Au pays des “quatre saisons”

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Il aura fallu que cet aliment de large consommation atteigne des prix honteux, dans un pays producteur — du producteur au simple détaillant, en passant par les pouvoirs publics— les langues se délient enfin pour se rejetter la balle l’un à l’autre. Pour les professionnels agricoles, il s’agirait bel et bien d’une faible production qui serait l’origine de la flambée. Pour le ministère de tutelle, il s’agirait plutôt de spéculation, avançant que les gros bonnets auraient stocké la pomme de terre dans les chambres froides à travers les wilayas productives, propos vite démentis par les producteurs qui disent que les commissions de contrôle n’ont relevé aucune anomalie, car n’ayant rien trouvé dans les chambres froides. Dans une virée que nous avons effectué dans la région de Fréha où la pomme de terre est cultivée, les cultivateurs sont unanimes concernant cette flambée des prix, ils l’estiment logique. Pour eux, cette situation est le fait que la production est inférieure à celle de l’an dernier. “C’est la règle de l’offre et de la demande”. La plupart de ces fellahs rappellent que l’année dernière a été catastrophique pour eux, même si le consommateur s’en est tiré à bon compte, notamment durant le mois de Ramadhan. La production était tellement importante que les cultivateurs ont dû la céder à 7 DA le kg. Ceux qui ont eu recours aux stockages dans l’espoir de voir les prix se redresser ont vite déchanté. En plus des prix mirobolants de stockage, beaucoup ont été contraints de jeter leur production avariée, la brader ou simplement l’abandonner sur les lieux du stockage. Tous les agriculteurs de cette région avouent avoir perdu énormément d’argent l’année écoulée, à l’instar de ce fellah cultivant 30 hectares de pommes de terre et qui a perdu, nous dira-t-il, “plus de 400 millions de centimes”, selon lui croulerait sous les dettes. Ces fellahs affirment que le prix de revient de la pomme de terre cette année est de 35 dinars, alors que son prix sur pied n’a jamais dépassé les 13 dinars. “Une catastrophe”, disent-ils d’emblée, pour le fellah. L’Etat ne fait rien pour la compenser, ajoutent-ils. Les producteurs échaudés par les prémices d’une saison qui s’annonce catastrophique ont préféré réduire de 40% les surfaces réservées à la pomme de terre, alors que les petits producteurs ont tout bonnement abandonné la partie car sur-endettés jusqu’au cou. Du coup, la production a sensiblement baissé. A l’échelle nationale, douze millions de quintaux ont été récoltés, contre dix millions en 2005. Le ministre de l’Agriculture annonce un chiffre de plus de 20 millions de quintaux de production de pommes de terre pour 2006. La consommation de la pomme de terre par habitant est estimée aux alentours de 55 kg par an. Il y a lieu de signaler les aléas qui peuvent à chaque moment hypothéquer la production, le problème des maladies qui affectent une bonne partie des récoltes à cause des semences importées déjà atteintes. Après le “Mildiou” en 2004, c’est la “Gêlé argentée” qui a fait des siennes en 2005, nous a-t-on expliqué, poussant de nombreux fellahs à changer de créneau en attendant que la situation s’arrange.

Les remèdes existant

Devant cette hausse vertigineuse des prix de la pomme de terre et pour pallier les pénuries par le passé, l’Etat procédait à l’importation de ce tubercule très prisé mais avec la hausse de la production nationale, notamment depuis que d’autres régions du pays se sont mises à cultiver ce légume, le problème de disponibilité normalement ne se posait plus. Il ne restait que le problème de stockage. L’Etat avait interdit la méthode traditionnelle d’entreposage sur les lits des oueds et dans d’autres endroits impropres et a encouragé l’utilisation du froid. Or, les coûts, selon les producteurs, restent élevés et ceux qui en disposent sont contraints, pour rentrer dans leurs frais, de stocker les semences. Les pommes, les poires et les pommes de terre. D’autres sont obligés de se déplacer sur une centaine de kilomètres pour stocker leur production. D’ici un mois, la pomme de terre sera ramassée et le marché national sera de nouveau inondé. Il faut savoir que les fellahs font deux récoltes annuelles de pomme de terre. La première en mai/juin et la seconde en novembre. Généralement, c’est les mois de septembre et octobre que le problème se pose.

Les fellahs se veulent rassurants. Dans moins d’un mois, les prix vont sensiblement baisser. Mais les fellahs de Fréha avertissent : “La récolte d’avril/mai sera catastrophique”. En effet, les quantités de semences importées ne cessent de diminuer, lorsqu’on sait que leurs prix ont atteint 9 000 DA le quintal, alors qu’avant, ils variaient entre 4 500 DA à 6 500 DA le quintal. Elles étaient de l’ordre de 150 000 tonnes en 2005 et de 120 000 tonnes cette année, pour la campagne prochaine, les échos ne sont pas rassurants. Les fournisseurs européens très au fait des besoins en semences du marché algérien sont en train de monter les enchères, en prétendant ne pas disposer de quantités suffisantes pour répondre au besoin du marché algérien. Une manière de fourguer n’importe quoi et à n’importe quel prix aux producteurs algériens. Cela ne manquera pas, évidemment, de se répercuter sur la production nationale qui risque de voir les superficies réservées à la pomme de terre encore réduites et inexorablement le prix de vente repartir à la hausse. Pourtant, il y a un peu plus d’une décennie, la production des semences était totalement assurée en Algérie. Actuellement, l’Algérie assure seulement 90 000 tonnes de pommes de terre de semences qui ne peuvent couvrir qu’une superficie d’environ 4 500 ha. Cela dit, rien ne peut stopper la spéculation, saut l’abondance. En tout cas, les fellahs eux, refusent d’être montrés du doigt. “Nous ne pouvons être producteurs et revendeurs à la fois” ! Il est vrai que, de gros bonnets spéculateurs, au fait de la situation du marché agricole, ont acquerri de grosses quantités à moindre prix le kilo qu’ils ont stockés tout près des marchés de gros des grandes agglomérations. L’Etat, certes ne peut pas agir, les prix sont libres. Il peut toutefois jouer un rôle de régulateur du marché pour que le consommateur ne soit pas toujours le dindon de la farce. Le calvaire de la ménagère doit prendre fin d’ici peu. Mais ce ne sera que partie remise. En attendant, le département de Saïd Barkat saura-t-il prendre les mesures qui s’imposent pour éviter aux consommateurs d’autres flambées. Seul l’avenir nous le dira.

Saïd Seddik Khodja

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