien officier de l’ANP, Arezki Metref, journaliste, Salim Bachi, jeune auteur émigré…ont pu avoir les suffrages des lecteurs, du moins du peu de lecteurs qui restent encore en Algérie. Une passerelle qui semble exprimer les mérites et les qualités des générations d’Algériens ayant écrit ou écrivant actuellement dans la langue de Molière, c’est sans aucun doute la grande Assia Djebar. L’honneur fait à la dame du Chenoua est indubitablement un hommage à cette saga littéraire qui remonte à Jean et Taos Amrouche, Djamila Débèche, Ismaïl Aït Djaâfar,…Le destin de la langue française en Algérie est d’une extraordinaire et paradoxale fortune. Alors que la politique débilitante de l’arabisation battait son plein en fournissant les premiers ‘’contingents’’ de l’école fondamentale, le français refait surface dans les administrations, s’affirme puissamment à l’université, maintient et renforce sa présence dans les secteurs économiques et se déploie fastueusement dans le nouvel univers de la presse indépendante. Plus qu’un butin de guerre, c’est un héritage de l’histoire et un précieux moyen d’ouverture sur le monde. L’anglais- langue des sciences et des techniques- que l’on nous présente hypocritement comme une alternative imparable au français n’a aucune profondeur sociologique ni ambiance culturelle qui feraient de lui une première langue étrangère en Algérie. Nous ne serons jamais étonnés lorsqu’on tombe- cela arrive souvent- sur des recueils de poésie, contes, proverbes écrits en kabyle et accompagnés d’une traduction en français. Chez beaucoup de jeunes auteurs que nous avons approchés, c’est même une nécessité vitale de se faire traduire en français. Il est vrai que, parfois, la chose relève de la coquetterie intellectuelle ou de la simple ostentation, qui nous renseigne quand même sur l’état d’esprit qui règne chez nos auteurs. Si une partie de ceux qui écrivent arrivent à faire passer leur message par le biais de l’édition, une frange importante de poètes, prosateurs, conteurs et chercheurs en patrimoine culturel plonge dans l’anonymat le plus durable. L’édition étant d’abord un acte commercial, le ‘’célèbre anonyme’’ d’un village ou canton éloigné de la montagne ne dispose pas d’armes nécessaires pour affronter l’édition.A compte d’auteur, voilà la nouvelle logique marchande. Beaucoup de candidats hésitent ou refusent à franchir le pas. C’est un peu le cercle vicieux : pour se faire éditer, il faut être un auteur établi, sinon célèbre. Pour accéder à ce statut, il faut se faire d’abord éditer ! C’est pourquoi, des dizaines de jeunes auteurs, principalement en Kabylie, font leur deuil d’une possible publication de leurs écrits mais continuent à taquiner le papier, à coucher des strophes et à consigner des renseignement historiques et ethnologiques précieux. Sans grands moyens, ils tiennent des cahiers d’écolier ou des feuillets volants sur lesquels ils transcrivent les inspirations de la journée, les halètements de leur cœur, les ennuis d’un quotidien morose ou les espoirs de la vie en rose.En kabyle ou en français, parfois dans les deux langues, des écrivains anonymes existent. Ils ne se confient qu’à des connaissances qui peuvent comprendre leur situation de poètes ou prosateurs damnés. Quelques privilégiés parmi eux ont accédé furtivement à l’antenne de la radio Chaîne II.D’autres ont pu glisser certains de leurs textes à des chanteurs qui s’en sont parfois appropriés.A chacun son destin dans un domaine où les mérites et les compétences mettent beaucoup de temps pour s’imposer. Malgré l’adversité et les différents écueils qui se mettent au travers de la voie de l’écriture littéraire, des jeunes tiennent à prolonger l’acte de Feraoun, à s’inspirer des idéaux de Mammeri, à perpétuer la combativité de Jean Amrouche et à faire leurs le sentiment de révolte et l’esprit de contestation de Kateb Yacine.

A. N. M.

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