Qui l’eut cru ! La gare de Bejaia est dirigée par trois femmes : d’abord Mme Rachedi, chef de gare en titre, assistée de 2 adjointes dont Mme Nabila Haddar, chargée de l’intérim en l’absence de ses deux collègues en congé de maternité. Mme Haddar, en poste depuis 2004 a eté recrutée par voie de concours. « Au début dira-t-elle, vous dire que j’ai intégré la SNTF par vocation relèverait de la mauvaise foi. Plus prosaïquement, je m’étais retrouvé a ma sortie de la fac, munie d’un DEUA en informatique, au chômage. Aussi, une fois tombée sur un avis de recrutement de la SNTF je me suis soumise aux épreuves du concours avec la réussite au bout. Après une formation de 9 mois, je me suis retrouvée ici à Bejaia. Depuis 2004 !. »
Les débuts ne furent guère faciles car toute nouveauté dérange forcement. Surtout qu’il s’agit là d’un milieu spécial, qui requiert vivacité d’esprit et force physique. Si ce créneau a été investi à Alger bien avant la province cela relève sûrement du caractère « capitale » de la ville de Sidi Abderrahmane et à sa propension naturelle à l’innovation. Sortant des sentiers battus, elles sont mécaniciens, conductrices … A Bejaia, ville conservatrice par excellence, ce n’est pas du tout pareil, car l’arrivée presque simultanée de trois femmes et qui plus est à, des postes de commandement a été une véritable révolution. L’intégration, si elle na pas été spontanée, s’est faite en douceur. Et aujourd’hui ces Dames ont fini par s’imposer, d’abord par leur savoir-faire, leur connaissances saupoudrées d’une touche typiquement féminine. Leurs manières de faire, de donner des ordres, de sanctionner quand il le faut, sont tout en douceur, car usant de beaucoup de doigté et de délicatesse. Les ordres criés, aboyés, diront certains, relèvent d’un autre âge. Mme le sous-chef de gare avance n’avoir que de bonnes relations, saines mais fermes avec son entourage. « Au fil du temps, le travail quotidien s’est vidé de son côté routinier et gagne-pain pour devenir une véritable passion. Oui, j’aime ce que je fais”.
Comme toute activité humaine, ce travail n’offre pas que des avantages dont le moindre n’est certes pas le respect qui entoure l’ensemble des relations avec le gros des troupes, l’élément masculin.
Le problème de la sécurité, récurrent dans l’enceinte SNTF limite quelque peu sa liberté de travailler, de contrôler partout et à toute heure. La faune qui fréquente ce lieu, composée de marginaux, représente un risque permanent, non seulement pour Mme Haddar et ses consœurs, mais aussi et surtout pour le sexe dit fort !
Et les forces de l’ordre dans tout ce microcosme qui s’apparente à une jungle ?
« Nous les avons saisies à maintes reprises sans qu’elles ne daignent bouger le petit doigt. Nous assurons un service 24h sur 24h et nous ne pouvons à l’heure actuelle compter que sur nos propres forces. Personnellement, je me sens frustrée, car limitée dans mon champ d’intervention qui exclut toute activité nocturne », dira d’un trait Mme Haddar.
A propos toujours de son métier, elle ajoutera « le métier est tellement riche qu’on n’a guère le temps de s’ennuyer ». Le regard que porte ses collègues sur cette « intrusion » est tout en nuances. S’ils s’accordent tous à dire que « cela se passe plutôt bien et que par voie de conséquence, aucune différence n’est perceptible pour la bonne marche du service entre les deux sexes, certains y voient même des avantages en ce que la presence féminine impose respect et bonne conduite ». Et à la question de savoir s’ils sont en mesure d’accepter une sanction venant d’une femme, la réponse est venue cinglante et péremptoire. « Oui si elle si juste est justifiée ». M. Azeddine Sakhri, chef de service sécurité, tout en mettant en avant un certain “manque d’expérience, qui viendra avec le temps » concluera par un « je ne vois aucun problème » sec, net et sans fioritures.
Un bémol est tout de même apporté à ce tableau idyllique. Le chef de manœuvre principal se fait mal à l’idée de l’incorporation de l’élément féminin dans un métier d’hommes. « Nous ne sommes pas à l’aise devant une femme, nantie de surcroit de responsabilités et donc pouvant donner des ordres à tout moment ». Et de se réfugier derrière l’argument spécieux de la spécificité de certaines tâches comme les postes liés à la sécurité.
Le paradoxe est que, dans un secteur en plein déconfiture, l’élément féminin a réussi une percée autant remarquable que remarquée. Une autre manière de dire l’égalité devant le chômage et de faire la nique au péché originel…
Mustapha R.