“Pour une séparation totale du religieux et des affaires sociales”

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La Dépêche de Kabylie : Quelle est la place de la femme dans notre société du point de vue psychologique ?

ll Ali Gaci : Franchement, je ne sais même pas pourquoi on se pose cette question. Finalement, s’il y a une seule société où la femme est égale à l’homme, c’est mon point de vue personnel, c’est en Algérie. Déjà du point de vue du travail, on la situe par rapport à la réalité algérienne. Donc du côté profession, je vois qu’elle est très avantagée jusqu’ici. Elle est payée au même titre que l’homme, elle a une place, peut-être, meilleure que celle de l’homme, surtout ces dernières années. C’est vrai qu’elle a eu beaucoup de mal à s’imposer, elle a passé des moments difficiles pour égaler l’homme, mais en ce moment on ne peut pas parler de déséquilibre ni d’inégalité entre les deux sexes.

Il y a toujours des voix qui s’élèvent pour dire que la femme est réprimée et reléguée au second plan…

ll C’est vrai que maintenant si on juge la population algérienne de manière générale, peut être statistiquement parlant, les femmes qui crient ont raison. Maintenant si on prend celles qui ont fait des études, et ont eu la chance de sortir et les autres qui n’ont pas cette chance, je crois qu’elles ont le droit de crier. Parce que on ne peut pas situer la femme algérienne à travers seulement les étudiantes, ni encore moins celles qui travaillent. Il y’a bien d’autres Algériennes qui souffrent, elles sont encore dans la souffrance et à la recherche d’un statut social. Il y a toujours des femmes très mal vues, très mal considérées dans certains coins du pays, mais il faut vraiment les chercher. Mais en zone urbaine, la femme est suffisamment considérée. De toute les façons, je ne vois même pas pourquoi employer le mot : considéré. Elle est considérée par qui ? Alors qu’elle est citoyenne à part entière. Je dis que le monde c’est qui ? — C’est l’homme ! Ce n’est pas l’homme, le monde c’est l’homme et la femme en même temps, puisqu’ils se marient et procréent, ils ont des enfants ensemble. Je ne vois pas pourquoi cette limitation des espaces ? c’est vrai que dans le rôle social il y a toujours une limitation des espaces et c’est pour cela qu’il y a des conflits entre l’homme et la femme, à moins qu’il y ait un mélange d’espaces, c’est-à-dire la femme lutte pour plus de liberté, on dirait qu’elle a perdu quelque chose, donc elle ne cesse de gagner de l’espace et l’homme se sent de plus en plus réprimé par la femme, parce que c’est elle qui mène la barque, qui décide, qui fait beaucoup de choses à l’intérieur de la maison, qui est d’ailleurs un espace commun, on le voit de manière visuelle comme étant commun, alors que de manière psychologique, il est très bien partagé et bien situé.

On dit toujours que le code de la famille musèle la femme, en tant que psycho-sociologue quel est votre point de vue ?

ll Je ne pense pas que l’homme puisse se passer de la femme, ni que cette dernière peut se passer de l’homme, alors du point de vue psychologique, je ne pense pas qu’il y ait un enfant qui n’aime pas sa mère, cela n’existe pas. Donc, on vit avec, nous sommes nés dedans et on vit avec et juste au moment où on commence à grandir, on appartient à une autre femme, franchement, je ne vois pas le côté psychologique dans lequel l’homme est négatif. A partir de la puberté, l’homme recherche la femme, même s’il ne le fait pas physiquement mais psychologiquement il l’est. S’il a des problèmes de timidité, s’il a des problèmes autres et qu’il n’arrive pas à aborder les femmes, psychologiquement il est complètement envahi par la femme et par son absence. Je ne vois pas comment on peut représenter la femme de manière méchante. Maintenant si nous la situons dans la dimension religieuse, ça n’est qu’un discours finalement, les gens qui parlent de la femme par ce biais et à travers la dimension religieuse n’est pas du tout réelle, la pensée est tout autre, le même discours religieux, et vous trouverez le même homme pour tenir ce même discours sur les femmes. S’il insiste pour réprimer la femme, c’est parce qu’il a, quelque part, un problème. Ce n’est parcequ’il ne veut pas avoir une représentation de la femme, parce qu’au fond de lui, il veut encore être toujours homme et toujours être le chef, et bien sûr, en étant chef, c’est pouvoir se servir de plusieurs femmes. Si on revient à l’histoire, ce sont les harems …et tout homme court pour faire des lois, concernant les femmes, qui les arrangent.

