De l’argent pour quelle école ?

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S’il y a un secteur qui devrait profiter d’une façon substantielle des nouvelles dépenses budgétaires induites par le Plan de soutien à la croissance économique (PSCE), c’est bien celui de l’Éducation nationale. Même si les médias n’ont pas monté en épingle l’ensemble des projets qui sont à l’indicatif de ce département ministériel, les sommes qui lui sont allouées sont des plus conséquentes pour le quinquennat qui commence à partir de cette année. Cela paraît un peu paradoxal au vu du climat peu serein régnant dans ce secteur. En effet, depuis plus de trois ans, il ne se passe pas un semestre sans que les établissements scolaires et les élèves ne soient pris en otage par le climat délétère généré par les revendications socioprofessionnelles du personnel enseignant. Il y a deux ans de cela, la situation avait atteint un tel degré de gravité que la perspective d’un Bac blanc se profilait à l’horizon. Après un semblant d’accalmie, la contestation- certes avec une intensité moindre- continuait sur fond de controverses homériques sur la représentativité syndicale, la gestion des œuvres sociales et le dossier des salaires des travailleurs de l’Éducation. Le Conseil des lycées d’Alger (CLA) évoluera pour devenir une organisation d’envergure nationale, la Fédération des travailleurs de l’Éducation (FNTE) traîne sa réputation d’organisation proche du syndicat officiel et le SATEF continue son avancée autonome dans les wilayas où il est représenté. Aussi bien le corps enseignant que l’opinion publique et les médias, personne n’arrive à comprendre la raideur de Boubekeur Benbouzid lorsqu’il campe sur sa position de ne vouloir dialoguer qu’avec les organisations syndicales agréées. Le principe étant que, face à une situation de blocage qui remet en cause ou compromet la scolarité des enfants, aucune ‘’arrogance’’ ou formalisme juridique ne peuvent servir d’argument, d’autant plus que, sur certains points, le ministère de tutelle pouvait se prévaloir- comme pour les départements de l’Enseignement supérieur et de la Santé qui vivent eux aussi une agitation sociale et des remous cycliques- des ‘’conditionnalités’’ liées au statut de la Fonction publique. Ce dernier vient d’être adopté par l’Assemblée nationale et le décret y afférent est publié dans le Journal officiel. Restent maintenant les textes d’application et l’élaboration des statuts particuliers aux différentes catégories de travailleurs de la Fonction publique.

Comme si tant de conflits ne ‘’suffisaient’’ pas à maintenir la tension, la nouvelle mesure prise au cours du mois de novembre dernier consistant à dessaisir le ministère de l’Éducation de l’enseignement technique au profit de la Formation professionnelle est venue ajouter son once de brouillard et ranimer les querelles, à telle enseigne que certaines commentaires de Benbouzid suite à la réaction du corps enseignant s’apparentent à un mea-culpa qui ne dit pas son nom.

L’école s’empiffre de chiffres

Au-delà des chiffres annoncés à chaque rentrée scolaire par le ministère de l’Éducation –chiffres relatifs au nombre d’enfants scolarisés, aux manuels scolaires et aux quelques ‘’réformettes’’ annuelles touchant le volet pédagogique-, la véritable ‘’arithmétique’’ se trouve sans doute dans les projets inscrits pour ce département ministériel dans le cadre du PSCE. En effet, ce sont pas moins de 200 milliards de dinars qui seront consacrés à ce secteur (Éducation et Formation professionnelle), soit environ 12,4% du montant du Plan. On compte des projets portant sur la construction de 5000 établissements primaires, 1000 collèges (CEM) et 450 lycées et la réalisation de 1098 cantines et 500 infrastructures sportives scolaires. Depuis les fameux programmes spéciaux de wilayas initiés par Boumediene au cours des années 70, ce sont certainement les réalisations les plus importantes dont va bénéficier le secteur de l’Éducation et de la Formation depuis l’Indépendance.

Cependant, devant ces statistiques assommantes, le moins vigilant des citoyens se posera la question de savoir où va l’école algérienne, quelles sont les bases de la formation des cadres et des citoyens responsables de demain et comment l’école doit-elle s’insérer dans les exigences et les besoins de la nouvelle société qui aspire à plus de liberté, de prospérité et d’ouverture démocratique ? Si l’argent du pétrole permet à nos gouvernants d’élaborer des projets gigantesques misant sur le quantitatif, qui pourra garantir la qualité et l’efficacité de l’enseignement dispensé par nos établissements ? Une première erreur qu’il y a lieu d’éviter est sans aucun doute de fonder la critériologie de la réussite de l’école sur le taux de réussite au Bac. Dans une ambiance de médiocrité et de dilution des valeurs pédagogiques et morales, l’examen du Bac ne constitue nullement une référence, d’autant plus que le déroulement de cette épreuve est souvent émaillée d’ ‘’incidents’’ divers. Cette année, une aporie dans la discipline mathématique a été détectée en retard et l’information a vite fait le tour du pays et a même dépassé les frontières. Nul besoin de s’appesantir sur les dérives- comme celle du règne du ministre Benmohamed- liées aux fuites des épreuves du Bac et autres manœuvres frauduleuses qui décrédibilisent aux yeux du monde un examen autrefois noble et sacré.

