Les chemins qui montent, montent…

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A Larbaâ Nath Irathen. Anessi imekigh d’Hassaoune, ce proverbe dans toute sa simplicité décrit avec une extraordinaire précision la position et le lieu dans lequel la région de l’ex-Fort National se situe et dont même Mouloud Feraoun s’est fait l’écho dans son mémorable roman Les Chemins qui montent.

Larbaâ Nath Irathen est située dans une région appelée communément la “haute Kabylie”, cette dernière offre l’image d’un terrain escarpé, abrupt, raviné avec des vallées sauvages et encaissées où les terres assoiffées contrastent avec les régions verdoyantes.

Au centre du pays, comme une ossature puissante, s’élève le majestueux massif du Djurdjura. Dans le silence apparemment sans vie des espaces, ces très hautes montagnes abritent une multitude de villages, puisque le Djurdjura est la plus importante zone de peuplement de Kabylie. Cette population est fortement concentrée dans de nombreux villages et hameaux accrochés aux flancs de montagnes ou sur des versants abrupts avec de très fortes pentes, ce qui entraîne bien des difficultés quant à leur viabilisation et autres actions à caractère d’aménagement.

Le massif jouit d’une pluviométrie abondante et assez importante, ce qui a accentué la décomposition assez profonde des sols entraînant ainsi la faiblesse des ressources agricoles.

Larbaâ Nath Irathen est l’une des communes les plus défavorisées par la nature, la densité anormalement élevée et l’absence d’activité industrielle ; des facteurs qui font que la région constitue un réservoir de main-d’œuvre qui a atteint depuis très longtemps son taux maximum d’occupation possible, à cette situation une seule solution semblait possible aux riverains, l’émigration vers d’autres cieux.

Cette commune éminemment montagneuse présente toutes les caractéristiques apparentes d’une région économiquement sous-développée pour ne pas dire pauvre. Une pauvreté qui n’est pourtant pas originelle, la pauvreté chronique jusque-là a été conjoncturelle car il est certain que cette région n’a pas été mise en valeur, on s’est toujours contenté de l’administrer sans jamais essayer de s’occuper d’autres choses.

L’on pourrait très aisément déduire les causes de ce sous-développement, un déséquilibre assez pesant entre le volume élevé de la population et l’insuffisance des moyens de subsistance, donc des ressources économiques, insuffisance voire l’inexistence de la production agricole et une industrie jamais connue. Cependant et en dépit d’une situation géographique très défavorable, aujourd’hui un des traits originaux de la Kabylie est l’importance de l’urbanisation, ainsi Larbaâ Nath Irathen est à présent une agglomération importante dans sa région de part son statut de chef-lieu de daïra, ses services, son grand souk hebdomadaire., etc.

La commune de Larbaâ Nath Irathen est située à environ 27 km du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, ces deux dernières sont reliées par la RN n°15 à son origine à la RN n°12 (Alger – Tizi – Azazga – Béjaïa). La route numéro 15 passe respectivement par Irdjen, Larbaâ Nath Irathen, Aïn El Hammam et le col de Tirourda.

Alors que 127 km sont la distance qui sépare Larbaâ de la capitale Alger.

La commune de Larbaâ Nath Irathen est encadrée administrativement de plusieurs autres communes : au nord la commune de Tizi Rached, au nord-est la commune d’Aït Oumalou, au nord-ouest la commune d’Irdjen, au sud de la commune de Béni Yenni, au sud-est la commune d’Aït Agouacha et au sud-ouest la commune d’Aït Mahmoud.

Larbaâ Nath Irathen est une région montagneuse aux reliefs souvent très abrupts, aux versants ravinés où les surfaces plates sont presque inexistantes.

A Larbaâ, les altitudes sont très variables donc la plus haute atteint 1 065 m au village Aboudid, les sommets des contreforts sont couverts de villages serrés à population très dense.

Elle s’étale sur une superficie de 39,37 km2 et compte 29 343 habitants (dernières statistiques de 1998) que se partagent 22 villages et hameaux.

La distance aérienne de la mer n’est que de 30 km environ, bien qu’elle n’influe sur le climat de la région que très peu. Cependant, l’influence de l’altitude est beaucoup plus importante, qui lui procure un climat assez rude et humide.