Les lois algériennes sont toutes ou presque inspirées de la religion, comment expliquez-vous cela ?

ll Peut-être du point de vue mariage et c’est tout. Le reste ce n’est pas vrai, la réalité est là. Je ne vois pas de religion dans l’administration algérienne. La religion n’interdit rien au statut professionnel d’une femme dans une administration publique.

Le code de la famille s’est globalement inspiré de l’islam …

ll Je n’ai pas profondément consulté ce code, mais quand je vois ce qui se pratique, je ne trouve pas de code, peut-être que ce dernier est appliqué au niveau de la justice mais dans la vie réelle et sociale algérienne nous sommes très loin de tout ce qui est code de la famille.

A propos de la fameuse loi sur la polygamie, où l’homme se permet de contracter jusqu’à quatre mariages, quels sont les répercussions sur la vie des couples du côté psychologique de la chose ?

ll C’est la source de tous les problèmes. Cela va être le démarrage de plusieurs autres types de problèmes. Peut-être qu’on ignore les problèmes entre l’homme et la femme, mais à partir du moment où l’homme peut se permettre trois ou quatre femmes, d’autres types de problèmes vont apparaître et deviendront de véritables phénomènes sociaux à gérer. C’est bien de dire qu’on peut avoir quatre femmes, mais sur le plan psychologique, je dirais que c’est impossible, sauf s’il retourne à l’ancienne organisation sociale où l’homme est le seul maître à bord —c’est-à-dire que la femme n’est qu’un serviteur, — elle sert l’homme, cela remonte à la préhistoire peut-être. Mais maintenant avec l’instruction des peuples et pas spécialement le nôtre, je crois qu’il est très difficile de gérer quatre femmes. Déjà qu’il est difficile de gérer une seule femme.

Vous avez parlé de la religion par rapport à la femme comme étant un discours, est-ce que c’est un appel quelque part politique pour la séparation du religieux du social ?

ll Oui, je le dis vivement, parce qu’il est grand temps de faire la part des choses. Y’en a marre de cette confusion. C’est vrai que la religion est une chose, peut-être, elle est bonne, belle et elle a beaucoup d’aspects positifs mais ce n’est pas une raison pour qu’elle soit entretenue par des gens qui sont loin de la comprendre.

La laïcité peut-être ?

ll Oui, et pourquoi pas ? Franchement, oui, pour une séparation totale entre la religion et tout ce qui est organisation administrative de la société.

Vous avez toujours parlé d’un refoulement et d’un défoulement collectifs, cela peut-il avoir lieu au sein de la gent féminine ?

ll Un défoulement collectif de la part des femmes ne peut pas arriver facilement. Il faut d’abord qu’il y ait une instruction, ça va se faire peut- être dans quelques années si la situation continue à être telle qu’elle est, à condition qu’il y’ait une prise de conscience de la part de toutes les femmes, parce que même quand on dit une femme universitaire, cela ne suffit pas : il y a université, militantisme et prise de conscience. D’autre part, il y a des femmes qui ont peur de leur liberté, il faut poser le problème d’une autre façon : si les femmes ne veulent pas aller au-delà, parce qu’elle ne veulent pas être seules, c’est facile d’avoir sa liberté, c’est ce qui s’est passé en France en mai 1968, maintenant la femme française s’assume très mal dans sa propre société. A la limite, elle est en train de chercher à fonder une famille, c’est-à-dire, essayer de trouver un homme sérieux qui veut être le père de ses enfants. Maintenant si nos femmes ont peur de cette liberté, elles ont quelque part raison. Attention, c’est facile d’avoir sa liberté mais il faut savoir la gérer aussi.

C’est très important, et c’est une question de temps, puisqu’on a, pratiquement, été coupé de toutes les nouvelles du monde, et, c’est pour cela qu’il n’y a pas eu de suite ni de travail collectif entre nous et les sociétés, surtout, occidentales et à partir de là, on a accumulé un grand retard, à la limite un arrêt de l’évolution par rapport aux années 70 où la femme a vraiment pris un élan et c’est là où tout a commencé, elles réclamaient leur liberté, et il y a eu un arrêt depuis les années de terrorisme religieux. Donc, cela a provoqué une coupure de la lancée politique.

Cette lancée va reprendre certainement dans deux ou trois ans, mais un refoulement collectif, effectivement, maintenant il y a des femmes qui refoulent de manière collective, elles se regardent bien dans les yeux et elles savent bien que ça ne va pas, cette chose se dit dans des petits coins, mais pas d’une manière politique et associative, les femmes n’adhérent pas encore, mais cela peut arriver à partir du moment où il y aurait une crise économique. Donc là, elles vont se constituer en groupes ou en blocs, alors là, c’est possible qu’il y ait un défoulement collectif, pour ne pas dire une explosion sociale

Entretien réalisé par Mouloudj Mohamed

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