L’exil : refuge, aventure ou conviction ?

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Il a dit qu’il allait là-bas pour gagner de l’argent et revenir nous aider à bâtir une belle maison et assurer l’avenir de ses nièces…

La vieille Ferroudja, en disant cela, ne paraissait pas plus convaincue que moi ! Son fils, Akli, était parti depuis des années en France, abandonnant emploi et famille, suivant les bons vents de l’aventure. Un jeune homme âgé, alors, d’une trentaine d’années, compétent au travail et assez stable financièrement. Sa petite famille comprenant sa mère, son père, son frère et ses trois nièces s’était enracinée dans la terre kabyle depuis des siècles et ne pouvait ni ne voulait changer son rythme de vie et ouvrir ses yeux sur le vaste monde mystérieux de la cité. Akli était né et a grandi ici mais, à mesure que les années et les expériences s’entassaient, il prenait conscience de son inaptitude totale à vivre dans une communauté aussi naïve, dans laquelle chaque individu avait pour seul but : trouver de quoi vivre, pouvoir marier les enfants, bâtir de grandes maisons, vieillir en paix et puis mourir…

Les tendances occidentales d’Akli, dues à sa culture et sa façon d’être, ne pouvaient que refuser cette vie facile, simple et, dirait-on, « insignifiante » ! Et de ce fait, il se décida un jour à faire ses bagages et prendre ses jambes à son cou vers un monde qu’il considérait meilleur malgré toutes les souffrances et les difficultés dont il est réputé et que Akli réalisait parfaitement… Cela fait maintenant cinq ans qu’il est parti… Des coups de fil, des photos et des cadeaux réguliers parviennent à sa famille en guise de preuve de sa survie là-bas… Les années passent et sa mère, N’na Ferroudja, ne perd toujours pas espoir de le revoir avant de mourir…

– Un fils, c’est la vie pour une femme kabyle ! nous dit-elle…

Une femme kabyle à la beauté dont est connue la région, traînant ses quatre-vingt ans avec force et courage, élevant ses trois petites-filles avec l’amour et le dévouement d’une mère en sursis, gardant toujours cette étrange et divine énergie qui brave le pouvoir du temps et lui permet d’entretenir sa maison aussi impeccablement que l’aurait fait une jeune fille de vingt ans… Là-bas, son fils continue à vivre, au jour le jour, sa grande aventure d’exilé volontaire ; peut-être, en ayant quelques fois des remords insomniaques au sujet d’une famille abandonnée et surtout d’une mère espérant toujours son retour… Le phénomène de l’émigration au sein de la Kabylie ne date pas d’hier. On pourrait facilement dire que c’est devenu une tradition reconnue par tout le monde, légitimée et même bénie par les parents en particulier et le village en général.

Peut-on en vouloir à ces jeunes gens voulant tenter leur chance dans un tout autre monde lequel, malgré tout ce que l’on en dit, éveille leur ambitions et leur fureur de vivre ? Ceux qui reviennent, après une absence considérable, pour un séjour au bled, après s’être fait les papiers grâce à une Française ou une émigrée, croient suffisant de ramener avec eux des liasses et des cadeaux pour avoir la conscience tranquille et rebrousser chemin. Il y a aussi ceux qui reviennent définitivement après avoir récolté là-bas ce dont ils pourront vivre ici jusqu’à la fin de leurs jours, tranquillement…

Akli, quant à lui, après avoir passé cinq années clandestines en France durant lesquelles il eut maintes occasions d’atteindre ses fins plus ou moins honnêtes, refuse toujours les solutions faciles et continue de vivre dans le noir, difficilement mais librement…

En écoutant N’na Ferroudja nous raconter son fils, nous voyions et comprenions tout ce qu’elle, la vieille kabyle aussi saine que l’eau d’une source, ne pouvait concevoir… Nous avons pris la décision d’appeler Akli pour entendre son approche du problème… Sa réponse brève et amère nous convainquit que même si sa mère avait raison, lui, il n’avait pas tort :

– “Là-bas, je suis exilé dans mon propre pays. Autant l’être à l’étranger” !

Sarah Haidar

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