Une œuvre d’esthète qui offre la pureté du cristal et l’innocence d’un marmouset. C’est un grand regard ébahi, émerveillé ; celui de “La petite vendeuse d’allumettes” que jette Catherine sur une ville qui n’est pas la sienne. Mais qui, étrangement, lui semble si familière.Honni soit qui mal y pense ! point dans cet ouvrage de relents orientalistes, style expo-coloniale ou de parti-pris bourrés de prénotions, d’a-priori ! Ce n’est pas non plus le genre carte postale. C’est tout juste un regard profond, un regard vierge, expurgé de toute référence chimérique, de tout substrat subjectif, vicié, pollué par un imaginaire trivial qui s’accommode fort bien d’une prétendue supériorité civilisationnelle, elle-même sous-tendue par une vision policée à fort relent messianique. Alger se dénude au fil des pages, en marge de tout viol. De cette nudité chaste, apanage des déesses. Ses aquarelles qui défilent comme dans un live d’images, ces dessins serai-je tenté de dire, participent par la lumière qui s’en dégage, mais aussi par la poésie présente dans les couleurs et les traits sublimes, dans leurs impressions, par leur réalisme diffus, à rendre une âme, un mouvement à ce qui, usuellement une fois reproduit sur papier devient inerte, froid, sans vie. Il suffit de fixer un bref instant n’importe quelle aquarelle pour la voir prendre vie, s’animer ainsi la femme plantureuse, que recouvre un haïk ample et coquin n’est pas figée, les personnages assis à l’ombre de la mosquée tiennent conciliabules et les pêcheurs à la pointe El Kettani, croqués de manière exquise, d’un seul coup de crayon, dans leurs contours physiques larges aussi larges que le large qu’ils tentent d’apprivoiser, semblent plus vrais que nature… Tout concourt à souligner la singularité d’une artiste, son intelligence du signe et de la couleur. Les images d’Alger sont une invite au voyage, à une halte longue, si longue que toute idée de départ, chaque jour différée, devient improbable, pesante. Dire Alger la pudique, Alger l’effrontée, Alger la rebelle sans tomber dans les travers habituels et la facilité sémantique qui expédie une ville, son histoire et ses hommes en un slogan lapidaire, “Alger la Blanche” est un autre tour de force. Le verbe emprunte chez Catherine des chemins étonnants, tout en finesse, s’efforçant de rendre une myriade d’images, de sons, d’odeurs qui se croisent, s’effleurent, s’entrecroisent, formant un tout sans qu’aucune transmutation fusionnelle ne vienne rompre l’ordre immuable des choses ni agresser les sens.“Les carnets d’Alger”, c’est avant tout un autre regard, un regard neuf. Exit Alger de “Pépé le Moko”, des mouquères et des yaouleds ! L’image tendancieuse, pernicieuse ou la tchatche, la gouaille de kaouito, l’anisette et “le Chabanais”, fameux lupanar d’Alger paraît soudain si lointaine, si vieillotte et bien pâle. Définitivement enterrée l’est assurément aussi le temps où, avec Tanger, la Havane, Macao, Alger représentait le lieu par excellence où l’exotisme fantasmatique de la bonne société coloniale trouvait toute son expression. Catherine n’est pas une passerelle entre deux mondes si proches et si lointains à la fois. Elle n’est pas non plus disciple d’Ibn Rochd, ce mondialiste précurseur, ce citoyen du monde avant l’heure. Comme elle n’est pas émule d’Ibn Battuta, ce globe-trotter médiéval, ni orientaliste dans son acception la moins flatteuse en ce qu’elle met à la disposition de tous les culs-terreux restés au pays des images fausses sans se départir des schémas imposés à l’imaginaire populaire. Catherine Rossi est tout simplement une partie de l’humanité, à la recherche de l’autre, des autres. Elle donne, reçoit, échange. C’est sa vie sa façon d’être, son saint-graal !Catherine Rossi, que nous avons rencontré pour un échange d’une intensité rare, même s’il fut bref, trop bref, sans doute, a passé une poignée de jours à Bgayet (Béjaïa ou Bougie).Elle est repartie, la tête pleine d’images qu’elle a, en grande partie retranscrit sur un étrange et désopilant outil de travail : une rame de feuilles de dessins que retient un cordon de lin. Première ébauche de ce que sera un jour, que nous espérons très proche. “Les carnets de Bgayet”. Dis-nous vite, Catherine, avec tes mots et tes dessins, véritables ravissements des sens, Bgayet. Puissent Yema Gouraya, la sainte patronne de la cité et la main de Fatima te protéger et guider ta main !
Mustapha R.