La Kabylie contournée

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Quand l’on sait qu’environ 85 % des volumes d’échanges, aussi bien pour la livraison des marchandises que le transport des voyageurs en Algérie, se font par route et qu’entre Annaba et Tlemcen, des capacités complémentaires d’accueil de 40 000 à 50 000 véhicules par jour se sont avérées nécessaires avant l’horizon 2010, on mesure l’importance d’un tel projet appelé à juste titre d’ailleurs

« le projet du siècle ». S’inscrivant dans le cadre du vaste projet de l’autoroute transmaghrébine, qui devrait couvrir une distance de près de 7000 km, l’Autoroute Est-Ouest pourrait donner un essor aux échanges intermaghrébins et contribuer à la création de pas moins de 500 000 emplois directs et indirect.

En outre, les pouvoirs publics ambitionnent à travers ce projet lequel dessert principalement les villes d’El Tarf, Annaba, Constantine, Chelghoum Laid, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Bouira, Alger, Blida, Aïn Defla, Chlef, Relizane, Oran (par une pénétrante), Sidi Bel Abbés, Tlemcen de créer un nouveau espace rentable et attractif pour l’investissement avec des équipements : aires de repos, stations-service, relais routiers et centres d’entretien et d’exploitation de l’Autoroute.

En ce qui concerne la Kabylie et les spéculations qui circulent autour du fait qu’elle soit contournée par l’Autoroute Est-ouest, ce qui, s’il vient à se confirmer, consisterait un vrai obstacle pour le développement économique et social dans la région, très peu de données sont fournies, pour le moment, par le département de Amar Ghoul.

Dans le souhait de tirer au clair cette question et de rassurer les opérateurs économiques, éventuels investisseurs dans la région, on s’est rapproché de M.Oukil, chargé du communication au niveau du département de Amar Ghoul qui nous dira d’emblée « la Kabylie n’est pas contournée par l’Autoroute Est-ouest et il n’y a aucune intention d’éluder une région aussi importante qui contribue grandement dans l’économie nationale ».

Toutefois, sur le terrain, il suffit d’une simple lecture des différents schémas retraçant les multiples tronçons de l’Autoroute pour se rendre compte que la Kabylie n’en bénéficie pas. Les arguments d’un tel choix sont  » techniquement  » présentés par le représentant du ministère des Travaux publics qui expliquera que « ce projet ne date pas d’aujourd’hui, mais des années 1980, et les études de faisabilité ont pris un temps énorme ». Ce sont ces études de faisabilité justement qui ont motivé cette alternative, et selon notre interlocuteur « la variante pour laquelle ont opté les initiateurs du projet est la plus rentable, la plus économiques et qui répond au bon sens. Passer par les monts du Djurdjura coûtera vraiment trop cher ». M.Oukil conclura que l’Autoroute traverse tout de même la Kabylie sur des centaines de kilomètres dans les wilayas de Bouira et de Bordj Bou Arréridj. Malgré ces clarifications d’ordre technique, une question subsiste. Cette variante pénaliserait-elle réellement la Kabylie et quelles répercussions aurait-elle sur les intérêts socio-économiques de la région ?

Concrètement, en ce qui concerne la wilaya de Bouira, l’Autoroute Est-Ouest la traverse sur une distance de 100 km et permettrait désormais aux automobilistes, après Lakhdaria, d’éviter la ville de Kadiria, lieu d’embouteillages et théâtre de nombreux accidents. L’automobiliste doit emprunter l’Autoroute et éviter la RN 5 après l’achèvement des deux tunnels (1208 et 1553 mètres) alors que Tizi Ouzou qui sera allongée vers Azazga, Yakouren et Béjaïa, sera contournée. Quant à la wilaya de Béjaïa, d’aucuns s’accordent à dire qu’elle est tout bonnement laissée sur le carreau et les appréhensions d’enclaver la région, notamment le port, fleuron de la dynamique de la croissance locale et de compromettre les potentialités d’investissement se manifestent quotidiennement.

Parlant du port justement, le directeur général de l’EPB, Rabah Moussaoui a déjà tiré la sonnette d’alarme et était même allé jusqu’à dire que le port de Béjaïa risque d’être asphyxié par l’Autoroute Est-Ouest. En fait, l’Autoroute Est-Ouest et sa pénétrante à partir de Béjaïa et au rythme où se développe le port, la wilaya ne pourra plus se développer dans trois ou quatre ans, vu que l’Autoroute reliera, le port de Djendjen à ceux de Skikda et d’Annaba.

Ainsi, malgré les dénégations du département de Amar Ghoul, il semble évident que l’Autoroute Est-Ouest ne profitera point à la Kabylie dans sa profondeur. Ceci va probablement accentuer la situation de sous-équipement dramatique dont souffre cette région déjà exsangue, ainsi que les frustrations d’une population lasse d’etre laissée pour compte. Surtout que les raisons invoquées sont…bassement financières. A l’ère du baril à 65 dollars, cet argument n’est pas recevable. D’autant pas recevable, que certains y voient une nouvelle sanction contre une région qui dérange par son insoumission chronique.

H.Hayet

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