Bouteflika réhabilite Abane Ramdane

Partager

Il aura fallu le cinquantenaire de la tenue du Congrès de la Soummam pour que Abane Ramdane, l’architecte de cette réunion et le penseur de la Révolution dès sa sortie de prison en 1955, soit reconnu à sa juste valeur par les dirigeants de l’Etat pour lequel il a combattu.Ainsi, Abdelaziz Bouteflika, après avoir baptisé l’aéroport de Béjaia en 2000 du nom de ce valeureux martyr, a franchi le pas, comme aucun président de l’Algérie indépendante ne l’avait fait avant lui, en rendant un hommage, discret certes, mais appuyé à Abane Ramdane. « Comment ne pas saluer aujourd’hui en ce cinquantième anniversaire du 20 Août 1956 la mémoire du grand intellectuel militant que fut Abane Ramdane et qui, de concert avec Larbi Ben M’hidi, fut la cheville ouvrière de la Plate-forme de la Soummam », écrit, en effet, le chef de l’Etat dans sa missive, même si beaucoup d’observateurs ont nourri l’espoir de voir le Président lui-même se rendre à Ifri pour célébrer cet important évènement que fut le Congrès de la Soummam. Même si l’hommage ici peut s’apparenter à un discours de circonstance, il n’en demeure pas moins qu’évoquer le nom de Abane de cette manière et à un tel niveau de l’Etat est une victoire en soi, en ce sens que, hormis quelques livres scolaires et les militants restés fidèles à la ligne de conduite du Congrès de la Soummam, le nom de cet intellectuel hors pair était tout simplement occulté des cercles officiels, pour des considérations diverses liées notamment aux divergences suscitées déjà durant la guerre sur la manière de conduire le cours d’une révolution dont l’issue était presque incertaine en cette année 1956. En plus du nom de Abane qui a été réhabilité, il faut ajouter le document produit lors de ce congrès, c’est-à-dire la Plate-forme de la Soummam à laquelle le président Bouteflika a fait référence dans son discours, sans en aborder les référents idéologiques qui ont fait de cette réunion une « étape charnière » dans la lutte pour la libération de l’Algérie. « Le premier objectif du Congrès de la Soummam est de doter la nation algérienne en guerre d’une direction politique en phase avec le développement de la guerre anti-coloniale et de la mobilisation des diverses composantes du peuple algérien. A l’issue de du congrès de la Soummam, c’est chose faite », rappelle encore Abdelaziz Bouteflika qui ajoute plus loin que la rencontre d’Ifri a conceptualisé et « mis en œuvre les structures de l’Etat algérien, son découpage territorial, son administration, son armée, sa diplomatie, sur la base de la nation algérienne, une et indivisible ».Cependant, et pour probablement se situer au dessus des polémiques suscitées par les résolutions du Congrès de la Soummam, le Président a mis un peu de prudence dans ses propos en notant que « du formidable travail accompli au Congrès de la Soummam et qui a engagé la nation tout entière dans la voie de sa libération, les commentateurs n’ont malheureusement retenu que les deux principes posés dans la Plate-forme de la Soummam : la primauté du politique sur le militaire et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur. » Tout en reconnaissant que ce sont des “principes de bon sens », Bouteflika précise que ces deux points « ne peuvent être considérés comme des dogmes quasi religieux » et ils doivent « nécessairement s’adapter aux circonstances de la lutte de libération et également à la stratégie de l’ennemi ».Circonstance oblige, le lien est vite fait entre la réhabilitation du Congrès de la Soummam et de son architecte, Abane Ramdane, et le projet de réconciliation nationale prônée par le chef de l’Etat depuis son accession au pouvoir en 1999. C’est ce qu’il a rappelé dans son message en faisant le lien entre la génération d’hier, celle qui a libéré le pays, et celle d’aujourd’hui, constituée essentiellement de jeunes. « La fidélité au message du 20 Août 1956 impose à toutes les Algériennes et à tous les Algériens à faire de l’unité de notre nation, une et indivisible, l’axe de la reconstruction de notre présent et l’élaboration de notre avenir. C’est la raison pour laquelle depuis le début de mon premier mandat en tant que président de la République, j’œuvre, dans des conditions certes différentes de celles de nos aînés, mais dans le même esprit, à la réconciliation nationale des forces politiques, culturelles et sociales », écrit Abdelaziz Bouteflika dans ce sens.En somme, la Plate-forme de la Soummam a eu droit, pour la première fois, à une considération au plus haut niveau de l’Etat. Une reconnaissance qui devait intervenir depuis longtemps, n’était la haine de certains responsables du FLN historique et de l’ALN qui avaient rejeté le document pour la simple raison qu’il ne les arrangeait pas. La même considération est redonnée à Abane Ramdane, que certains avaient même voulu présenter comme « traître ». Il reste maintenant une question importante, celle de connaître toute la vérité sur le lâche assassinat de ce grand homme. Bouteflika a jeté le premier jalon, que les historiens n’ont pas attendu, en évoquant « les zones d’ombre » de la guerre d’Indépendance. Et le meilleur hommage qu’on peut rendre à Abane Ramdane est de lui donner une sépulture digne d’un mythe qui a inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire de l’Algérie, au lieu du marbre vide qui porte son nom au carré des martyrs d’El Alia.

Ali Boukhlef

Partager