Dans la région, on enregistre sept mois pluvieux avec une intensité plus ou moins importante, avec une fréquence régulière d’un jour de pluie sur trois jours. Ces jours de précipitations enregistrent en moyenne 10 mm ou plus. Trois autres mois, ceux d’intersaisons : mai, juin et septembre sont aussi relativement arrosés, tandis que la sécheresse se fait lourdement sentir uniquement sur les deux mois d’été : juillet et août.

Aperçu historique sur l’agglomération

La région des Ath Irathen est très riche en histoire, de par sa farouche est vaillante résistance face au colon français.

La conquête de la Kabylie par les troupes de l’armée française s’est révélée une opération très difficile à accomplir, qui ne s’acheva tout de même pas qu’en 1857 par la fameuse prise de la crête d’Ichariden, un hameau de la confédération des Ath Irathen.

C’est une de leur retraite la plus difficile à aborder et la plus facile à défendre.

Les colonnes françaises s’élançaient pour la première sur les contreforts des Ath Irathen un certain 24 mai 1857. C’était un jour de l’Aïd, le jour où les Kabyles et les musulmans en général célébraient la rupture du jeûne, à la fin du mois de carême (le Ramadhan).

Ichariden, comme tous les villages kabyles est une petite bourgade qui prendra le nom de Larbaâ Nath Irathen. La conquête de ce petit monticule le 24 juin 1857, soit un mois après les premières tentatives d’incursions, allait dans un premier temps se traduire par le déracinement des habitants de cette région d’Ichariden et qui furent transplantés dans la région de Tizi Rached à un endroit qui porte encore le nom de la vieille cité détruite par les troupes coloniales du Maréchal Randon.

La crête d’Ichariden, jugée dominante et stratégique par l’état major français fut donc occupée pour l’installation permanente d’une garnison et le lendemain même de leur première victoire et la soumission des Ath Irathen, les troupes s’arrêtaient dans leur marche offensive, le fusil faisait place à la pioche.

En moins de trois semaines à travers des obstacles inouïs et incontestablement sans précédents, l’armée perçoit entre Tizi Ouzou et l’emplacement choisi pour Fort Napoléon, une voie carrossable large de 6 mètres.

Et c’était en juin 1857 que Fort Napoléon fut construit de manière à servir non seulement comme point d’occupation mais au besoin, comme base d’opération. C’est ainsi que, dans son article relatif au mot “Fort Napoléon” on distingue dans une des vieilles éditions des encyclopédies Larousse, les informations suivantes :

“Fort Napoléon, commune d’Algérie (département Alger, arrondissement Tizi Ouzou, 9 321 habitants”.

Fort National, appelé d’abord Fort Napoléon, fut construit par le Maréchal Randon en 1857 au centre même de la Grande Kabylie, qu’il s’agissait de dompter au lieudit en arabe Souk el Arba, Béni Irathen (le marché du mercredi des Béni Irathen) à une altitude de 930 mètres, elle assure la soumission de cette région turbulente et surpeuplée.

Au début de la colonisation et dès le 11 septembre 1873, Larbaâ Nath Irathen fut désignée comme une commune en plein exercice sous un haut commandement militaire.

Au départ donc, la ville de Larbaâ Nath Irathen fut réalisée comme un fort avec toutes les caractéristiques des villes garnisons de cette époque, c’est-à-dire construction d’une caserne, des écuries pour la cavalerie et quelques maisons d’habitation vraisemblablement destinées aux familles des officiers.

La ville, selon le modèle de toutes les forteresses militaires à caractère défensif, a été ceinturée d’une épaisse muraille dont la conception rappelle à elle seule à bien des égards les fortifications moyenâgeuses de châteaux fort. La porte muraille édifiée pour la défense de la garnison était pourvue de meurtrières.

La ville de Larbaâ Nath Irathen était sans aucun doute condamnée à un figement définitif puisqu’elle représentait pour la colonisation aucun intérêt dit important. Dans sa structure et sa dimension originale, elle répondait d’une façon admirable à sa fonction de sentinelle qui veillait sur la tranquillité des colons installés sur les riches plaines de Tizi Ouzou et de la Mitidja.

L’arboriculture : seule production agriculture

L’olivier fait partie de l’identité des peuples méditerranéens. A Larbaâ Nath Irathen, l’huile d’olive colle à la définition du paysan de la région. Il est vrai que les wilayas de Kabylie concentrent à elles seules les 2/3 du verger national oléicole ! L’oléiculture qui caractérise cette région est malheureusement une agriculture de montagne où la rusticité de l’olivier demeure un faire-valoir des terres arides, en pente et souvent incultes. C’est en Kabylie que l’oléiculture a été sauvegardée, là où le savoir-faire s’est transmis depuis des millénaires. Dans les montagnes de l’ex-Fort National, la vie du paysan s’est toujours confondue avec celle de l’olivier. Durant les 30 ans qui ont suivi l’indépendance, l’oléiculture fut abandonnée et le paysan livré à lui-même. Malgré une prise de conscience salvatrice, quoique tardive, l’évolution des plantations est insignifiante. La plantation de ce valeureux arbre reste très timide et n’arrive malheureusement pas à remplacer les pertes dues aux incendies, à la vieillesse et aux multiples maladies. Après l’Indépendance des choix politiques en matière de développement avaient sacrifié l’oléiculture ! Au moment où la datte a eu droit à tous les égards, tous les encouragements, l’olive et l’huile d’olive étaient reléguées aux oubliettes ! De nos jours, le retour à la culture oléicole est laborieux, les jeunes n’ont pas appris les pratiques et les usages en la matière. Tout est à réapprendre en somme !

Parler de l’arboriculture de la région sans relater l’histoire de la cerise ou encore de sa fête relèverait de l’aberration. La fête des cerises était un grand rituel dans lequel la population de Larbaâ Nath Irathen se plongeait à partir de mi-juin jusqu’à la fin juillet où les manifestations culturelles et sportives se mélangeaient à la concurrence économique pour la vente de ce fruit précieux dont la région des Ath Irathen a tiré une grande renommée grâce à sa qualité de tout premier choix et une production des plus satisfaisantes.

Cette fête qui produisait une grande ambiance au sein de la population locale a malheureusement disparu et s’est éclipsé en 1974, dernière année de célébration du fruit lorsque le pouvoir de l’époque avait annulé un gala artistique dans une des occasions de la fête à laquelle beaucoup de chanteurs berbères devait y participer, ce qui avait provoqué une colère sans précédent de la population. Avant de réapparaître, bien que timidement, en 2006, soit 32 ans après.

L’implantation de ce fruit dans la région qui était connue auparavant pour ses oliviers et surtout ses vignes de qualité a débuté en 1918, lorsqu’un missionnaire catholique a importé un cerisier pour le planter dans les alentours de la forteresse en guise d’une première expérience. L’opération réussie, d’autres cerisiers commencèrent à prendre la place des vignes. C’est à partir de là que la culture de cet arbre fruitier avait pris de l’ampleur à travers tous les vergers du fort puis de la région, autrement dans tous les villages de montagne de Kabylie… Petit à petit, les arboriculteurs de Fort-National s’adaptèrent à la culture du cerisier, ce qui leur procurait chaque année de bonne récolte une rente assez satisfaisante.

Il faut dire aussi que même le climat de la région est très favorable pour la croissance de l’arbre en question. L’histoire de la fête des cerises à Larbaâ Nath Irathen serait liée à un événement douloureux pour l’occupant, il s’agirait d’une fusillade perpétrée par un bandit d’honneur de la région, contre un groupe de soldats français pour se venger des massacres commis par l’armée coloniale sur la population lors des manifestations du 8-Mai 1945. En guise de commémoration, l’armée française leur avait érigé une stèle qui est toujours témoin, mais puisque leur mort coïncidait avec la période de la récolte des cerises, les deux événements seront simultanément fêtés à partir de cette date.

Après l’Indépendance, les citoyens de Larbaâ continuaient à célébrer la fête chaque année jusqu’à ce qu’elle devienne un festival national économique et culturel digne de ce nom, puisque beaucoup de commerçants viennent de toutes les régions du pays et beaucoup d’artistes animaient des soirées, chose qui créait un climat propice pour l’expression populaire qui trouvait un terrain favorable pour se propager au point de semer une incontournable conscience politique.

K. Fridi

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