Un chantier de la mémoire laissé ouvert

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Le séminaire tant attendu sur la Tidjania vient de baisser le rideau sur un goût d’inachevé d’un chantier important de la mémoire collective laissé ouvert. S’il était prévisible de s’attendre à des manœuvres de la part de ce qui est appelé dans le royaume chérifien « la grande zaouia de Sidi Ahmed Tidjani », pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’héritage spirituel de cet érudit de l’Islam, il était moins prévisible de voir les participants passer outre les implications historiques d’une confrérie qui a eu des démêlés pas souvent heureux avec l’Emir Abdelkader, et bien après dans cette histoire d’Orily Picard, dont l’histoire très controversée a laissé des séquelles dans le comportement et l’attitude de cette importante confrérie religieuse par rapport aux questions liées à la revendication nationale.

Versant dans le sens et l’esprit de la lettre de Bouteflika, qui a plaidé à l’occasion pour expurger l’Islam des lectures rétrogrades et extrémistes, en insistant sur un Islam de tolérance, le président de l’Association nationale des zaouiate, M. Chaâlal, a voulu justifier ce retour aux confréries religieuses, en liant son argument à des considérations doctrinales et sécuritaires. C’est ainsi qu’il lâche sans prendre de précaution politique que « l’extrémisme et le terrorisme qui ont ensanglanté l’Algérie sont le fait du wahabisme ». Le verdict est donc lâché ; réhabiliter les confréries religieuses pour contrecarrer la montée de l’islamisme politique et réduire l’influence des adéptes d’Ibn Taimia, Al Albani et autres idéologues de ce qui est appelé « l’Islam djihadiste ». Sur cette question, un constat s’impose : les sphères de décision dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement étant squattées dès l’Indépendance par une coalition issue de l’Association des Oulémas et de quelques  » baâthistes  » bien implantés au sein du vieux parti, les zaouiate se sont trouvées dans une situation peu confortable. Combattues pour « charlatanisme » et intelligence avec l’ancien colon, leur sort a été scellé dès le moment où les éléments les plus modernistes de la caste gouvernante ont laissé faire pour des considérations liées à la modernisation de la société.

Le  » rigorisme  » hérité des Oulémas a énormément gêné les zaouiate, qui se voient ainsi réhabilitées à la lumière de la dérive terroriste des tenants de l’Islam politique.

Mais une question s’impose dans cette entreprise : est-ce que l’ensemble des confréries et « Tariquates » ont eu le même comportement durant la colonisation et la guerre de Libération nationale ? Voilà une interrogation qui reste du ressort des historiens et spécialistes et qui risque de surprendre plus d’un partisan de cette thèse peu au fait de l’histoire des confréries religieuses dans notre pays.

Déjà, le pouvoir voulait utiliser les réseaux des  » Khouane  » dès le début des années 80, pour stopper la dérive islamiste suscitée par la guerre  » sainte  » en Afghanistan. Ces réseaux ont été exploités par l’ex-parti unique pour se maintenir au pouvoir. Ce qui a fait dire aux observateurs, que les confréries religieuses ne sont bonnes pour le pouvoir que dès lors qu’elles constituent un réservoir électoral.

Aujourd’hui, le colloque sur la « Tidjania » a ravi la vedette à la rencontre de la « Rahmania », une attitude tout à fait compréhensible au regard de l’influence de la zaouia de Ain Madhi en Afrique. D’ailleurs, l’enjeu du colloque était si important que les tenants de l’orthodoxie « tidjaniènne  » voyaient mal que le colloque se tienne à Laghouat et non pas à Aïn Madhi. L’importance de la  » Tidjania  » n’est plus à démontrer au vu du nombre important des participants venus des quatre coins de l’Afrique. Le ministre des Affaires religieuses, Ghlamallah, qui n’a pas pu répondre à la question d’un participant sénégalais, qui a voulu connaître le nombre de partisans de cette confrérie en Algérie, a pu néanmoins démontrer le poids des « khouanes de la tidjania en Afrique », en déclarant que « la Tidjania pouvait bien régler le problème du Darfour au Soudan, s’il n’ y avait la main étrangère ». C’est ce qui constitue en soi une réponse au fameux communiqué d’une zaouia  » Tidjania  » du Soudan reprise par l’Agence de presse marocaine, fustigeant les organisateurs du colloque de Laghouat, en leur reprochant des velléités d’utilisation politique. Une manière de dire aussi que le terrain laissé vierge au royaume allaouite dans ce domaine n’a finalement servi que la monarchie, plus préoccupée à maintenir son influence au Sénégal que de prendre en charge le problème, fort compromettant, du Darfour. Les considérations politiques sont là, mais il demeure plus rentable à long terme de permettre aux Algériens de connaître leur histoire, dont une bonne partie a été le fait des confréries religieuses. Mais là aussi, c’est du rôle des universités qu’il s’agit, pour peu qu’on daigne réfléchir à les remettre sur les rails.

Hadj Bouziane

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