…Trois fourgons d’Algérie Poste devant chez le vieux Rezqi. Quatre tonnes de courrier y sont déposés. A eux seuls, les Dezdeg ne s’en sortent pas. Tous les Ouled Ihouma, plus ou moins alphabétisés, sont venus prêter, avec plaisir et enthousiasme, main forte. Le Débat n’est plus le problème des seuls Dezdeg et de leurs voisins de palier. Toute la houma et les alentours se sont naturellement sentis concernés par cette vérité kabylo-kabyle qui se réalise en sourdine. “Cette fois-ci, c’est la bonne. Les Kabyles vont accoucher”, hurle un jeune vendeur de persil à Bab El Oued au milieu d’une foule venue répondre à “d acu
tebgham ?”. Il est venu, lui aussi, répondre à la question du vieux Rezqi. Le jeune semble définitivement conquis par le bon sens du grand-père. Il n’a pas pu s’empêcher de hurler à la figure d’un militant FLN reconnaissable à son tour de ceinture : “Dezdeg Président !” Cinq copains de la Croix transcrivent les réponses orales. Mima et trois de ces copines trient le courrier, l’ouvrent et classent les réponses par thèmes. Moumouh Iboulitik, le cousin du bled, ne lâche pas d’une semelle le grand-père. Toujours derrière lui à lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Comme son surnom le laisse supposer, Moumouh est très politisé. Pour avoir flirté avec quasiment les soixante partis uniques, il détecte tout de suite les Judas. Alors, il est là à conseiller et orienter le vieux. Chaâbane, le dissident du FFCD, met au service de son père son expérience politique. Il faut dire que le postier a une culture, politique solide. C’est pour cela d’ailleurs qu’il n’a jamais percé dans le FFCD. Quand il avait compris et digéré qu’il servait d’escabeau à ses responsables du parti, il claqua la porte. C’était le plus beau jour de sa femme Sekkoura. Le vieux Rezqi continue de recevoir les visiteurs. Le dernier qu’il reçoit, à cinq minutes du f’tour, est un Algérien réfugié en Irak (!?). “Réfugié en Irak ! arqent-ak Tmura ?”, s’étonne et interroge le vieux. En fait, le visiteur souffre d’une illusion d’optique provoquée par la réfraction des livres d’histoire dans son cerveau. Pour, lui, l’Irak n’existe pas encore : il vit à Babylone.
Yettkemil…
T. Ould Amar
