L’inspiration féconde d’un romancier

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Il n’arrête pas de surprendre ses nombreux lecteurs. Mal aimé de la critique pour ses succès, Alexandre Jardin continue son chemin. Il revient avec un livre sur sa famille.

C’est désormais chez Grasset que l’auteur de Fanfan publie Le Roman des Jardin. Ses nombreux autres livres sont parus chez Gallimard. Alexandre Jardin l’avoue d’emblée : il en avait assez de se cacher publiquement en écrivant des romans de bon garçon. On l’a connu un peu romantique à travers Fanfan, assez inconsistant avec Bille en tête, désirant à tout prix être le fleuron d’une famille Jardin dont il n’était que le bourgeon. On l’apprécia plus tard avec Le Zubial, portrait tout en nuances de son père, Pascal, scénariste et romancier, qui lui-même avait mis en scène le sien, Jean Jardin, chef de cabinet de Pierre

Laval, dans Le Nain jaune. Finalement, on se disait qu’Alexandre était peut-être plus mémorialiste que romancier. Avec la quarantaine, ce garçon au physique de gendre idéal, se sent enfin un Jardin à part entière. Dans ce roman qui n’en est pas un, en dépit de ce que l’on a imprimé sur la couverture, on a surtout l’impression d’être dans un jardin de romans. Alexandre, qui voulut être le grand, mais qui se contenta d’être le bienheureux, dit enfin ce qu’il a sur le coeur depuis des années : Famille, je vous aime ! L’aveu est touchant. Dans la bouche d’un petit génie créé par la regrettée ogresse Françoise Verny, Pygmalion de Queffélec et de BHL, on l’apprécie à sa juste valeur.

Sa galerie de personnages, n’était la systématisation du ton humoristique qui, parfois, s’assimile aux Percussions de Strasbourg, émeut et fait rire. Pas neuf le procédé, mais efficace.

Ainsi, nous nous retrouvons au cœur de ces Jardin de la France, souvent en Suisse, à Vevey, où, jadis, Mme de Warens taquinait le Jean-Jacques comme on taquine le goujon, avec une smala qui tient plus de Pim, Pam, Poum et de la famille Illico que des ascètes des Thibault, on serpente entre le tigre Jean, le zèbre Pascal et le chat Alexandre, entre le marteau de l’émotion et l’enclume de la pochade à la Feydeau, dans lequel les Jardin ont presque tous un fil à la patte.

Du Nain jaune au Zubial, on ne compte plus les maîtresses, les demi-frères, les demi-soeurs. Pour le jeune Alexandre, quel cirque, comme il l’était aussi au sens romain du terme, avec ses cruautés. Un minot avait de quoi y laisser des plumes. L’ironie, on le sait, est une arme à double tranchant. “Dans cette famille de zinzins, elle peut même se retourner contre celui qui en use et en abuse”, estime le quotidien le Figaro. Alexandre, nous épargne le pathos. S’il se bidonne au spectacle de tous ces histrions à la limite de la camisole, il reste lucide. Sa distance transforme des boudins en girls d’Hollywood. La vedette de la smala, c’est sans doute la grand-mère, autrefois la maîtresse de Paul Morand, surnommé l’Arquebuse, qui, à l’automne de sa vie, pense encore que “passer à côté d’un orgasme lui paraît être le début de la déchéance morale”, raison pour laquelle elle dort à la Mandragore – villa familiale de Vevey – toutes fenêtres ouvertes. Dans le sillage de cette dame Tartine qui, pour être sûre de ne pas oublier Morand, a un perroquet prénommé Paul, on découvre le demi-frère Emmanuel, un yéti d’Hollywood, Alain Delon (qui trouvait la mère d’Alexandre belle comme un démon), l’oncle Merlin, aussi enchanteur qu’une plage du même nom, et dont la maîtresse, Zouzou, avant d’être la sienne, fut celle de son père, le Nain jaune. Au bord du lac Léman, on ne devait pas s’embêter. Un théâtre permanent.

Apparaissent ainsi Couve de Murville, ancien Premier ministre du général de Gaulle, vivant et impossible abrégé de la morale calviniste, l’un des hommes les moins drôles d’Europe ; Allan Dulles, l’un des patrons de l’OSS pendant la guerre ; Hans-Hein-Rich K., cinéaste hilare et antinazi, grand pêcheur de perches devant l’éternel ; un diplomate réduit aux initiales

M. F. – Maurice Faure –, qui se requinque à Vevey en compagnie d’une rousse qui manie la cravache, tandis que sa femme se livre à la même pratique avec un Mexicain. Au milieu de cette famille tuyau-de-poêle surgit le journaliste Yves Salgues, poète archi-camé au comportement de serpillière, amoureux d’une guenon nommée Zaza, ce qui fait bisquer l’ineffable Zouzou.

Avec ce livre attachant, Alexandre signe un chèque de gratitude aux figures de son clan. De nombreux livres d’Alexandre Jardin existent dans certaines librairies d’Algérie.

Farid Ait Mansour

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