Youcef Zirem est un ingénieur en hydrocarbures, diplômé de l’IAP de Boumerdès en juin 1987. Il devient journaliste à la suite de l’ouverture générée par les tragiques évènements d’Octobre 1988. Il a fait partie de nombreuses rédactions dont la Nation, la Tribune, le Quotidien d’Oran, El Haq, Le Jeune indépendant.
Il a également dirigé la rédaction de l’hebdomadaire le Kabyle de Paris. Ecrivain, il est auteur de plusieurs livres dont les Enfants du brouillard, Autrefois la mer nous appartenait, La vie est un grand mensonge ou encore la Guerre des ombres, qui a eu un succès considérable en Europe et au Canada. L’âme de Sabrina est un recueil de dix nouvelles. L’auteur nous donne à lire des histoires que lui inspire le mal de vivre de beaucoup d’Algériens.
Dans un style simple, les fictions bien ficelées nous livrent des réalités lugubres comme celle des disparus. Une tragédie dont on parle si peu. Les personnages de Zirem sont souvent des jeunes qui peinent à vivre ou plutôt à survivre dans un interminable tunnel. C’est le cas d’une prostituée qui se confesse : “Aujourd’hui je n’ai eu que deux clients. Ce n’est pas beaucoup. Le travail vient à manquer dès que l’été s’installe. Je veux dire que durant cette période chaude de l’année, nous avons vraiment de la concurrence. Les filles découvrent subitement qu’elles peuvent signer leur présence dans les espaces publics et elles ne se gênent pas pour assouvir leur frustration. Elles donnent leur corps au premier venu et envoient au diable le tabou de la virginité. Elles savent d’avance que peu d’entre elles pourront se trouver un mari. La crise a frappé tout le monde. Ce n’est tout de même pas une catastrophe.”
L’auteur de Je garderai ça dans ma tête raconte et décrit un malheur incessant, sans oublier les belles choses de l’existence qui laissent espérer et croire à des jours meilleurs. “La seule chose qui ne me déplaît pas encore dans cette ville, c’est le coucher du soleil. Surtout, quand arrive le printemps. A cette période de l’année, je ne peux m’empêcher de venir faire des allers et retours dans cette rue large et bordée de vigoureux platanes”, écrit le poète. Le livre en question est aussi un espace fertile où la philosophie de l’auteur nous fascine. On découvre la profondeur des mots et une grande lucidité d’un penseur hors pair. C’est des textes très captivants écrits par un humaniste qui a toujours joint la parole et l’acte. Ces écrits très originaux nous rappellent, inévitablement, les géants de la littérature à l’instar de Dostoïevski. “Tu n’arrêtes pas de sourire. Mauvais, les jours ne te déstabilisent pas. Tes inquiétudes sont immenses mais tu préfères souhaiter”, écrit l’ex -journaliste d’Alger- républicain. En exergue de chaque nouvelle il y a une citation d’un grand auteur.
Comme celle de William Faulkner : “Le suprême degré de la sagesse était d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit.” ou les mots magiques de Milan Kundera : “L’étrangeté dans sa forme choquante, stupéfiante, ne se révèle pas sur une femme inconnue qu’on drague, mais sur une femme qui, autrefois, a été la nôtre. Seul le retour au pays natal après une longue absence peut dévoiler l’étrangeté substantielle du monde et de l’existence”. Dans les nouvelles émouvantes du militant des droits de l’Homme, la poésie est omniprésente.
Peut-être qu’il n’y a pas de plus profond pour dire les abysses de l’âme. Pour parler de Sabrina, l’aimée fuyante, de Sabrina, l’Algérie “déchirée”. Comme Kateb Yacine, Zirem raconte les blessures incommensurables des hommes et d’un pays qui se cherche. “Dix années se sont écoulées depuis ce premier regard échangé à Sedrem. Un été. C’était il y a bien longtemps… Sabrina est restée inaccessible. Encore aujourd’hui. Cependant je reste à son écoute, toujours. Son âme n’a jamais cessé de me soutenir, de m’accompagner. Elle m’aide à survivre dans un pays qui me rejette, me soumet à des échecs répétés et me pousse à vouloir le fuir, à aller ailleurs. Peut-être l’âme de Sabrina est-elle porteuse d’un message, qui sait… ? Mais je n’arrive pas à le décrypter. Une chose me semble sûre le destin de cette fille est lié à l’histoire de ce pays meurtri”. Le recueil de nouvelles de Youcef Zirem est épuisé dans les librairies algériennes, sa réédition fera le bonheur de beaucoup de lecteurs.
Y. C.