La Dépêche de Kabylie : Le colloque a montré que le chantier de tamazight est très vaste et la mission de votre centre est des plus ardues. C’est donc un travail à long terme, n’est ce pas ?
Abderrezak Dourari :
Le colloque a permis à tous d’exprimer leur opinion sur la façon dont tamazight doit être aménagée et a démontré que nul ne peut le faire seul ni imaginer que tout est fait et qu’il ne s’agit aujourd’hui qu’appliquer quelques fragments d’aménagement pensés surtout en dehors du pays. Tamazight langue nationale est un vaste chantier que seule une académie peut entreprendre sérieusement avec abnégation, avec tous les spécialistes et sur le long terme.
Le CNPLET en est incapable s’il reste tel qu’il est. C’est pour cela que nous avons proposé la modification de son statut depuis mars 2005 et nous attendons toujours.
Certains universitaires ont proposé l’officialisation de tamazight en Kabylie, qu’en pensez-vous ?
Le colloque organisé par le CNPLET a permis l’énonciation des points de vue qui étaient camouflés dans des discours idéologiques vagues et vaporeux. Il est devenu clair que la politique linguistique découle de la politique tout court d’un pays, d’un Etat.
L’aménagement linguistique auquel appelle le professeur Chaker et ses militants en Algérie découle de son option politique d’autonomie de la Kabylie qu’il voudrait singulariser au maximum pour l’isoler du reste de la nation, y compris au plan symbolique. C’est son choix, celui d’un Français, (Franco-algérien) qui vit en France continuellement et ne passe que quelques jours par an en Algérie; il est respectable tant qu’il assume ses options ouvertement et qu’il ne se cache pas derrière un voile pseudo-scientifique. L’officialisation de tamazight en Kabylie (où commence-t-elle? où finit-elle?) procède de la même vision politique. Avons-nous combattu pour l’indépendance du pays dans son ensemble pour ne garder de lui que les rochers du Djurdjura? Disons enfin que cette question exige une réponse bien plus complexe que celle que je vous livre sous l’effet de l’urgence mais je pourrais si vous le souhaitez y revenir un autre jour à mon retour. Tamazight langue nationale est entrée dans plusieurs domaines relevant du domaine officiel, l’école, l’université, Les médias, et récemment la religion avec la traduction du Coran vers tamazight qu’il faut véritablement célébrer comme une grande victoire dans la mesure où cette traduction, en dépit de ses grands défauts, est éditée et distribuée en Algérie. Il lui reste le domaine de la justice. C’est capital.
Parler de la généralisation de l’enseignement de tamazight maintenant semble prématuré vu le manque de moyens et d’encadrement. Ne serait-il pas plus judicieux de travailler sur des classes pilotes pour au moins garantir la qualité de l’enseignement et ne pas refaire les erreurs de l’arabisation?
La généralisation et le caractère obligatoire de cet enseignement dans la précipitation, sans aménagement, sans outils didactiques adéquats et sans formation de formateurs est une décision qui ressemble à s’y méprendre au le processus de généralisation de l’arabisation qui est un échec patent. L’Algérien maîtrise aujourd’hui moins la langue arabe scolaire qu’avant cette généralisation et cette politique linguistique conservatrice; le niveau scientifique des Algériens est plus bas qu’avant les années quatre-vingt. Les décisions en la matière de la CNRSE de Benzaghou sont curieusement gelées. Le pragmatisme, le sens de la mesure, le sens critique doivent être aiguisés au maximum s’agissant d’une langue, tamazight, longtemps marginalisée par ses propres locuteurs et son peuple (les Algériens et les Maghrébins), la haine de soi a longtemps fait son lit parmi eux… Il ne faut jamais céder à la passion pour faire triompher notre raison. On n’est pas pressé d’échouer, on a le temps de réussir.
Vous avez été l’un des rares intervenants à vous exprimer sans passion lors du colloque. Certains observateurs pensent que vous êtes partisan de la transcription arabe, et en kabylie, vous n’êtes pas sans ignorer la polémique qu’une éventuelle arabisation des caractères de transcription de tamazight pourrait soulever..
Bien sûr que c’est là une position que j’ai défendue en 1990 dans un article intitulé « Les langues berbères, réflexion sur les problèmes liés à leur enseignement ». Quand certaines voix, sous les ordres d’un Français qui se proclame le Führer de tamazight, me reprennent, ils ne reprennent jamais l’argumentation mais seulement l’idée hors de tout contexte. Certains, je l’ai remarqué durant le colloque organisé par l’Association des enseignants de tamazight les 29 et 30/11/06, qui se prévalent d’une légitimité hors du commun, un peu à la manière des anciens moudjahidines, et qui pensent qu’en me nuisant, en me diffamant, ils allaient régler les problèmes de tamazight, se trompent d’ennemi, d’époque et surtout ils commettent une malhonneteté intellectuelle en déformant à dessein mes propos. Alors quand on compare les graphies arabe et latine en matière de degré d’adaptabilité au phonologisme du kabyle, et pour montrer que je me trompe on va jusqu’à prendre en compte tous les graphèmes diactrés de l’arabe. J’ai dit que l’élève allait apprendre de toutes façons la graphies arabes (tous les graphèmes de l’arabe y compris les diacrités) et latine (tous les graphèmes du français y compris les diacrités) et qu’il s’agissait d’évaluer et comparer l’écart provoqué par l’adaptation de graphèmes (en plus de l’abécédaire arabe ou latin) de l’arabe ou du français. Mais pourquoi parle-t-on d’arabisation du tamazight quand on l’écrit en caracatères arabes et non pas de francisation ou latinisation quand on l’écrit en français ou latin?
Dans le centre, je ne suis pas un dictateur, il y un conseil de la recherche, un conseil scientifique et un conseil d’orientation qui participent à la décision. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire que l’Etat algérien se réapproprie la décision en matière d’aménagement linguistique et de gestion des langues en instaurant les instruments scientifiques et académiques nécessaires, mais aussi qu’il instaure une politique linguistique nationale claire et démocratique qui permettrait aux Algériens d’être des citoyens véritables de leur Etat.
La question du choix graphique est éminemment politique et idéologique. Elle dépend directement du choix du type d’Etat; intégré, unitaire ou fédéral… Salen Chaker déclare dans sa communication lue à Tizi-Ouzou durant le colloque cité, car il ne daigne pas être présent parmi les autres communicants quand il s’agit de Tizi-Ouzou-en, serait-il ainsi s’il s’agissait de Washington ? que l’aménagement dépendait des « conditions socio-culturelles » de la langue et du pays où elle est parlée. Il faudra les préciser honnêtement pour le cas de la Kabylie qui ne se situe pas, que je sache, en France, mais bien en Algérie avant d’aller plus avant.
Lors des rencontres consacrées à tamazight, nous avons relevé que la quasi-totalité des participants viennent de Kabylie, c’est le cas du colloque que vous venez d’organiser. Quelle lecture faites-vous de ce constat ?
Beaucoup sont de Kabylie, car il s’agit qu’une question qui intéresse avant tout la Kabylie.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi
