Orhan Pamuk se confie aux gens du Caire

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Le récipiendaire de l’année 2006 du Prix Nobel de littérature, l’écrivain turc Orhan Pamuk, s’est livré à un voyage initiatique dans les ruelles et sur les sites de la capitale égyptienne au cours du mois de janvier dernier. Le magazine littéraire Akhbar El Adab du mois en cours a suivi l’homme de lettres turc dans ses déplacements et en a rapporté quelques haltes qui renseignent sur les centres d’intérêt du premier Prix Nobel de Turquie.

Ayant été invité dans le cadre du Salon du livre qui se tenait au Caire, Pamuk ne s’est pas totalement plié au protocole qui lui était réservé. Sur beaucoup de points, il a même mis mal à l’aise ses hôtes cairotes, lui l’écrivain iconoclaste de qui on a dit que ‘’l’originalité, chez lui, consiste à remonter à ses origines’’, en raison d’une certaine recherche de l’identité qui finit par héler l’histoire du pays tout entier.

Les organisateurs du Salon du livre ont été pris de court par l’envergure de l’invité. A ses conférences qui devaient requérir des traducteurs de la langue turque ont été dépêchés des traducteurs anglais pour, dit-on, sauver la face, car on n’a pas pu mettre la main sur un vrai bilingue (turc/arabe) qui rendrait parfaitement le message de l’écrivain.

L’homme dont la vie est menacée n’a pas non plus bénéficié d’une garde rapprochée et son itinéraire de villégiature n’a pas été tracé à l’avance. Avant de se rendre, avec un ancien ami égyptien, dans un restaurant du Zamalek, Pamuk a tenu à s’enquérir sur l’audience de ses livres au pays des Pharaons et sur ceux qui en ont assuré la traduction.

Au cours d’un dîner avec un aréopage d’intellectuels égyptiens dont Amrou Chelkani, professeur de droit à l’Université américaine du Caire, l’écrivain Djamal El Ghitani et le cinéaste Yousri Nasrallah, l’écrivain turc a parlé de ses anciens produits littéraires qui lui ont valu une notoriété mondiale et de son futur livre intitulé Le Musée des innocents. Pamuk travaille depuis quatre ans sur ce roman qui ne ressemblera en rien aux premières épopées et qui n’abordera pas les thèmes politique. Ce sera un roman d’amour. Le héros en est un habitant d’Istanbul appartenant à une famille riche qui vivra deux histoires d’amour. Il entreprendra un voyage pour se mettre à la recherche des lieux qui ont marqué profondément ses mésaventures sentimentales. Ce sont ces lieux qui, à la fin, vont constituer un musée de ses souvenirs. Par ailleurs, l’éditeur de Pamuk a rassemblé les articles écrits par ce dernier pour les présenter à Londres dans un volume sous le nom de : D’autres couleurs.

Il révélera à ses hôtes qu’il écrit habituellement 180 pages par an, soit environ une demi-page par jour. Concernant une éventuelle adaptation cinématographique de ses œuvres littéraires, Pamuk affirme que, jusqu’à présent, aucun projet n’existe dans ce sens. Néanmoins, au cas où cela devait arriver, il entend lire et corriger lui-même le scénario de peur que l’œuvre ‘’ne soit altérée, médiocre ou d’un niveau nettement inférieur à l’œuvre écrite’’.

Lors de sa visite, le lendemain, sur le site des Pyramides, Pamuk sera déçu par l’ambiance qui règne sur les lieux : des dizaines de marchands ambulants qui se bousculent dans un espace réduit, des petits ‘’affairistes’’ en tourisme qui se disputent le convive pour le faire monter à dos de chameau ou de cheval. ‘’C’est artificiel, tout ça‘’! lâchera-t-il désemparé.

Au cours d’une discussion animée autour de l’acte d’écriture, Orhan Pamuk dira qu’il travaille dix heures par jour et qu’il essaye de ne pas être grisé par la notoriété que le prix Nobel lui a ‘’imposée’’, car, avance-t-il, cela risquerait de l’entraver plus que de le faire avancer. “Je n’ai eu aucun changement dans ma vie après l’obtention du Nobel. Je décroche le combiné du téléphone fixe et je ferme mon portable ; pour me permettre d’écrire, je ne réponds à aucune sollicitation”.

À la question de savoir si le mariage constitue une entrave à la création, Pamuk plaisantera en répondant : “Si la femme est belle, elle ne pourra pas l’entraver. Plus sérieusement, une pimbêche peut bien gêner la création de son mari, tandis qu’une femme compréhensive lui donnera ce dont il aura besoin pour créer”.

Orhan Pamuk voue une grande admiration pour l’intellectuel américano-palestinien Edward Saïd, disparu il y a quelques mois. “C’est, dira-t-il, mon père spirituel”. A chaque fois que Edward se rendait à Istanbul, il rend visite à Pamuk chez lui. “Même si je ne suis pas d’accord avec lui lorsqu’il avance que l’intellectuel représente la vérité face au pouvoir politique, je suis d’avis que l’indépendance de l’intellectuel est plus importante que le fait d’affronter le pouvoir politique avec des vérités”.

Concernant les réactions enregistrées dans son pays suite à l’obtention du prix Nobel en 2006, Pamuk dira en riant : “Les gens simples et les citoyens ordinaires étaient très contents. Quant à l’attitude des officiels, elle ne m’intéressait pas. Pour ce qui est des hommes de lettres et intellectuels, je respecte beaucoup la position de Yecˇer Kamal. Vous savez qu’il a attendu le prix Nobel depuis une vingtaine d’années. Des journalistes ont plusieurs fois pris contact avec lui pour lui arracher un avis négatif concernant ma réussite ; mais, au contraire, il a toujours exprimé sa satisfaction. Nous sommes des amis malgré la différence d’âge, et nous gardons entre nous un contact permanent”.

En visitant les venelles et quartiers populaires du vieux Caire, Pamuk a aussi emprunté les voies et ruelles qu’affectionnait l’autre prix Nobel, l’Égyptien Naguib Mahfûz. Dans un café où était suspendu un cadre portant la photo de l’auteur de L’Impasse des deux Palais, le Nobel turc a tenu à se faire prendre en photo.

Orhan Pamuk est né en 1952 à Istanbul et il a fait l’École supérieure de l’Université d’Istanbul. Par la suite, il s’inscrit à l’université américaine de Columbia. Ses romans ont eu une large audience dans son pays et dans beaucoup de pays occidentaux. Il a écrit, entre autres : L’Obscurité et la lumière (1979, Prix du roman du quotidien Milliyet), Djevdet Bey et ses fils (prix Orhan Kemal, 1984), La Maison du silence (1983-prix Madarali en Turquie et Grand prix de la découverte européenne en 1991), Le Livre noir (Prix de Radio France-culture et prix du Comité France-Turquie).

Amar Naït Messaoud

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