Sur le plan réglementaire et de la décision politique, on ne sait ce que sont devenues les recommandations de la Commission Benzaghou chargée en 2001 par le Président Bouteflika de proposer des réformes radicales dans le secteur de l’enseignement et de l’éducation. En tout cas, en raisonnant à contrario, on peut imaginer la hardiesse et le caractère révolutionnaire des réformes proposées au vu des réactions de l’aile islamo-baâthiste qui ont accompagné le travail de cette Commission. Parmi les bribes d’informations auxquelles a eu droit la presse, l’enseignement bilingue des sciences et des mathématiques n’est pas des moindres. Depuis l’ordonnance d’avril 1976 instituant l’École fondamentale, les contingents de bacheliers qui ont eu accès à l’université se sont débattus dans des problèmes inextricables du fait que la plupart des matières scientifiques dispensées à l’université le sont en français. Même dans les disciplines réputées arabisées (Droit, sciences humaines, histoire, géographie), les références fondamentales sont rédigées en français ou en anglais. N’étant pas assez formés dans ces langues, les étudiants se trouvent complètement désemparés devant une réalité que ne peut compenser aucun sens ‘’patriotique’’.

Replâtrages

Actuellement, hormis quelques replâtrages de façade, l’enseignement primaire, moyen et secondaire continue à coltiner les aberrations de l’ancien système. Même si depuis l’année passée, la chariaâ ne constitue plus une spécialité au lycée, l’hégémonie de l’enseignement religieux- qui, plus est, reconduit souvent le pavlovisme de l’école coranique- pèse d’un poids étouffant sur le volume horaire, le rythme scolaire et la pédagogie scientifique qui doit prévaloir dans nos établissements. Dans un tel capharnaüm pédagogique et didactique, quel sera le rôle de l’Observatoire national de l’education et de la formation dont l’avant-projet de loi a été adopté par le Conseil du gouvernement du 18 juillet 2006 ? Quel rôle jouera-t-il dans la marche de l’école algérienne vers la réalisation des aspirations de la société en matière de la formation qualifiante- pour faire face aux défis de l’économie moderne et de la mondialisation- et de défense des valeurs de la citoyenneté et de la République ? N’est-ce pas monsieur Benbouzid qui, en remarquant l’absence de l’élément féminin dans une séance de sport, a sévèrement rappelé à l’ordre, le 23 mai 2006, le personnel et les élèves d’un technicum à Blida en ces termes : « L’Algérie n’est ni l’Iran ni l’Afghanistan. Nous sommes dans une république (…) Il est hors de question pour nous de revenir sur les erreurs du passé. Ce qui s’est produit en 1992 n’est plus tolérable et ne peut se reproduire » ? Devrions-nous accueillir ces professions de foi du ministre avec la foi du charbonnier ? En tout cas, ce sont les actes de la gestion future de nos écoles qui pourront conforter ou confondre le représentant du gouvernement, premier responsable de l’éducation dans notre pays. Cependant, sur certains dossiers, comme celui de l’école privée, il est difficile de suivre la démarche du ministère sans se poser la question essentielle : en cherchant à ‘’domestiquer’’ ce genre d’établissement, quel est réellement l’objectif visé ? Si des Algériens se sont résolus à envoyer leur progéniture dans ces établissements – en faisant de grands sacrifices sur le budget familial-, ce n’est certainement pas pour recevoir la même formation que celle dispensée par l’école publique. Si cette dernière est à ce point ‘’honnie’’- et pourtant gratuitement assurée-, c’est qu’elle ne répond plus aux besoins d’émancipation et de réalisation sociale de la famille algérienne. On a maladroitement poussé la brutalité jusqu’à fermer certaines écoles privées au milieu de l’année scolaire. Le ministère ne s’est rétracté qu’après l’intervention du Président Bouteflika.

Une autre frange du personnel de l’Éducation ne cesse de se plaindre de sa situation et du statut de l’enseignement qui lui est confié : il s’agit des enseignants de tamazight. La nouveauté de l’introduction de cette discipline ne peut pas expliquer, à elle seule, les déboires de ces enseignants et les aléas pesant sur la matière elle-même. L’Association des enseignants de tamazight ont, à plusieurs reprises, interpellé le ministre sur la fragilité de leur statut et le rôle peu clair de l’enseignement de cette matière.

Dans un climat d’opacité administrative, cette langue n’arrive pas à tirer profit des résultats des recherches effectuées par des centres ou des instituts spécialisés tel que l’Inalco. De même, des textes littéraires de haute valeur esthétique et pédagogique produits par des poètes ou écrivains berbérophones n’ont pas encore franchi les portes de l’école.

Quand est-ce qu’on pourra disserter sur les strophes d’Aït Menguellet, Cherif Kheddam, Benmohamed ou Matoub comme le font les Belges, les Canadiens et les Français pour les textes de Brel et de Brassens ? Pourquoi notre école n’a pas encore accès -aux côtés des contes de Perrault, des frères Grimm et d’El Djahiz- aux contes Machaho de Mammeri ou Le Grain magique de Taos Amrouche ?

Il est indéniable que l’émancipation de la société algérienne qui doit inscrire le pays dans une perspective de modernité et de démocratie passe par l’émancipation de l’école. Et, dans cet objectif, aucun chiffre et aucune promesse, aussi mirifiques qu’ils puissent être, ne sauraient remplacer l’engagement des pouvoirs publics sur le terrain.

Amar Naït Messaoud

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